Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20 mai 2022

Lectures du moment :

blog littéraire christian cottet-emard,lectures,littérature,essais,musique,polar,rachmaninov,tabucchi,nuel,piano,cluny,éditions du seuil,éditions buchet chastel,éditions héraclite,bourgogne,collection terres de bourgogne,collection fiction&cie,rachmaninov par lui-même,écrire à l'écoute,le puits des pénitents

 

03 août 2021

Meurtre et enquête à l’ombre de l’abbaye

Avril à Cluny, de Jean-Jacques Nuel. Éditions Héraclite. 158 p. 16 €.

avril à cluny,jean-jacques nuel,éditions héraclite,terres de bourgogne,polar,cluny,site clunisien,littérature,roman,blog littéraire de christian cottet-emard,bourgogne,chrétienté,christian cottet-emard,enquête policière,détective privé,brice noval,enquêteur privé,occident

Le privé Brice Noval est de retour dans Avril à Cluny, le dernier polar de Jean-Jacques Nuel. Dans ses deux précédentes enquêtes, La Malédiction de l’Hôtel-Dieu et Terminus Perrache (éditions Germes de barbarie), Noval se creusait les méninges dans les rues de Lyon mais l’âge venant en même temps qu’une certaine lassitude pour la ville aux trois fleuves (le Rhône, la Saône et le Beaujolais), le voici bien décidé à profiter de la retraite dans un village près de Cluny. Seulement voilà, si le village est tranquille, Cluny, malgré ses cinq petits milliers d’habitants, l’est beaucoup moins après le meurtre d’un libraire.

Pour contrarier encore les projets de l’enquêteur désireux de se ranger des voitures, l’ombre menaçante d’un moine erre la nuit dans les rues de la ville aux mille ans d’histoire. Ambiance !

Toujours sensible au charme féminin, Noval laisse son agent immobilier, une jeune femme qui ne se satisfait pas des conclusions de l’enquête officielle, le persuader de mener la sienne, pour le plus grand bonheur du lecteur aussitôt entraîné dans la pénombre et le clair-obscur de cette province qui ne dort que d’un œil mais où les éternelles turpitudes humaines ne s’en déchaînent pas moins. Brice Noval manquera de peu d’en faire les frais mais on verra dans la pirouette humoristique finale d’un ingénieux double épilogue qu’il a fait le boulot.

Au passage, la lecture de ce polar rondement mené nous évoque en brèves notations, sans s’égarer dans trop de développements historiques, les épisodes les plus marquants de l’immense rayonnement puis du déclin du site de Cluny qui fut, par son abbaye et son église, la plus grande de la chrétienté avant la reconstruction de Saint-Pierre de Rome, un phare spirituel de l’Occident.

Ainsi que le fait remarquer l’enquêteur Brice Noval, « si l’on y réfléchit bien, la fin de l’église abbatiale est moins le fait des révolutionnaires que des bourgeois. Ce sont des spéculateurs qui ont voulu optimiser leur profit. Des bourgeois qui se sont enrichis dans cette opération, au mépris de l’art, de l’architecture et de l’Histoire. » À méditer aujourd’hui...

Publié avec grand soin par les éditions Héraclite dans leur collection Terres de Bourgogne, Avril à Cluny nous donne le rythme de l’enquête policière, l’atmosphère romanesque et les rapides escapades dans le temps historique, tout cela concentré en 158 pages. Pas le temps de s’ennuyer !

Christian Cottet-Emard

 

 

19 janvier 2021

La petite musique de Nuel

Mémoire cash, de Jean-Jacques Nuel. Éditions Gros Textes. 84 p. 10 €.

jean-jacques nuel,mémoire cash,éditions gros textes,poésie,littérature,recueil,blog littéraire de christian cottet-emard,édition,publication

Jean-Jacques Nuel aurait-il un côté Modiano de la poésie ?

Cette idée n’est pas tout à fait absurde pour qui fréquente régulièrement son œuvre, notamment lorsqu’on ouvre son dernier recueil publié chez Gros Textes.

La nostalgie toujours présente n’est qu’un léger voile. Pas vraiment de C’était mieux avant qui pourrait alourdir le propos, juste un art de retenir un peu le temps à travers une narration brève, très visuelle, qui évoque souvent des photos jaunies ou en train de s’effacer, même si ces images n’ont pas été capturées par un objectif

(ce qui était merveilleux / en ce temps-là / c’est qu’on ne prenait pas / de photos / on vivait sans le moindre appareil / jamais l’idée ne me serait venue / d’immortaliser / les instants que nous vivions / et que je recrée depuis / à volonté / dans la chambre noire / de mon cerveau / en fermant les yeux / je te revois encore / comme en rêve / je n’ai de toi aucune photographie / aucun négatif / aucune image arrêtée / aucune chose / morte).

Des noms de rues et de quartiers parfois disparus ou méconnaissables où circulaient, têtus, des autocars avec leurs arrêts comme autant de balises dans le mouvement perpétuel et pourtant précaire de la vie quotidienne attestent d’une réalité certes ténue et provisoire mais vécue.

Des objets (distributeurs automatiques, illustrés d’enfance petits formats Akim Zembla, Blek le Roc et Mandrake le magicien vendus au bureau de tabac entre 50 et 80 centimes, cigarettes Gitanes, banquettes en skaï gris des compartiments de trains, carcasse d’une Peugeot 404, monnaies qui n’ont plus cours) racontent une époque pas si lointaine mais déjà emportée au large de l’océan sans retour.

Un visage en filigrane, une blessure qu’on a du mal à garder secrète et l’angoisse diffuse de l’impermanence imprègnent lieux et mémoire.

Omniprésentes dans l’univers nuélien où toute fixité est trompeuse (et où même les gares déménagent !), les gares, dis-je, sont des hauts lieux de la mélancolie avec leurs trains du soir voués, malgré l’exactitude de leurs horaires, à s’évaporer dans des atmosphères à la Paul Delvaux.

Comme dans les tableaux de ce peintre, règne une irrémédiable solitude jamais vaincue par les fulgurants progrès des outils de communication. Opérateurs du téléphone, cabines téléphoniques, téléphones fixes, téléphones portables, adresses de messageries, réseau internet, sans compter la boîte aux lettres (!), rien n’y fait. Le monde extérieur se fait avare de ses signes (c’est à se demander s’il n’est pas en permanence en dérangement), se demande le narrateur qui a fait le grand écart entre le petit appartement de la grande ville et la grande demeure de la petite campagne. Entre les deux, les kilomètres d’autoroute ont repoussé les horizons sans faire bouger la ligne.

Tout cela pourrait sembler bien sombre mais une magie opère dans le style de Jean-Jacques Nuel, d’abord parce que l’humour n’est jamais loin :

(les poètes auront beau dire / les éditeurs auront beau faire / les 2 stands les plus fréquentés / statistiquement / du marché de la poésie / restent la buvette / et les toilettes).

L’autre registre de cette magie est le discret lyrisme qui affleure sous cette écriture blanche en apparence mais jamais distante. Presque rien ne sépare le poète du passant ordinaire de la vie, celui que nous sommes tous et qui, par les mots de Jean-Jacques Nuel, devient, malgré le vertige du doute et de l’insignifiance, un passant considérable.

 

Christian Cottet-Emard