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12 mars 2006

Tu écris toujours ? (37)

Conseils aux écrivains qui ont encore des amis non-écrivains et non-littéraires

Si vous êtes écrivain et que vous avez encore des amis non-écrivains et non-littéraires, voici quelques conseils pour les garder.
Ne vous fâchez pas s’ils vous demandent : “Tu écris toujours ?” mais rien ne vous oblige à répondre à la question. Feignez de ne pas avoir entendu ou répondez à côté. Ils n’en seront point étonnés car ils pensent que l’écrivain est distrait et qu’il adopte souvent des comportements étranges. Pour eux, un écrivain est une sorte de professeur Tournesol. En moins rigolo.
Au cours d’un dîner avec vos amis, ne faites pas l’écrivain. Montrez que vous êtes capable de vous intéresser à autre chose qu’à la littérature, même si ce n’est pas vrai.
Par exemple, dans une conversation qui vous ennuie, n’essayez pas de glisser, l’air de rien, une petite citation pour faire dévier les sujets abordés vers le seul (la littérature) qui vous fasse oublier votre assiette, votre verre ou le décolleté d’une amie de vos amis.
Ne parlez de vos travaux en cours que si l’on vous encourage à le faire (et soyez bref), sauf s’il s’agit de la rénovation de votre cuisine ou de la construction d’un clapier pour le lapin soi-disant nain qui a mangé la moitié de votre dernier manuscrit.
Vos amis ont sûrement des enfants. Le soir, avant le dîner, ne lisez pas de contes aux petits pour les aider à s’endormir, surtout s’ils sont de vous (les contes, pas les petits).
Si vous avez quand même lu un conte de votre invention aux enfants de vos amis pour les aider à s’endormir sous prétexte que l’apéro s’éternise et que vous avez les crocs et que, du coup, il ne peuvent plus dormir du tout, ne dites pas que le conte est de vous.
Si vous vous êtes tout de même vanté d’être l’auteur du conte qui a terrorisé les enfants de vos amis au lieu de les bercer et que leur mère vous fait la tête, concentrez-vous sur votre verre, votre assiette ou... Oh, et puis démerdez-vous.
Chez vos amis, quelques situations délicates peuvent se présenter. Si cela se produit, tant pis. Si cela ne se produit pas, tant mieux !
Quelques exemples :
Vous avez prêté une pile de livres (dont votre dernier paru) aux amis qui vous ont invité pour le réveillon de Noël. Lorsque vous en profitez pour les récupérer, on vous demande si vous pouvez attendre encore une semaine (“le temps qu’on enlève la crèche calée avec les livres empilés et recouverts de papier rocher”). Soyez compréhensif, dites “pas de problème.”
Et si vos amis vous rendent tout de suite celui dont vous êtes l’auteur en ajoutant “celui-là, tu peux le reprendre maintenant car il n’est pas assez épais pour caler la crèche”, soyez sport, répétez la formule “pas de problème.” Si vous portez votre veste de vrai tweed, vous pouvez ajouter en levant un sourcil : “pour une fois que ce j’écris sert une grande cause...” Vous vous sentirez ainsi très spirituel et décontracté et vous pourrez vous en réjouir intérieurement. La grande classe...
Vos amis non-littéraires lisent un demi-livre par décennie. Vous n’y pouvez rien. Et quant à vous, combien de matches de ballon regardez-vous à la télé ? Zéro. Et vos amis n’y peuvent rien. Vous êtes pire qu’eux et fier de l’être. Statistiquement, il existe peu de chances pour que le seul livre dont vos amis lisent la moitié en une décennie soit une de vos œuvres. Ne cherchez pas à lutter contre ce qui est plus fort que vous.
Vous publiez un nouveau livre. N’informez pas vos amis, ils se croiraient obligés de l’acheter.
Ne donnez pas votre livre à vos amis, ils se croiraient obligés d’en lire au moins deux pages.
Ces simples conseils vous permettront de conserver d’harmonieuses relations avec vos amis non-écrivains et non-littéraires. Ils vous seront reconnaissants de votre tact et avec un peu de chance, ils vous liront peut-être après votre mort.
Conduite à tenir après votre mort :
Si votre dernier livre est devenu un best-seller une semaine après votre décès et que vos amis se décident enfin à le lire la larme à l’œil en soupirant “on aurait dû penser à s’en faire dédicacer un exemplaire, on sait jamais, ça peut prendre de la valeur”, vous pourrez peut-être, à l’occasion d’une nuit d’orage ou de pleine lune, hanter leur appartement en faisant tourner les tables et couler du ketchup le long des murs.
Il se peut que tout ce raffut les réveille et qu’en vous découvrant en pleine lévitation au dessus du frigo, ils bredouillent les yeux exorbités et la bouche tordue d’un rictus de terreur et de remords : “mais... Mais... Tu... Tu écris toujours ?”
Alors, vous ferez briller vos yeux tout rouges dans le noir, vous dégobillerez une volée de clous (normal, vous n’étiez pas bricoleur) et un liquide verdâtre fluo puis vous gronderez d’une voix sépulcrale : “TROP TARD !”
Enfin, n’en faites pas trop non plus avec les effets spéciaux car ces gens étaient tout de même vos amis. Faites preuve de tact. Si leurs cheveux ont blanchi de frayeur, redescendez du plafond, détendez l’atmosphère et dites : “c’était juste une blague !” Du tact, vous dis-je et toujours de la courtoisie, de la discrétion, de la politesse... La classe quoi !

(À suivre)

Commentaires

La grande classe, décidément.

Écrit par : E.R | 13 mars 2006

C'est un commentaire gentil ou un commentaire méchant ? (Il faut tout m'expliquer, moi !)

Écrit par : Christian Cottet-Emard | 13 mars 2006

C'est un compliment mauvais, bien sûr, puisque jaloux de chaque paragraphe et de chaque transition, sans parler de la chute, voilà. Du grand art, sincèrement. (Quand même, vous figurez depuis longtemps dans mes liens, ça aurait du vous éclairer... c'est quelque chose, les écrivains !)
Bon en fait, oui, j'aurais du dire clairement du premier coup : merci pour ce pur moment d'auto-projection-mais-pas-que-ça-loin-de-là. Au grand plaisir de lire la suite.
E.

Écrit par : E.R | 13 mars 2006

"Pur moment", j'aurais trouvé bizarre car je suis grandement paranoïaque... et inquiet lorsque j'écris des horreurs sur le thème des amis !
J'en profite pour vous dire (je ne suis pas le seul) que je guette vos trop rares billets.
C'est en lisant celui du 23 septembre 2005, particulièrement incisif, que j'ai inscrit le lien.
Toujours heureux de vous lire,
CCE

Écrit par : Christian Cottet-Emard, abominable parano des neiges | 13 mars 2006

Quelle belle ironie que cette signature... Parano. Meuh non :-)!

Écrit par : Calou | 13 mars 2006

C'est très drole! Parano peut-être mais derrière ce texte, il y a sans doute un fond de vérité, c'est d'ailleurs pour cette raison que c'est aussi drole.

Écrit par : mauricechoukroun | 14 mars 2006

Excellent, j'adore ce style léger et ironique

Écrit par : Matthieu M. | 15 mars 2006

J'éternue mon bonheur.
Je me mouche dans vos saveurs,
Je bois grimaçant le sirop contre la toux de vos mots,
Supportant la migraine des miens, je fais dodo.

Veuillez pardonner l'existence de ces quelques lignes.
J'ai beaucoup aimé ce billet, c'est pourquoi je le mets à l'honneur sur mon blog.
Cordialement.

Écrit par : rasko | 15 mars 2006

Ne jamais s'excuser, enfin !

Bon. Les blogs étant le domaine de la congratulation aveugle, je ne dirai rien de plus, mais me contenterai d'agiter mes mains...
CLAP CLAP CLAP

Écrit par : francus | 23 mars 2006

Bravo :-(

(ben oui, quoi, j'ai droit de faire la gueule, je me sens un peu jaloux de ne pas l'avoir écrit moi-même, ce texte-là !!)

Bon, j'avais tenté une petite parodie des écrivains, moi aussi :
http://charliebregman.oldiblog.com/?page=lastarticle&id=508545

... mais après cette lecture, je vais me recoucher !

Écrit par : bregman | 27 mars 2006

je vous adoooore !

Écrit par : Véronique B. | 09 avril 2006

Les commentaires sont fermés.