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13 décembre 2005

Tu écris toujours ? (34)

Tu écris toujours ? Aujourd’hui, ce n’est pas mon ancien et perplexe camarade de classe qui me le demande mais moi-même, quelque peu étourdi au milieu de ce que les commerçants nomment un “linéaire” et que j’appelle, moi, dans mon langage de péquenaud, le rayon de littérature de la Fnac.
À la fois heureux de cette abondance et découragé de cette pléthore, je suis prêt à parier qu’en cet endroit et en cet instant, nous sommes plusieurs plumitifs à nous poser la question.
Ce serait une idée, tiens : demander à une hôtesse de diffuser une annonce : “si vous êtes un écrivain qui a publié au moins un livre à compte d’éditeur et que vous vous posez en ce moment la question “Tu écris toujours ?”, veuillez vous présenter au café où vous seront offerts un gâteau et le dernier livre d’Alexandre Jardin. Une fois les profiteurs, menteurs, tricheurs, resquilleurs et autres opportunistes écartés après vérifications sur Electre, je ne suis pas loin de penser que nous formerions une joyeuse petite troupe bien émoustillée et reconnaissante d’entrer en jouissance de deux cadeaux certes bourratifs bien que d’apparence légère mais qui font toujours plaisir puisque, selon la formule consacrée, c’est l’intention qui compte. Et je ne parle pas du “bénéfice” de sympathie que la Fnac pourrait “capitaliser” dans cette animation promotionnelle qui ne mange pas de pain, même s’il y aurait toujours un ou deux grincheux pour tenter d’échanger leur Alexandre Jardin contre un autre livre ou contre un deuxième gâteau. Pour moi, par exemple, ce serait tout vu, je laisserais le Jardin pour un autre gâteau sauf si l’on me consent l’échange avec un petit bouquin d’Hubert Nyssen que j’ai déjà lu mais que j’offrirais volontiers : “Lira bien qui lira le dernier”, sous-titré “Lettre libertine sur la lecture” (Babel). Un éditeur et un écrivain talentueux dans le même monsieur, c’est trop injuste. (Si je n’arrive pas à me faire publier chez Actes Sud avec ça, je change de métier et je me fais cireur de chaussures à Bogotá).
“Je crois me souvenir, écrit Hubert Nyssen page 70, que Paul Léautaud, quelque part dans son journal, raconte qu’au Mercure de France, dans les années vingt, on sablait le champagne pour célébrer le succès d’un livre au cinq centième exemplaire vendu. Aujourd’hui un livre arrivant à ce niveau ferait ricaner, il serait désigné par les matadors de l’édition comme un bide innommable ou un four scandaleux, le solde du tirage irait sans retard au pilon et le responsable au chômage.”
Loin de moi l’idée de pousser la rengaine nostalgique d’une époque que je n’ai pas connue mais je ne peux cependant m’empêcher d’associer dans mon esprit l’image des coupes de champagne qui tintaient hier pour fêter les cinq cents exemplaires vendus à celle que nous infligent aujourd’hui les hautes sphères du commerce de l’édition avec tous ces zéros qui s’accumulent devant les chiffres de tirage, d’à-valoir et d’achats de droits. Ces chiffres, qui ne sont plus depuis longtemps ceux d’un artisanat mais ceux d’une industrie en pleine fuite en avant et dont la presse littéraire de grande diffusion (partie prenante de cette industrie) nous entretient à satiété dans d’assez répétitives “enquêtes” et de fort radoteurs articles au parfum de marronnier, nous dissimulent la réalité. Ils concernent une minorité d’auteurs en représentation parmi lesquels les plus intéressants doivent accepter bon gré mal gré d’être considérés au même rang que des stars du ballon, du fait-divers ou de la chansonnette. Quelques arbres pour cacher une immense forêt et tout un pan de la réalité de l’édition littéraire escamoté par des médias tellement imbriqués et impliqués dans les conglomérats de la communication que leurs journalistes et attachés de presse presque tous requis à l’abattage de la promotion ne peuvent et ne veulent plus s’intéresser à l’existence de petits éditeurs et de tirages (je parle de tirages et non de ventes) à cinq cents exemplaires ou moins ! Il n’est pas un mois ou une semaine où un de ces organes de presse ne nous rabâche ces histoires de négociation de contrats mirobolants, d’élaboration de stratégies de promotion fumeuses, de gestion de stock, de rotation lente ou rapide, de retour d’invendus, de caisses entières de livres qui repartent au pilon, de ventes qui décollent ou ne décollent pas (Télérama dernier en date avec un papier sur ce qui flotte encore après le reflux de marée de la rentrée littéraire intitulé “Par ici la sortie !”)
Toute cette gesticulation est présentée au public comme le quotidien de l’édition littéraire alors que ces grandes manœuvres concernent en réalité l’édition en général où, selon un chiffre avancé par Hubert Nyssen dans “Lira bien qui lira le dernier”, les écrivains, éditeurs et libraires littéraires (je souligne l’adjectif) “représentent à peine vingt pour cent du “marché” éditorial ”, ainsi que le précise le fondateur des éditions Actes Sud en appelant de ses vœux “une nette partition dans ce qui ne peut plus être un même monde sous peine de renouveler la fable du pot de terre contre le pot de fer.”
Pas du même monde : voilà la bonne formule.
À la lecture de l’article de Télérama sur l’épilogue de la rentrée littéraire d’automne, n’importe quel romancier inconnu raisonnable verrouillerait, dégoûté, son tiroir à manuscrits pour gagner sa vie en pratiquant la lombriculture et en consacrant ses loisirs à la contemplation de la Campanule des talus (fleur chère à mon cœur). Or, nous sommes très nombreux et nombreuses à “écrire toujours”, à être publiés par de petits éditeurs dont certains si minuscules qu’ils sont exclus de tout circuit marchand officiel. Les plus chanceux d’entre nous publient leurs œuvres dans les dernières maisons indépendantes des grands groupes mais pour combien de temps encore ?
Et pourtant elle existe cette forêt de vraie littérature dont je parlais plus haut, certes cachée par quelques arbres géants à la croissance souvent contre nature, et elle existera encore longtemps mais, sinon dans un autre monde, dans un autre paysage que celui des livres en batterie qui n’ont rien à voir, je le répète quitte à passer pour un affreux élitiste, avec les livres de littérature. Il suffit d’y réfléchir un instant pour réaliser que les nouvelles de l’industrie du livre d'élevage dont nous abreuve l’industrie médiatique ne concernent guère voire pas du tout notre artisanat. Au mieux peuvent-elles nous en distraire (de façon souvent burlesque) comme tout spectacle de lointaines paillettes, à la faveur d’une baisse de vigilance ou d’un moment de fatigue, car nous ne sommes effectivement pas du même monde.

Commentaires

Qui, aujourd'hui, éditerait encore Montaigne, Proust ou Valéry? Personne. Montaigne serait jugé trop difficile et en plus il n'écrit pas de romans. Proust est trop long et la monde est aux livres courts (on dit le lecteur pressé, mais la vérité est qu'un petit livre coûte moins cher à confectionner qu'un gros). Quant à Valéry, qui lit encore de la poésie?

A part vous et les lecteurs de ce blog, bien entendu.

Écrit par : Feuilly | 13 décembre 2005

Bonjour Feuilly
Même si certains lecteurs souhaitent des livres courts, cela ne fait pas forcément l'affaire des éditeurs qui, ne l'oublions pas, vendent non seulement le contenu mais aussi le contenant, c'est-à-dire du papier. Pour cette raison, ils ont besoin de publier des pavés qu'ils peuvent vendre à un prix élevé car beaucoup de lecteurs qui, paradoxalement se plaignent de livres trop longs, ont plus l'impression "d'en avoir pour leur argent" avec un bon gros livre qu'avec un petit (surtout si leur achat est destiné à un cadeau). Cela explique d'ailleurs l'utilisation presque systématique du fameux papier bouffant.
Il n'est donc pas certain qu'au bout de la logique commerciale, "un petit livre coûte moins cher à confectionner qu'un gros".

Écrit par : Christian Cottet-Emard | 13 décembre 2005

A mon avis le nombre de pages n'est pas vraiment ce qui coûte le plus cher. Les frais sont surtout occasionnés par la couverture (photo, dessin, etc.)
C'est pourquoi certains éditeurs acceptent de publier pour autant que l'auteur prenne en charge la maquette de couverture. En fait, c'est alors de l'auto-édition déguisée.
On m'a pourtant personnellement refusé un manuscrit (sans le lire donc) sous prétexte qu'il était trop gros et donc que le prix de revient était trop élevé. L'éditeur ne voulait pas prendre un tel risque financier avec un débutant.

Écrit par : Feuilly | 19 décembre 2005

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