30 mai 2025
Carnet / L'inversion de la figure du héros
Dans la littérature et notamment dans la fiction romanesque, on observe une inversion de la figure du héros. Mon propos n'est pas de dater avec précision le début de ce phénomène encore qu'on puisse à grand trait en faire coïncider l'origine avec la démocratisation de la télévision au début des années soixante puis avec l'apparition des séries télévisées.
Dans ces divertissements et dans la littérature populaire, la figure du héros a progressivement évolué vers celle de l'anti-héros mais qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre de ces modèles de fiction, les deux s'incarnent dans des personnages différents du commun des mortels. Ils sont différents de nous et c'est pourquoi ils éveillent notre intérêt.
Restons dans la figure du héros. Le grand public admire le héros auquel il a envie de s'identifier tout en restant conscient qu'il ne peut atteindre son niveau de puissance, de gloire, d'intelligence, de courage et de toutes les vertus concentrées dans un seul individu. Il semble désormais que ces modèles d'identification se soient déplacés pour aboutir à une véritable inversion qui consiste pour le public à ne plus vouloir s'identifier à un héros dont il recherche, accepte et admire la supériorité mais au contraire à le supplanter. Le héros n'est plus l'extraordinaire mais l'ordinaire.
Le public préfère maintenant se contempler lui-même dans le miroir de sa banalité érigée en nouvelle figure héroïque. Après le héros et l'anti-héros, voici le non-héros. Je ne désire plus admirer un héros ou détester un anti-héros qui sont radicalement différents de moi, je désire au contraire trouver dans la fiction quelqu'un qui me ressemble, qui est « comme moi » ou mieux encore qui n'est que moi-même.
Les publicitaires qui fabriquent massivement de la fiction ont bien compris cette évolution car après avoir longtemps exploité la figure du héros (individu extraordinaire) auquel le consommateur peut s'identifier en achetant un produit, ils érigent ce même consommateur (individu ordinaire) en nouveau héros. Ainsi nous disent-ils : regardez comme vous êtes moches, médiocres, insignifiants, vulgaires, bornés, ignorants et fiers de l'être mais si nombreux que les nouveaux héros, c'est vous !
« Parlez-moi d'moi, y a qu'ça qui m'intéresse » dit la chanson qu'entonnent à chaque rentrée littéraire les médias promoteurs des fabricants de petits romans politiquement corrects, édifiants et souffreteux : ma déprime, mon exil, ma prostate, mon allergie, ma tronche en biais, mon changement de sexe, mon mal partout... Tamalou, héros des temps modernes !
Extrait de Essais et chroniques © Éditions Orage-Lagune-Express, 2025.
00:14 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, christian cottet-emard, ©orage lagune express, héros, anti-héros, non-héros, billets, chroniques, humeur
Écrire un commentaire