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13 mars 2005

Tu écris toujours ? (1)

Deux ou trois fois par an, je rencontre en ville un grand gaillard mélancolique, un copain d’école. À chaque fois, j’ai droit à une question rituelle : “tu écris toujours ?” Et cela dure depuis nos dix-huit ans. Cette année, nous avons pour le moins dépassé notre quarantaine et, pas plus tard qu’hier, il m’a scruté de ses yeux rouges (boisson, conjonctivite ?) avec la même perplexité. C’est parce qu’il se demande pourquoi on peut se livrer à une activité aussi aberrante que l’écriture. Bien sûr, tout finirait par s’éclaircir dans sa tête cabossée (le pauvre n’a guère été choyé par la nature) s’il voyait mes livres dans les vitrines des librairies et s’il m’apercevait au volant du dernier stupide et polluant 4 X 4 urbain. À une ou deux exceptions près, mes livres sont absents des librairies et je me transporte dans un véhicule modeste (catalysé tout de même), ce qui explique l’insistance de mon infortuné camarade de classe : “tu écris toujours ?” (sous-entendu : malgré le peu d’argent et de reconnaissance que te procure ce métier...).
Confronté les premières fois à la question, je prenais la peine de m’expliquer : d’abord, écrire n’est pas un métier même s’il faut du métier. Première nuance déjà difficile à assimiler pour le profane. Quant aux livres dans les vitrines, essayons de prendre un exemple : n’importe quel tapeur de ballon médiatisé se vautre dans les vitrines des librairies. Écrit-il pour autant, même si son nom et sa photo s’impriment sur la couverture de cet objet complexe qu’est un livre ? Car c’est effectivement compliqué à expliquer. Oui, un livre peut ne pas être un livre... Et pourtant, à la sortie des presses, on trouve cette brique de papier et de carton toute rayée de mots. Là-dedans, s’écoulent des paroles d’écrivains qui font un livre mais, parfois, d’autres choses dites qui font aussi ce qu’on appelle un livre bien qu’il ne s’agisse pas vraiment d’un livre. Hum... Excuse-moi, vieux, je ne me fais pas bien comprendre mais c’est difficile avec le bruit des voitures qui klaxonnent pour fêter le ballon.
Maintenant, le brave garçon me consacre un dernier regard désolé de ses yeux injectés. Il hoche la tête avec accablement pour me signifier : “décidément, on n’a pas fait des étincelles toi et moi”. Il pense cela car lui, il a perdu son emploi et moi, je gribouille des trucs qui me passent par la tête. Misère ! Allez, salut...
(À suivre)