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13 septembre 2005

Tu écris toujours ? (28)

“Camarade” de classe, passe ton chemin si par hasard tu te retrouves sur le mien car nous n’avons rien à nous dire.
Inutile d’aller boire un verre pour évoquer des souvenirs d’école dont les miens sont à 99,9% désagréables. En plus, j’ai déjà ce copain qui date du cours élémentaire et qui n’arrête pas de me demander si j’écris toujours alors qu’il n’a jamais eu l’embryon de l’idée d’ouvrir un de mes livres. Tu ne vas quand même pas t’y mettre, toi aussi ? “Camarade” de classe, toi qui réalise que oui c’est bien moi, je te vois venir avec ton air content m’infliger cette question à laquelle, sois en sûr, je ne répondrai pas gentiment si tu tombes de la lune un jour où je me suis levé du pied gauche voire même un jour où je me suis levé tout court.
Et ne va surtout pas t’imaginer qu’une de ces photographies d’écoliers en blouses que nous serions censés encadrer mais dont, en réalité, nous fûmes encadrés les mains sur nos pupitres puisse aujourd’hui établir entre nous un lien qui ne faisait déjà que se distendre avant-hier quand il n’aurait heureusement pas servi à nous étrangler mutuellement. Ne crois pas non plus, à la lumière de ces propos dissuasifs, que je te voue une haine particulière car tu n’es pas assez important pour cela. Entre nous, ce n’est qu’une question de distance, astronomique dirais-je. Nous sommes plus loin l’un de l’autre que deux planètes, que deux galaxies.
Si la sotte idée nous prenait d’échanger des souvenirs d’anciens combattants (alors que nous n’avons combattu rien ni personne - je m’en réjouis autant que tu t’en désoles - et que nous ne sommes “anciens” de rien du tout), une approximative politesse héritée des coups de règles du maître d’école sur nos doigts nous conduirait à mollement monologuer jusqu’au moment de nous séparer enfin.
Contrarié, tu auras trouvé moyen de me dire que de toute façon, tu n’as pas le temps de lire et qu’en plus, “le français et la poésie”, cela t’a toujours saoulé, sans doute juste après que je t’eusse infligé ma provocation favorite : “le foot, c’est le ballon rond et le rugby l’ovale, c’est bien ça non ?”
Essaie de méditer (je sais, cela te sera pénible) sur l’énigme et la mélancolie des rapports humains, toi que l’approche de l’âge mûr terrorise au point d’en arriver à me trouver presque sympathique alors que ce que je prenais chez moi pour de la maturité ne me sert à rien d’autre, après mon hostilité enfantine et forcément démesurée eu égard à ton insignifiance, qu’à te témoigner désormais ma neutralité malveillante.

PS : voici quelques années, tu m’avais reconnu dans une pâtisserie de notre petite ville et tu t’étais cru autorisé à me le faire savoir à haute voix, ce qui m’a contraint de te répondre que tu devais commettre une erreur, me confondre avec une autre personne, à la stupéfaction de la vendeuse qui, à cause de tes enfantillages, m’a refilé un éclair au café au lieu d’un éclair au chocolat en me demandant d’un air bizarre “c’est pourtant bien vous, monsieur Cottet-Emard, celui qui écrit ?”

(À suivre)

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