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12 octobre 2006

Dans l'automne flamboyant

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La caissière est accablée ainsi que le pompiste la vendeuse la guichetière le manœuvre de l’industrie et du bâtiment le garçon de café le directeur la secrétaire le représentant tous accablés l’employé administratif le laveur de vitres tous ils vivent des journées grises dans l’automne flamboyant

La caissière vit des journées grises dans l’automne flamboyant

Tu n’y peux rien qu’une grande partie de la population laborieuse de l’hémisphère nord déprime au travail et passe à côté de l’automne flamboyant

Toi tu ne peux rien pour la caissière tu as écrit un poème tu pourrais lui en faire cadeau elle ne saurait pas quoi dire ni faire tu la gênerais dans l’accablement de sa journée la tête des autres clients encore un de ces dragueurs

Tu as écrit un poème cette nuit peut-être n’a-t-il aucune valeur peut-être n’est-ce même pas un poème ou alors juste un fragment de poème un éclat

Tu as tiré cet éclat de poème de la mine de la vie sociale du début du 21ème siècle

Cet éclat brut de poème est devenu un poème entier parce qu’il t’a subitement relié à l’automne flamboyant même s’il ne parle pas directement de la splendeur de cette journée grise pour la caissière flamboyante pour toi

Tu as écrit ce poème sans nécessité commerciale aucun éditeur ne te l’a commandé

Il s’agit donc d’un acte absurde dans le contexte socio-économique de ce début de 21ème siècle en pleine gueule de bois européenne en plein milieu d’une petite ville industrielle française des massifs boisés du Bugey dont la devise est “Improbo fabrum labore ascendit” (*)

Tu as écrit ce poème comme a crié l’effraie que tu entends le soir lorsque tu fumes un cigare sur le pas de ta porte face à la forêt toute proche

Tu as écrit comme a piaulé la buse variable qui plane au-dessus de la clairière

Tu planes disent-ils tu planes pensent tes amis vous planez pourrait te rétorquer la caissière qui vit des journées grises dans l’automne flamboyant et qui aurait plus besoin d’un jour de congé que d’un poème le pauvre voilà ce qu’il a fait de sa journée un poème il plane le pauvre si c’est pas malheureux à 46 ans

Oui tu planes parce qu’un poème de rien du tout suffit à te relier à l’automne flamboyant oui tu planes ton regard plane parce que tu as conduit l’auto de bon matin sur le chemin départemental qui grimpe à flanc de montagne jusqu’à la crête

Tu as garé l’auto près de la souche du sapin pectiné géant (225 ans plus de 4 mètres de tour plus de 40 mètres de haut couché par la tempête du 27 décembre 1999) tu as continué à pied sur la crête jusqu’au point de vue d’où ton regard plane

Depuis la crête tu planes tu vois

Tu vois tout en même temps depuis la crête tu vois la ville loin la caissière aux journées grises dans l’automne flamboyant ton poème écrit cette nuit même en écoutant le Divertimento on “Sellinger’s round” de Sir Michael Tippett, la Sinfonietta de Benjamin Britten et le cri de l’effraie

D’ici tu vois tout et tu entends tout en même temps planer et piauler la buse variable

Tu vois tu entends tu sens tout de l’automne flamboyant qui lui aussi te guette t’écoute te flaire car il le peut grâce à la forêt par l’intermédiaire d’un pic d’un sanglier d’un chevreuil d’un passereau gros comme une noix

(*) “Elle s’est élevée grâce au travail opiniâtre de ses habitants”

Copyright : Orage-Lagune-Express, 2006

Commentaires

Très très beau ... Merci. Bonne journée

Écrit par : Elisabeth | 12 octobre 2006

Je ne voudrais pas dire de bêtise, mais je crois bien avoir reconnu la caissière…

Écrit par : j.-J. M. | 12 octobre 2006

Pourvu qu'elle ne me fasse pas un procès...

Écrit par : Christian Cottet-Emard | 12 octobre 2006

interessant, original... je cours les blogs pour de nouvelles découvertes... j'adore ca
pour les amateurs de texte:
http://unamiquivousveutdubien.blogspot.com/
un petit nouveau du blog qui fait ses preuves et qui a besoin de commentaires, d'encouragement ou de critique pour progresser pt etre encore bien que ce soit... à mon gout... tres bon!
merci pour lui de vos visites

Écrit par : ema | 12 octobre 2006

Oh non, pas de crainte à avoir ! D'après ce que je sais, elle encaisse bien la poésie et l'humour, la vie quoi !

Écrit par : J.-J. M. | 12 octobre 2006

elle vit dans une très belle photo cette caissière...

Écrit par : Pascale | 13 octobre 2006

Merveilleux poème, Christian; on peut même penser à Pessoa. Poème flamboyant. Bravo et merci!

Écrit par : P.A.G | 13 octobre 2006

* Elisabeth : merci de votre visite. Je partage tout à fait ce que dit Michel Butor que vous citez sur votre blog à propos de la naissance des poèmes.

* Ema : bien noté !

* Pascale : oui, mais elle rêve sûrement d'entrer dans la réalité qu'évoque cette photo...

* P.A.G : merci, je crois que je vais continuer le Pécharmant pour m'inspirer !

Écrit par : Christian Cottet-Emard | 14 octobre 2006

j'avais compris Christian et la vie est souvent plus supportable en rêve, en images et en poésie.

Écrit par : Pascale | 15 octobre 2006

"Oui tu planes parce qu’un poème de rien du tout suffit à te relier à l’automne flamboyant"

relier, le poème. Peut-être est-ce le cordon ombilical qui va tremper très loin dans les choses. Tentaculaire.

Écrit par : a.d | 17 octobre 2006

De là l'aspect "religieux", au sens fort et premier, celui qui fait dire à Bataille que les artistes de Lascaux (où l'automne est aussi flamboyant), ont projeté sur les parois la danse de l'esprit devant le monde, ainsi relié à lui sur le mode de l'intimité et de l'être. Si cordon il y a, s'il va si loin "dans les choses", les "choses non décachetées" dirait Rodin, c'est bien qu'il est en un sens, originel, métaphysique et, oui, poétique. Bon, j'arrête, point trop n'en faut.

Écrit par : J.-J. M. | 18 octobre 2006

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