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08 novembre 2005

Tu écris toujours ? (31)

Parmi le bric-à-brac rescapé de mon héritage familial, traînent quelques dictons et proverbes qui viennent inopinément reprendre du service alors que s’est définitivement repliée la nappe des grands repas d’automne dans la maison centenaire.
Par exemple, “Le nom des fous est écrit partout”, entendais-je souvent dans mon enfance, et voilà que cette phrase vient aujourd’hui me titiller en pleine rédaction de ma bibliographie destinée à quelque hasardeux dossier de demande de très improbable “bourse de création”. Est-ce finalement cette fatidique sentence qui m’a déterminé à inscrire mon patronyme au pathétique fronton des couvertures de livres et pour socle dérisoire des éphémères colonnes de la presse écrite ? (Ne m’en veuillez pas de cette débauche d’adjectifs à laquelle je m’abandonne comme on cède parfois à une bonne vieille ration de frites-mayonnaise).
Mais à bien y regarder, comparé aux coupables de “graffs” et de “tags”, aux “lincuistres” des années 70, aux pigeons d’ateliers d’écriture, aux pétanquistes poètes, aux éjaculo-scripteurs précoces, aux sibyllins médianochistes, aux pondeurs de pavés, aux faiseurs de vers et autres polymorphes pervers graphomanes, je crois n’avoir pas trop abusé. Je n’ai point pratiqué le largage par avion de manuscrits photocopiés à quinze-mille exemplaires, n’ai jamais relancé d’éditeur aux abonnés absents et me suis abstenu de coloniser l’espace des petites revues en usant d’armes de publications massives. Mon obsessionnelle méfiance m’a même malencontreusement conduit à décliner d’honnêtes offres de collaborations à quelques-unes d’entre elles. Écrasé par ma lenteur à me dépatouiller d’un quotidien avec lequel tout le monde se débrouille avec efficacité, je fais de la rétention de manuscrit et mes oeuvres, d’avoir été pondues mais trop longtemps couvées, risquent de finir en oeufs de shadocks, vous savez, ces drôles d’oiseaux dont les oeufs en métal ne peuvent éclore que bien rouillés et d’où ne sortent que de vieux poussins. D’accord, j’exagère mais c’est tellement bon.
Lorsque j’ai commencé à tremper mes pieds dans l’océan des revues littéraires, dans les années 1980, des enquêtes plus ou moins élaborées faisaient état de plus de cinq cents titres épanouissant dans le plus sympathique désordre leurs fragiles corolles de papier à ronéo ou mûrissant quelque rare et aristocratique raisin. En attendant les récents miracles numériques, la photocopieuse, fée tristounette du bureau et du logis, vint s’activer au ménage des taches d’encres et autres pâtés fleurant fort la chimie des duplicateurs et des stencils. Entre temps, le nombre des revues dépassa le millier à la barbe des vénérables anciennes, toujours inaccessibles à certains prétendants à l’édition qui se vengèrent en inondant les petites nouvelles de leur frénétique production. Fervent lecteur de cette presse littéraire marginale, j’ai encore en mémoire des noms “d’écrivants” qui ont dû faire les beaux jours des officines de copie à dix centimes et les pesants matins de facteurs affligés d’un rédac’chef miniature dans leurs tournées. J’en suis même venu à éprouver une vague culpabilité liée à ma réticence à vaporiser ainsi mes vers et ma prose, que dis-je, à semer à tous vents des tombereaux de graine de poésie dans d’étroits pots à mots débordant d’ego à seule fin qu’une seule d’entre elle, haricot sublime, puisse un jour y entamer la monstrueuse germination d’un baobab céleste !
Je me réjouis aujourd’hui de cette paresse que je me reprochais jadis en constatant l’inanité d’une telle stratégie. Ces pisse-copie ont-ils bu leur propre bouillon ? Se sont-ils englués dans leur logorrhée ? En tous cas, je n’en entends plus parler, même pas sur internet. Ma parole, ils ont tous dû finir animateurs d’ateliers d’écriture, gestionnaires du patrimoine voire adjoints aux maires de leurs communes (en charge des affaires culturelles bien sûr...). Les plus retors d’entre eux auront peut-être même créé un Prix Littéraire qui se fera fort de primer un auteur déjà nobélisé. Pourquoi donc, me direz-vous ? Eh bien pour rendre leur Prix Littéraire célèbre, ma foi !
Mais alors, cet avertissement solennel et puritain “Le nom des fous est écrit partout”, (peut-être à l’origine de ma “vocation” littéraire) peut-il aussi expliquer ma flemmarde réticence à publier en revue ? Il se peut que cette fameuse flemme soit une bonne excuse. En attendant (assez mollement je dois dire) d’élucider ce mystère, je peux affirmer que si j’ai peu proposé de textes aux revues, celles qui m’ont publié m’ont offert à chaque fois une expérience unique, notamment Salmigondis, Le Croquant, Le Jardin d’Essai, Le Codex Atlanticus et Verso que j’évoquerai dans le prochain épisode de ce feuilleton.

(À suivre...)

Commentaires

Bonjour, ces jours-ci je relis tout "Tu écris toujours ?". Le passage ci-dessous :

"Ma parole, ils ont tous dû finir animateurs d’ateliers d’écriture, gestionnaires du patrimoine voire adjoints aux maires de leurs communes (en charge des affaires culturelles bien sûr...)."

me rappelle des vers du "gars qu'a mal tourné" de Gaston Couté :

"Y en a qui sont clercs de notaires
D'aut'qui sont commis épiciers
D'aut'qu'a les protections du maire
Pour avoir un post'd'employé "

On remarque la place de choix réservée dans les deux cas à l'administration publique.

Cordialement,

Ph. VIDAL

Écrit par : PhV | 24 août 2007

Ceci dit, je respecte l'administration publique, bien utile pour gérer le chaos du quotidien et sur laquelle on tire un peu trop facilement en cette triste époque de libéralisme bientôt sauvage.
Bien cordialement et merci de votre passage.

Écrit par : Christian Cottet-Emard | 24 août 2007

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