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07 avril 2024

Une soirée poésie

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J'avais envie d'allumer un bon feu dans la cheminée (à quoi bon le faire en un autre endroit ?) à cause de cette maudite heure d'hiver qui fait tomber la nuit à dix-sept heures mais le temps que je conçoive d'amères pensées sur la mélancolie de ce début décembre doux et humide ainsi que de vagues rêveries sur les Noëls d'antan, Pelham avait déjà disposé le bois d'allumage et les bûches.

 

Contrairement à moi, Pelham est un homme d'action. Pendant que les flammes naissaient, il servit le Porto. N'est-il pas un peu tôt, Pelham  ? Je crois que Monsieur en a besoin. Vous avez raison, Pelham, mais servez-vous aussi, j'insiste, et asseyez-vous. Bien volontiers Monsieur. Entre deux gorgées, le valet de chambre me jetait des regards furtifs. Affalé dans mon fauteuil avec un plaid sur le ventre, je n'étais pas dans mes meilleurs jours. Pelham, quant à lui, était égal à lui-même alors que moi, j'étais inférieur à moi-même. Monsieur me semble un peu déprimé. Ne vous inquiétez pas Pelham, cet excellent Porto va y remédier. Pelham hocha la tête.

 

Si Monsieur le permettait, je pourrais lui faire part d'un constat. J'acquiesçai en sifflant mon Porto. Eh bien je crois que Monsieur mène une vie bien austère pour son jeune âge. Peut-être que Monsieur devrait songer à sortir, voir des amis... Je suis bien de votre avis, Pelham, mais ces petits plaisirs ont un coût et ce ne sont pas ces quelques heures de menus travaux à la banque qui vont me permettre de faire la fête. Pelham leva un sourcil, signe qu'une idée lui traversait la tête.

 

Je crois me rappeler que Monsieur aime la poésie et qu'il lui arrive d'en écrire. Eh bien, je pense utile de signaler à Monsieur qu'une soirée de lecture est organisée la semaine prochaine dans une propriété voisine de la nôtre, je veux dire de celle de votre tante. Cela vous changerait peut-être les idées, si je puis me permettre, Monsieur. Voyons, Pelham, regardez-moi. À part cette vieille veste polaire que les magasins de sport désignent comme adaptée aux randonnées mais qui sert en réalité de tenue d'intérieur aux jeunes retraités impécunieux et aux chômeurs au long cours, je n'ai rien à me mettre. Pelham leva son autre sourcil. Si ce n'est que cela, je crois que j'ai quelque chose pour vous, Monsieur.

 

En moins de temps qu'il ne faut pour le dire ou pour ne rien dire du tout si l'on est adepte du moindre effort comme moi, Pelham disparut et réapparut, ses mains noueuses et parcheminées agrippées à des crochets de cintres supportant des vêtements enfermés dans des housses. Aussitôt ouvertes, elles libérèrent des effluves de naphtaline qui firent immédiatement détaler le chartreux. Voyons, qu'avons-nous donc  ? inspecta Pelham. Un costume, un gilet, une chemise, une cravate avec son épingle, une pochette et ce superbe chapeau, le tout dans un parfait état de conservation. Oh, regardez dans cette boîte, Monsieur, les chaussures qui vont avec, impeccables  ! Du quarante-deux, à vue de nez, la pointure de Monsieur. Voyons maintenant la taille du costume, si Monsieur veut bien se donner la peine de procéder à l'essayage. Pelham orienta dans ma direction un grand miroir fendu qui avait dû être fixé au mur dans l'ancien temps mais qui s'était depuis sa chute confortablement calé contre les tentures dont même les mites ne voulaient plus.

 

Pelham ajusta les épaules d'un geste énergique, épousseta je ne sais quoi et me tourna autour comme s'il admirait une statue dans un musée. Incroyable, Monsieur, j'ignore qui portait cette tenue dans cette maison mais ce costume semble avoir été taillé pour vous. Un petit tour au pressing pour le rafraîchir et vous voilà prêt pour retourner dans le monde.

 

Vous plaisantez, Pelham, ce déguisement tombera en poussière au premier nettoyage  ! Aucun risque, Monsieur, voyez la qualité de cette étoffe, un tissage qui défie le temps. Mais voyons, Pelham, plus personne ne porte cela, c'est démodé. Une épingle à cravate en plus... Des boutons de manchettes... Et ce chapeau... Pelham balaya l'argument. Monsieur sait bien que la mode n'est qu'un éternel recommencement. Quant aux épingles à cravate, elles étaient déjà de retour dans les années quatre-vingt, et je ne parle pas des chapeaux qui n'ont jamais vraiment quitté la scène.

 

Concernant les chapeaux, Pelham avait raison. Parmi les nombreuses perversions affectant les hommes au début de leurs vieux jours, attacher leurs cheveux grisouilles en catogan et recouvrir le tout d'un Stetson relevait d'une pratique certes assez navrante mais fréquente. Si Monsieur souhaite se passer de l'épingle et des boutons de manchette pour apporter une touche plus décontractée, ce sera comme Monsieur voudra.

 

Quelques jours passèrent sans qu'il fût utile d'en conserver le moindre souvenir ainsi qu'il en est souvent dans la vie. Me voilà donc affublé de la sorte sur le boulevard où stagnent d'épaisses nappes de brouillard s'entrouvrant parfois sur un étrange clair de lune d'altitude. La grosse maison de maître où la poésie trouve refuge ce soir laisse peu à peu entrevoir sa masse sombre derrière un énorme saule pleureur qui frissonne dans l'air humide. Pelham a dû se tromper de date car aucune fenêtre n'est éclairée. En passant le portail rouillé qui grince après avoir résisté à cause de subtils entrelacs de ronces, je découvre plusieurs voitures qui furent des modèles de luxe en de lointaines époques mais dont les carrosseries sont désormais livrées aux outrages du temps. Je gravis le perron et jette un œil inquiet à la verrière fendue de long en large. Au seuil de la porte entrouverte, je me décide à faire demi-tour lorsqu'une rumeur mêlant des chuchotements et des bruits de pas me parvient aux oreilles. J'avance timidement dans un grand hall au fond duquel une petite porte ouvre sur un salon où l'on discute à voix basse.

 

Une silhouette me frôle. Ça vient de commencer, dit-elle en me désignant des sièges, prenez place. La pièce baigne dans une clarté laiteuse qui provient de l'éclairage public de la rue derrière la fenêtre. Une vingtaine d'ombres dispersées sur des chaises, des fauteuils et deux canapés recouverts de housses écoutent distraitement un gros poète barbu en chandail qui murmure son texte de manière presque inaudible. Parfois, il s'interrompt et se colle du ruban adhésif sur la bouche. Il le retire puis reprend la lecture de feuillets qu'il froisse et jette au sol au fur et à mesure de sa prestation. Cela me rappelle une soirée poétique à laquelle j'avais été invité lorsque j'étais journaliste. Le poète s'était présenté avec son ruban adhésif sur la bouche, s'était tu pendant un quart d'heure et n'avait retiré le ruban qu'au moment du buffet, une fois sa « performance » terminée.

 

À propos de buffet, voilà que je distingue quelque chose qui y ressemble dans la pénombre au fond du salon. Je m'en approche, l'air de ne pas avoir l'intention d'y toucher, ainsi que la plus feinte civilité nous enjoint de le faire, et je découvre que l'imposante table allongée est jonchée de verres, de couverts, de plats et d'assiettes grisâtres émergeant à peine de couches de débris et de poussière comme si tout avait été laissé en l'état depuis des décennies. Je suis à l'évidence tombé sur une soirée à concept, une sorte de happening, comme on disait dans les années soixante-dix. Non loin de cette installation, je m'aperçois qu'un type ressemblant au comique Popeck vautré dans un fauteuil bancal, vêtu d'une veste en velours et d'un pantalon à pattes d'éléphant, m'observe avec curiosité.

 

On s'emmerde, hein  ? me dit-il. Je n'ai rien d'autre à lui répondre qu'une moue dubitative. Le type se redresse péniblement. On ne vous voit pas ici d'habitude. Vous êtes de passage  ? Remarquez, nous l'avons tous été à un moment ou à un autre, mais tout de même, qu'est-ce qu'on s'emmerde  ! Et l'autre, là, qui parle dans sa barbe  ! Et celle-ci, ajoute-t-il en désignant une femme d'une cinquantaine d'années à l'allure d'adolescente attardée qui passe près de nous, elle va lire après le gros et elle va nous saouler avec ses vociférations contre les mâles blancs de plus de cinquante ans (tous des violeurs, bien sûr !) et ses sermons politiques sur le vilain Occident colonialiste  !

 

En entendant le grincheux parler d'elle, elle s'approche et grince  : si tu ne t'occupes pas de politique, la politique s'occupe de toi  ! Sur ces mots, elle lève le bras et lui fait un doigt d'honneur. Elle est  bizarrement vêtue d'une sorte de débardeur en laine d'où sortent deux bras maigres, ce qui me permet de constater qu'elle a tellement de poils aux aisselles qu'ils forment ce genre de boucles épaisses qu'on appelle des anglaises et qu'un couple de moineaux pourrait s'y aménager un petit nid douillet.

 

Ah, elle est gratinée la poésie  ! Après elle, ce sera du rap, gémit le grincheux. On se disait qu'on ne vivrait pas assez vieux pour entendre ces mecs à l'air perpétuellement fâchés aboyer en pointant l'index comme s'ils voulaient traiter tout le monde à la kalachnikov  ! Saisissant la balle au bond,  si j'ose dire, je lui réponds  : effectivement, tout cela est un peu téléphoné, mais pourquoi ne partez-vous pas ainsi que je me prépare moi-même à le faire  ? Oh moi, je suis là comme je pourrais tout aussi bien être ailleurs, ça n'a pas d'importance, soupire-t-il. Et vous, jeune homme, qu'est-ce qui vous amène ici  ? Pas la qualité du buffet, j'imagine  ! Puisqu'il aborde le sujet, je lui demande où je peux trouver un verre et grignoter quelque chose avant de partir. Le type éclate de rire. Mais mon cher, ici on ne boit pas et on ne mange pas. Ici, c'est le règne de l'Esprit  ! Et il éclate à nouveau de rire.

 

Peu désireux de communiquer, j'informe le grincheux que je vais prendre congé et je le salue. Ah, bravo, toutes mes félicitations, jeune homme  ! Enfin quelqu'un de sensé  ! Voilà qui me change de toutes ces momies  ! Je me doutais bien que vous n'en étiez pas. C'est une très bonne décision, quittez vite cette assemblée où, sauf votre respect, vous n'avez pas votre place, du moins pas encore, mais avant, je veux vous donner un conseil  : suivez la fée Clochette sous la crème éclipse, oui, la fée Clochette, là-bas, dehors où l'on voit la lumière  ! Le bonhomme ne manque pas de repérer l'expression de ma perplexité, même dans cette pénombre. Au fait, lui dis-je, pourquoi personne ne songe à éclairer ici  ? Le type ricane  : ah çà, mon cher, c'est l'idée de toute cette bande d'ahuris, par solidarité avec toute la misère du monde et pour sauver la planète  ! Pendant que le type éclate à nouveau de rire, le souvenir d'un curé qui refusait de faire sonner les cloches de son église parce qu'il estimait inconvenant de gaspiller de l'énergie en futilité alors que les pauvres manquaient de tout me revient en mémoire.

 

Veuillez m'excuser mais cette fois, je dois vraiment prendre congé. Je renouvelle mon salut et m'éloigne. J'entends le type qui répète son conseil  : n'oubliez pas, jeune homme, la fée Clochette sous la crème éclipse  ! Faites-moi confiance, je vous le dis car vous m'êtes sympathique, vous me faites penser à moi quand j'étais jeune, suivez la fée Clochette  !

 

Extrait de : Les fantômes de ma tante, roman humoristique. (L'avis de Jean-Jacques Nuel et de Jacki Maréchal)

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En vente par correspondance ici ou en m'envoyant un mail : contact.ccottetemard@yahoo.fr

Pour les personnes d'Oyonnax et sa région, ce livre est disponible à la librairie Buffet d'Oyonnax et au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax.

  • ASIN ‏ : ‎ B0CVS8GY37
  • Éditeur ‏ : ‎ Orage-Lagune-Express, diffusion Independently published (15 février 2024)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 178 pages
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 979-8879744651
  • Poids de l'article ‏ : ‎ 254 g
  • Dimensions ‏ : ‎ 12.85 x 1.14 x 19.84 cm

05 avril 2024

Carnet / Tartufferie culturelle 

carnet,note,journal,nouvelles du front,christian cottet-emard,politique,opinion,blog littéraire de Christian Cottet-Emard,chronique,opinion,tartuffe,tartufferieJe crois qu’il ne faut pas être dupe de cette frange de la classe politique actuelle qui, pour des raisons démagogiques, ne perd pas une occasion médiatique de prétendre goûter ce qui se fait (j’emploie ce verbe à dessein) dans les couches les plus basses de ce que produit l’industrie de la variété, en particulier de la chanson. 

Même s’il arrive que l’intérêt pour la culture littéraire, musicale et artistique d’une partie de ces gens n’atteigne pas celui d’un bachelier des années soixante (et encore, c’est se montrer généreux), je suis persuadé qu’en réalité, dans leur vie privée, beaucoup de nos gouvernants savent très bien profiter et faire profiter à leurs enfants de la vraie culture, celle qui élève par la beauté, pose question sur le monde et encourage à penser, à l’opposé de la sous-culture déversée au peuple comme du fourrage, celle qui enferme au lieu de libérer. 

Il fut un temps où les politiques cherchaient à rester discrets sur leur patrimoine financier alors qu’aujourd’hui, c’est sur leurs préférences culturelles qu’ils adoptent cette discrétion tant ils ont peur d’être qualifiés d’élitistes, tant il est crucial pour eux de laisser croire au peuple qu’ils sont comme lui et qu’ils aiment les mêmes choses que lui. 

Ils oublient qu’une partie de ce peuple goûte aussi la vraie culture et que l’affichage condescendant de leur soi-disant intérêt pour la soi-disant culture populaire (qui n’est en réalité même pas la culture populaire mais le produit de machines à cash que fait tourner l’industrie du divertissement bas de gamme et, ne l’oublions pas, l’industrie du luxe qui excelle dans la récupération et le recyclage de la médiocrité) cet affichage, dis-je, ne trompe que les naïfs. 

Il ne coûte pas grand effort à ces tartuffes de siffler une canette de bière médiocre dans des vestiaires ou de se polluer quelques minutes les oreilles avec de l’infra-langage sur fond de décibels car en réalité, dans leur vraie vie, ils ont leurs meilleures places réservées aux meilleurs spectacles.

03 avril 2024

À peine revenu, déjà nostalgique...

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