12 octobre 2005
Charles Ferdinand Ramuz
La musique fut la clef qui m’ouvrit les portes de l’œuvre de Charles Ferdinand Ramuz, l’auteur du texte de la célèbre “Histoire du soldat” d’Igor Stravinsky. Son entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade me donne l’occasion de mettre en ligne ma note de lecture publiée voici quelques années dans la presse et sur la Toile, après ma découverte de la nouvelle Le gros poisson du lac imprimée dans l’élégant petit volume des éditions Séquences.
Comment "Le gros poisson du lac", nouvelle écrite par Ramuz en 1914, a-t-elle pu rester inédite jusqu'en 1992 (bien qu'un édition pré-originale ait paru dans la revue L'Aventure humaine, au sommaire du numéro de l'hiver 1988) ? Gérald Froidevaux, en postface de cette première édition mise au point par Séquences, éditeur de la collection ramuzienne dirigée par J.-L. Pierre et qui comprend les principaux titres du grand écrivain vaudois, avance quelques hypothèses. Le texte reste néanmoins nimbé de mystère, non seulement en raison de cette publication tardive, mais encore et surtout par la veine dans laquelle il s'inscrit. Sans sacrifier au fantastique pur, Ramuz explore, dans un style d'une limpide économie, l'aspect le plus irrationnel et le plus ténébreux des motivations humaines.
De la chronique d'un pêcheur plus habile que les autres à sortir des profondeurs abyssales du lac une créature étonnante qui semble contenir l'essence de toutes celles de la création,y compris celle de l'homme, Ramuz amène avec sobriété le lecteur au cœur d'une méditation ironique sur le versant obscur de la vie, sur ce qui ne doit pas être révélé au grand jour ou arraché à un milieu naturel sous peine de se dénaturer au point d'entraîner dans la spirale de la régression, de la décomposition et du chaos tous les êtres ayant approché de près on de loin le mystère. Point d'évocation apocalyptique ou dantesque pour parvenir au but. Ramuz se contente de tenir la chronique du pourrissement, de ce qui se délite : ainsi de la victoire du pêcheur qui se transforme en un échec cuisant, de son prestige qui dégénère en mépris, de sa proie qui se décompose en un brouet infâme à peine dans les casseroles, de sa fortune consécutive à la vente du poisson à une population aussi avide de la nouveauté que du remboursement de ses dépenses insensées pour quelques grammes de chair inconnue. Au passage, Ramuz éclaire froidement les rapports de pouvoir et de trahison qui s'établissent entre les personnages, hissant son récit à la hauteur d'un contrepoint d'une évidente virtuosité.
A notre époque où la notion de "transparence" bascule parfois dans les excès de l'obsession hygiéniste, la nouvelle de Ramuz nous rappelle que l'homme, du haut de sa science et de son ingéniosité, doit aussi savoir prendre en compte l'opacité, le secret, l'énigme, gardiens d'une marge de liberté, et composer avec ces données de l'existence qu'incarne le fabuleux poisson.
Charles Ferdinand RAMUZ,
Le Gros poisson du lac,
1992, 64 p,
éditions Séquences,
125, rue Jean-Baptiste Vigier,
44400 Rezé,
- Deux volumes de la Bibliothèque de La Pléiade, éditions Gallimard (romans 1 et 2).
- Oeuvres complètes, éditions Slatkine.
- À lire sur Ramuz, deux excellents articles sur
Les carnets de JLK
16:30 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (0)
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