23 octobre 2006
Comment tu t'es transformé en érable champêtre
Tu arrivais contre le vent le chevreuil ne t’a pas senti (une chevrette avec son faon)
Lorsqu’elle t’a vu il était trop tard le faon se risquait trop loin pour qu’elle puisse le récupérer tout de suite et bondir avec lui dans le monde des chevreuils
Tu ne bouges plus elle te fixe dresse les oreilles tu ne bouges plus elle ne bouge plus
Son réflexe de détaler mélangé avec l’idée de récupérer le faon l’immobilise
Elle te fixe et guette le moindre de tes mouvements un battement de paupières une respiration et son faon pas très loin mais trop loin d’elle
Elle te jauge elle s’inquiète mais ne fuit pas elle te fixe toujours tu n’as pas bougé d’un cil
Elle cherche à t’impressionner par toute une série de bruits comiques elle souffle chuinte jappe elle veut t’intimider tu ne bouges toujours pas
Tu sais très bien faire ça ne pas bouger pendant longtemps
Et au-delà d’un certain temps elle va t’oublier
Car pour elle une créature qui ne bouge pas pendant longtemps disparaît tout simplement de la circulation
La chevrette t’a oublié parce que tu ne bouges plus et comme tu es arrivé contre le vent elle ne te sent pas tu n’es plus pour elle
Tu n’es plus pour elle qu’un détail de la forêt peut-être cet érable champêtre sous lequel tu ne bouges plus et que pour cette chevrette tu es devenu
L’érable champêtre n’est pas un arbre qui se donne en spectacle il a peu d’ambition comme toi si ce n’est celle de vivre et d’éviter les ennuis
Te transformer en érable champêtre tu aurais bien aimé y arriver plus tôt dans les premières périodes pénibles ou stupides de ta vie
Devant la haute porte fermée de l’école primaire Sainte-Jeanne d’Arc qui faillit si souvent devenir la grande porte de la fugue : disparu le gamin en retard à sa place un érable champêtre
Au-dessus du gouffre du cahier de calcul où les baignoires débordent où les trains n’arrivent jamais à l’heure où s’additionnent les retenues : plus personne juste un érable champêtre
Au tableau poésie à réciter par cœur (qu’est-ce que le cœur et la poésie ont à voir là-dedans ?) : hop un érable champêtre
Dommage qu’il ait fallu attendre quarante-six ans mais ça valait le coup quand même ô vaillante et ingénieuse petite chevrette !
Copyright : Orage-lagune-Express, 2006
00:00 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Érable, forêt, poésie, chevrette, faon, littérature
Commentaires
sans penser une seconde à l'école, je suis simplement restée en admiration, profitant de ce même moment de grâce, un matin, en courant tôt dans le bois. Un couple se faisait la cour, c'était très beau, d'une élégance... peut-être est-ce leur chevreuil que tu as croisé.
Écrit par : Pascale | 23 octobre 2006
Un jour, j'ai rencontré toute la famille (chevreuil, chevrette, faon, chevrillard, daguet) mais cette fois-ci, j'ai surtout été frappé par les tentatives d'intimidation de la chevrette, étonnantes de la part d'un animal aussi discret et aussi craintif. Les mères avec leurs petits deviennent des lionnes ! Et c'est très bien ainsi.
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 24 octobre 2006
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