15 juillet 2005
Au pays de Papouasie
En classant des revues et des vieux journaux, je tombe sur plusieurs articles qui traitent de l’avant-garde littéraire. Belle occasion de retoucher un papier que j’avais publié dans la presse et sur le net à propos de ce grand "poétic circus" qui dresse non pas son chapiteau mais ses chapelles où l'on se la joue péremptoire, lincuistre et vociférant. Vous voulez jouer ? Alors voici les règles : investir les lieux et capter les subventions. Donne-moi ta bourse, je te tirerai la langue ! Et pendant que tu y es, pour te conformer aux usages de l’avant-garde, mords la main qui te nourrit si tu veux soigner ton image branchouille ! J’ai en effet en mémoire ce “livre” dont le texte se limitait à des successions de caractères typographiques jetés en simulacres de phrases sur les pages, produit voici quelques années à grands frais par un éditeur complaisant et qui a permis à son auteur de décrocher une aide financière à la création des plus grassouillettes. Loin de moi l’idée de jeter la pierre à cet écrivain qui a aussi publié de vrais livres. Il n’a fait que profiter d’un système qui encourage de telles farces.
Tout de même, cela faisait un petit moment que je ruminais un billet vengeur contre ces avant-gardes littéraires dont on nous rebat périodiquement les oreilles.
Longtemps, je me suis énervé de bonne heure contre ceux qui prétendent régulièrement confisquer la littérature et la poésie aux écrivains, aux poètes et aux lecteurs pour la réduire à un instrument de leur propre promotion. Et puis j'ai renoncé en me disant qu'en voulant dénoncer ces constructeurs d'usines à gaz, j'allais, finalement, leur faire de la publicité. Je laissai donc tout ce petit, très petit monde grenouiller dans son bocal en me disant que cela ne valait pas la peine. D'autant que l'avant-garde, comme la mode, ce n'est vraiment pas nouveau, c'est même tout le contraire : on refait du neuf avec du vieux et on assène à qui veut l'entendre (et là, il y a du monde) que la génération précédente (l’avant-garde d’hier !) était vraiment trop nulle !
L’avant-garde est un sport pratiqué par tous les poètes et les écrivains qui participent à des groupes et qui rejoignent des courants. Les surréalistes, par exemple, n’ont pas été en reste, bientôt relayés par les situationnistes. Entre chaque exécution d’avant-gardistes patentés par les suivants, la mayonnaise monte, tourne à l’aigre et rancit. L’avant-gardiste vieillit vite et mal. Logique. Peut-on imaginer une avant-garde permanente ? Au début du vingtième siècle, les imprécateurs pouvaient mousser le temps d’une génération. Maintenant, tout est balancé en quelques mois. La sauce se périme avant même d’avoir été touillée. Cela produit de comiques télescopages ponctués d’insultes tardives, délivrées à titre posthume comme celle-ci, proférée par un écrivain qui, sautant à rebours une génération, qualifiait deux ou trois surréalistes de “petits branleurs”, ce qui m’a bien fait rire même si, évidemment, je ne partage pas cette opinion.
Un jour, j'ai lu une lettre du poète Jean-Claude Martin, dans la revue Écrire & Éditer n°39. Et là, je dois dire qu'il me mâche le travail. Lui aussi, ça l'énerve tout ce monde qui met les pieds dedans et cette avant-garde, il l'expédie en une phrase : "Cette avant-garde est l'art officiel que subventionnent à tour de bras le ministère et les centres du livre par peur de passer pour ringards." Et pourtant, ils le sont, ringards, ceux qui se gobergent avec ces formules pointées par Jean-Claude Martin : "réfléchissent la langue" ou encore "réfléchissant la langue dans la langue" !
Et comme un bonheur, paraît-il, n'arrive jamais seul, voilà que la Petite revue de l'indiscipline de Christian Moncel (n°94) a appuyé elle aussi là où ça fait mal en soulignant le ridicule consommé (c'est le cas de le dire) de ce que l'on peut trouver dans certaines émanations de l'avant-garde poétique parfois baptisées "novpoésie".
Enfin, très loin de cette "nouvelle poésie française", soupe réchauffée régulièrement servie dans les casseroles de la presse (n°396 du Magazine littéraire, entre autres, et dans les marmites de l'édition (Espitallier et son anthologie chez Pocket), je cite le poète italien Mario Luzi : "les problèmes de l'avant-garde, je les sens comme miens également". Cependant, il ajoute un peu plus loin : "mais je suis complètement étranger à la pratique de l'avant-garde : le groupe, le manifeste, le tapage, tout cela n'est pas pour moi."
En être ou ne pas en être, de cette avant-garde, ou plutôt de cet avant-gardisme, voilà bien le marronnier de la presse littéraire. Aux dernières nouvelles, l’arbre perdrait ses feuilles. Il y aurait “reflux des avant-gardes”. C’est du moins ce que l’on a pu apprendre dans un article du Monde des livres (14 novembre 2003) consacré à l’écrivain Christian Prigent qui explique que “le mot avant-garde est devenu inutilisable” et pourquoi il en conçoit du regret. Son opinion en vaut une autre mais comment ne pas trouver significative l’accroche de cet article signé Patrick Kéchichian : “Malgré le reflux des avant-gardes, l’ancien animateur de la revue TXT n’a pas renoncé à l’exigence du nouveau.” La messe est dite, comme si “l’exigence du nouveau” (au fait, qu’est-ce que “le nouveau” en littérature ?) ne pouvait passer que par l’avant-garde et comme si tous ceux qui en ignorent les gesticulations n’étaient que plumitifs néoparnassiens poujadistes ! C’est que la nuance d’un Luzi ne semble guère prisée par les “éclaireurs” de l’avant-garde, surtout lorsqu’ils défilent en formation d’anthologie (celle, par exemple, publiée chez Christian Bourgois en 1995).
Qu’on veuille bien me pardonner ce vocabulaire militaire mais qu’on se souvienne du sens premier du mot avant-garde : “partie d’une troupe ou d’une armée qui marche en avant pour assurer la sécurité du gros de la troupe”. Si la faillite du système n’est plus à démontrer sur les champs de bataille du vingtième siècle, il semble qu’il y ait encore, sur le front de la littérature, assez de piétaille pour suivre dans le mur quelques quarterons d’adjudants à grandes gueules.
Allez, puisque je suis en verve de citations et que j'ai envie d'aller me coucher, je laisse conclure Léon-Paul Fargue avec son "Air du poète" :
"Au pays de Papouasie
J'ai caressé la Pouasie...
La grâce que je vous souhaite
C'est de n'être pas Papouète."
00:45 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (0)
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