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20 mars 2007

Et Bach dans tout ça ?

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Dans un malheureux petit chaos de tôles de planches et de vieilles tuiles qui fut un jardinet poussait tranquille un saule marsault le plus aimable de tes voisins

La tronçonneuse le dévora en quelques minutes d’un de ces dimanches aimés des bricoleurs et tu informas le bricoleur que le temps tournait pour lui à l’orage

L’homme fila sans attendre d’autres précisions et le calme revint mais il y manquait la brise dans le saule et une lumière crue s’écoula comme de l’huile

Dix ans ont passé aujourd’hui et tu viens de t’apercevoir que le saule marsault pousse à nouveau ses chatons argentés dans le petit soleil ce qui a pour effet de te mettre en tête le cinquième choral Schübler de Jean-Sébastien Bach

« Le silence du monde avant Bach » a écrit le poète Lars Gustafsson tu comprends bien ce qu’il veut dire mais il ne faudrait pas oublier Dietrich Buxtehude, Nicolas de Grigny et Nikolaus Bruhns et tant d’autres dans un monde sans tronçonneuses dans un monde de saules

Tu le verrais bien pour ton enterrement le cinquième choral Schübler (si le curé n’est pas trop pressé) puisque c’est la musique qui te vient à l’esprit lors de la renaissance du saule marsault

Mais le saule est-il heureux de renaître dans le même chaos ou ne sait-il pas qu’il renaît ?

Et toi veux-tu renaître dans le monde des bricoleurs et des tronçonneuses ? Et Bach dans tout ça ?


Copyright : Orage-Lagune-Express, 2007.
Photo : chatons de saule marsault

17 mars 2007

Deux petits livres qui piquent

medium_jefume.2.jpgRepris dans ma bibliothèque ces derniers jours, ces deux petits livres qui piquent. Le premier, « Je fume et alors ? » de Jean-Jacques Brochier (1990), est plus que jamais d'actualité. L'auteur doit aujourd'hui se retourner dans sa tombe car la menace d'une société d'ordre moral et d'hygiénisme gagne insidieusement du terrain, certes sans trop de bruits de bottes et avec ce sourire commercial proche du rictus, ce sourire obligatoire qui, en vérité, fait froid dans le dos. Ne nous y trompons point, les crispations sur le tabac, le vin et la bonne vieille cuisine consistante ne doivent pas leurrer sur la nature de l’offensive des pisse-vinaigre et des gobe-mouches. « Le tabac est une forme de quant-à-soi, ce que ne tolèrent ni les États ni les fanatiques du Contrat Social, surtout quand ils se transforment, si aisément, en chiens de berger du troupeau rousseauiste. L’humour de Diderot leur fera décidément toujours défaut. » écrivait le directeur du Magazine Littéraire. J’espère que son âme vole aujourd’hui en paix au milieu des volutes de brunes et de havanes.

L’autre pamphlet de cette collection « Iconoclastes » (Les Belles lettres éditeur), je l’ai extrait du rayonnage spécialement réservé à mes livres de et sur René Char. Car je suis un passionné de René Char, ce qui ne m’empêche nullement de goûter cette petite merveille de méchanceté qu’est « Contre René Char » de François Crouzet (1992). La méchanceté n’a guère d’intérêt lorsqu’elle est sans intelligence et sans esprit, or elle en est largement pourvue dans ce petit livre qui déboulonne la statue du commandeur en usant d’un humour féroce, citations à l’appui. J’oserais dire que François Crouzet s’est bidonné précisément là où Paul Veyne a bossé. Tous les admirateurs de Char le savent, le grand poète s’est parfois caricaturé lui-même mais ses moments de faiblesse ne pourront égratigner ses poèmes les plus merveilleux, les plus solaires, pas même cette charge désopilante. Alors pourquoi mettre l’accent sur ce livre ? Mais pour ne pas tomber dans la vénération et la pompe commémorative, lesquelles menacent plus la mémoire de René Char que la joyeuse insolence de François Crouzet. Quant à réunir ces deux pamphlets en une même note, cela peut paraître incohérent mais à y regarder de plus près, ils dénoncent tous les deux le même mal, l’alliance du consensus mou à l’esprit de sérieux au service d’une société aseptisée à la violence feutrée. Le genre de société qui veut nous protéger du tabac plus que du diesel et de la chimie, le genre de société qui statufie le poète résistant d’hier mais qui goûte peu ce qui résiste aujourd’hui et encore moins la poésie.

11 mars 2007

Mobilité géographique

medium_harrison.jpg« Depuis lors, c'était le manque d'argent qui avait décidé de nos lieux de résidence, une situation sans nul doute partagée par la moitié de la population des États-Unis, et une contrainte que je connais pour y avoir été longtemps soumis. Beaucoup plus tard, lorsque Ronald Reagan a déclaré avec prétention que les habitants des régions à fort taux de chômage devraient simplement déménager, il ignorait de toute évidence qu'une simple visite à un médecin et le prix des antibiotiques poussent de nombreuses familles au bord de la faillite financière. »

(Jim Harrison, En marge, page 283, éditions 10/18)