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08 mars 2006

Tu écris toujours ? (36)

“À quel métier vous destinez-vous ?" demanda un jour de lassitude notre professeur de français en classe de sixième.
Écrivain ! répondis-je aussitôt mon tour venu, ce qui sembla susciter une légère surprise dans le regard et l’intonation de voix de l’enseignante.
Pourquoi souhaitais-je devenir écrivain ? La question ne me fut pas posée car la prof se ressaisit de son moment de fatigue, ce qui m’arrangea bien car ma réponse n’eût pas été littérairement correcte. Je voulais choisir ce “métier” pour avoir la paix.
Je pensais à cette époque que la plupart des écrivains vivaient seuls dans de vieux appartements silencieux ou dans de vénérables demeures nichées aux fond des bois dont ils ne sortaient que pour aller s’engueuler avec leurs collègues sur le plateau de l’émission “Ouvrez les guillemets”, programme de télévision littéraire qui précéda la très célèbre “Apostrophe”, et qu’ils se dépêchaient de rentrer pour passer leur temps à boire du Cognac ou du whisky et fumer des cigares. Je croyais aussi que les écrivains, puisqu’ils étaient des hommes de lettre, n’avaient plus que de lointains rapports avec mes pires ennemis, les chiffres. On notera ainsi que mes motivations, fort peu littéraires j’en conviens, étaient cependant vierges de toute velléité de gloriole ou de reconnaissance sociale. En effet, je ne voyais pas plus en ces temps lointains qu’aujourd’hui l’intérêt de rechercher l’estime et la reconnaissance de gens qui ne me sont rien. (Tenter de mériter l’affection de mes proches et de mes amis, c’est déjà pas mal.) J’étais simplement séduit par l’idée de pouvoir gagner ma vie en restant chez moi à noircir des cahiers, bien à l’abri des foules, et ce jusqu’à une retraite bien méritée. Je ne dirais pas que je me trompais sur toute la ligne mais sur le paragraphe entier.
Tout d’abord, je n’avais pas prévu qu’il me faudrait choisir ou plutôt subir un deuxième métier, purement alimentaire celui-là. Ce furent en fait plusieurs autres métiers tous plus subis et alimentaires les uns que les autres.
Collégien immature à peine ébroué des brumes de l’enfance, je vivais dans l’illusion d’un restant de patrimoine. Personne ne m’avait caché que les entreprises familiales avaient capoté depuis longtemps mais aucune menace ne pesait sur la grande maison de mon enfance, alors pourquoi s’inquiéter ?
L’esprit sans doute enfiévré de lectures romantiques, le collégien que j’étais avait imaginé un scénario qui tenait debout tout seul et dans lequel il s’arrogeait le beau rôle, celui du futur écrivain qui allait réussir tant bien que mal à pondre quelques livres dont les droits d’auteur s’avéreraient assez substantiels pour conserver la maison de famille le moment venu. Persuadé que ce moment fatidique viendrait très tard, dans un avenir totalement abstrait, je me disais, ainsi que le croient tous les jeunes, que j’avais le temps de voir arriver cette époque funeste.
L’adolescence, où s’invite grossièrement le réel, me sortit vite ce rêve de la tête, mais elle ne fit que l’essorer au lieu de le brûler au feu de l’action, et je traîne maintenant cette nostalgie dégoulinant comme une vieille serpillière, ce remords d’une renaissance manquée, d’une impossible rédemption par le verbe.
À cette idée naïve d’éviter la catastrophe de la vente de la maison familiale grâce à la rémunération de mon activité littéraire, se superposait une préoccupation voisine concernant l’intégrité de mon nom qui se trouve être un nom composé. À quel moment fut prise, dans ma famille, l’habitude déplaisante d’en escamoter la deuxième moitié, je l’ignore tout autant que les raisons d’une telle mutilation. Désinvolture, pulsions suicidaires inconscientes ? Toujours est-il que l’enfant qui croyait répondre au nom de Christian Cottet finit par réaliser à l’entrée dans l’adolescence qu’il s’appelait Christian Cottet Emard (sans trait d’union) et qu’il était temps de “raccrocher les wagons”, ce que je fis d’autorité au moyen du trait d’union pour bien marquer ma détermination à retrouver l’intégrité de mon patronyme. Deux conflits mondiaux et la déroute dans les affaires avaient suffisamment porté atteinte au moral de la famille et ce n’était pas parce que nous avions dû renoncer à l’aisance financière que nous devions aussi nous laisser amputer d’une moitié de notre nom. Je découvris d’ailleurs en évoquant le sujet auprès de mes proches parents que l’usage de ce nom tronqué leur causa de nombreux désagréments. Je ne donnerai qu’un exemple. J’évoquais plus haut les deux guerres mondiales mais je dois aussi ajouter celle qui mit si longtemps à dire son nom (décidément) : la guerre d’Algérie où mon père, comme beaucoup d’autres, faillit perdre l’occasion de me concevoir. Lorsque mon père recevait des colis ou des mandats envoyés par ses parents, le vaguemestre lui cherchait des noises : Cottet ou Cottet Emard ?
Dès que je mis en œuvre ma décision de signer de mon nom complet, dès que je passai à l’acte en somme, des dentiers commencèrent à grincer. Au lycée, une enseignante qui connaissait un peu l’histoire de ma famille s’autorisa une réflexion ironique.
Quelques années plus tard, je publiai mon premier recueil de poèmes sous mon nom. Lors d’une fête locale organisée dans la rue par la municipalité communiste (élue à cette époque grâce à l’absence de mobilisation de la droite certaine de remporter les élections), je fus convié à présenter le recueil au public et j’essuyai les sarcasmes d’une autre enseignante (de qui je n’étais pas l’élève) et de son mari, industriel hargneux, tous deux probablement exaspérés par la défaite exceptionnelle de leurs amis politiques !
Par la suite, lors de mes débuts de rédacteur dans le quotidien local, je fus encore confronté à l’hostilité et à la condescendance de plusieurs enseignantes du collège et du lycée, souvent mariées à des petits patrons locaux, qui connaissaient mon échec scolaire et qui n’admettaient pas qu’un “fumiste” dans mon genre (c’était leur expression) finisse ailleurs que sur les chaînes de montage des usines de leurs maris. La lecture de mon nom (agrémenté de son trait d’union !) dans les pages de leur feuille de chou et dans la vitrine du libraire constituait à l’évidence, pour ces petites bourgeoises arrogantes et dépitées, une provocation supplémentaire.
Tout à la fois étonné et amusé de ces réactions, je compris que ma volonté de reconquérir mon nom ne se limitait pas à un caprice d’adolescent désireux de s’affirmer. Aussi absurde, pathétique et dérisoire que cela puisse paraître, je m’aperçois aujourd’hui que ce que je vois dans ce nom imprimé en haut des couvertures de mes livres me fait immanquablement penser à l’ébauche stylisée, ainsi qu’en dessinent les enfants, d’un toit de maison.

(À suivre)

Commentaires

Je t'invite à lire le roman "Le nom", écrit par les bientôt célèbres duettistes Cottet & Emard.

Écrit par : Nuel | 08 mars 2006

Très intéressant, comme d'habitude, ce feuilleton.
Peut-on savoir, si ce n'est pas indiscret (mais en même temps tout, dans ton texte, nous donne envie de le savoir) pourquoi c'est "Emard" plutôt que "Cottet" qui était tombé, et que tu as dû ramasser ?
Autre question, qui apparaîtra peut-être naïve dans ta région où le phénomène est très courant (mais moi qui viens d'ailleurs j'ai peut-être une excuse...), alors, oui, sais-tu pourquoi les noms composés sont si nombreux ici, et d'où vient que le tien l'est aussi ?

Écrit par : Roland Fuentès | 08 mars 2006

Du Cottet de chez Emard !

Écrit par : Ray | 08 mars 2006

Parce que c'est toujours le dernier qui tombe cher Roland.

J'aime bien ce feuilleton, même si en tant que femme mariée le problème du nom est une autre histoire. Par mon expérience de deux noms, l'un jeune fille, l'autre ensuite, inutile d'avoir un nom composé pour être emmerdée. Puis, c'est sans compter les prénoms comme Pascal(e), Claude etc. qui vous font aterrir neuf fois sur dix où il ne faut pas. Seul bon souvenir, j'avais 10 ans: j'ai passé une semaine de colo dans une équipe de garçons, le temps qu'il pense à coller un "e" à mon prénom. J'y étais bien, voulais plus revenir en arrière. Mais la loi sexiste à veiller au grain...

Écrit par : Calou | 08 mars 2006

C'est de ta faute, Jean-Jacques, si toutes ces histoires de nom viennent troubler ma vie contemplative !

Ainsi que le dit Calou, Roland, c'est le dernier qui est tombé. Ils ont voulu faire court (et c'est moi qu'on accuse de paresse...)
Je n'avais pas remarqué que la région était plus riche qu'une autre en noms composés et je sens une grosse fatigue après moi qui me décourage de me lancer dans l'entreprise proustienne à laquelle Ray semble faire allusion.

C'est trop injuste, Calou, car même avec Claude comme deuxième prénom, je n'ai quant à moi pas eu la chance d'être expédié en colo chez les filles. Ma seule expérience de colo n'était pas mixte (1967 !) et il a fallu me retirer avant la fin du séjour pour cause d'allergie à la vie en collectivité. C'est pour cela que je suis contre le service civique obligatoire.

Écrit par : Christian Cottet-Flemmard | 09 mars 2006

Entreprise proustienne qui ne prend son sens que quand les deux côtés se rejoignent, mais on peut le faire sans doute en plus court !

Écrit par : Ray | 09 mars 2006

Cottet côté cour (t) c'est pas toujours beau à voir...

Écrit par : Christian Cottet-Emard | 09 mars 2006

J'aime bien le côté jardin et ses longues allées ombragées aussi, continue Christian!

Allez Christian, allez Christian, allez...

Écrit par : Calou | 09 mars 2006

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