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01 février 2006

Service national obligatoire : à qui profitent les émeutes ?

La vieille nostalgie franchouillarde du service militaire obligatoire hante toujours les recoins les plus moisis de certains esprits.
L’hebdomadaire “La Vie” (dont on se demande pourquoi il a renoncé à son nom d’origine (“La Vie catholique”) lance une pétition en faveur d’un service civique obligatoire, appel abondamment relayé par son grand frère Télérama, quant à lui bien inspiré de titrer “Mobilisation générale”. (On sent d’ailleurs, je me plais à le croire, un soupçon de scepticisme dans le papier de Luc Le Chatelier). Car il ne faut pas s’y tromper, malgré leur empressement à préciser “qu’il ne s’agit pas d’une quelconque nostalgie du service militaire”, ceux qui ont enfourché ce serpent de mer n’ont rien d’autre dans la tête, à l’exception des journalistes compromis dans cette initiative grotesque. Ces derniers, en professionnels aguerris, savent bien de quel engrais nourrir le pré carré de leurs chiffres de vente.
La liste des premiers signataires, publiée dans Télérama, parle d’elle-même et nous permet de constater une fois encore qu’il n’existe plus ni gauche ni droite dans ce pays, tout au plus un “centre” mou et baladeur dont les notables sont si désemparés qu’ils s’en trouvent réduits à aller fournater dans le magasin des accessoires les plus mités. Car le service national obligatoire (militaire ou non) est une vieille lune à peine éclipsée. Il est d’ailleurs utile de rappeler que la gauche avait engrangé des voix en promettant sa suppression, promesse qu’elle ne tint évidemment jamais puisque ce fut la droite qui passa aux actes.
On notera au passage le glissement rapide qu’a connu, entre l’automne et l’hiver, l’idée d’un service civique ou civil “volontaire” vers sa version “obligatoire”. Que va nous réserver le printemps ? Un nouveau glissement de “civique” ou “civil” (ah la subtilité du français !) vers “militaire” ? Encore tout récemment, la gauche ne s’est pas gênée pour exprimer son attachement à la conscription (Gremetz dans les couloirs de l’Assemblée Nationale et Hollande dans les colonnes du Monde, pour ne citer qu’eux).
La crise des banlieues, bon prétexte à ce regain d’ardeur à appeler la jeunesse sous les drapeaux, vaut donc à cette même jeunesse déjà bien malmenée par de croissantes difficultés dans ses tentatives de se construire une vie décente dans la société, un retour de bâton supplémentaire, celui de se retrouver avec l’épée de Damoclès du “service” sur la tête. Tous ceux qui ont connu cette époque du service national obligatoire se rappellent à quel point il était inadapté, foncièrement inégalitaire et handicapant au moment de l’entrée dans la vie professionnelle.
Sous prétexte qu’une frange de voyous sans foi ni loi s’en sont pris au bien public, c’est-à-dire à leur propre bien, et qu’ils ont incendié des autos dont les propriétaires n’avaient pas la chance de posséder un garage comme leurs compatriotes aux fin de mois moins difficiles, on pétitionne pour punir tout le monde. Dans cette affaire, on mesure l’inquiétant désarroi des élites qui nous gouvernent depuis trente ans avec une gauche qui est une véritable usine à recycler les utopies en cauchemars et une droite confite dans son obsession économiste. Cette gesticulation serait simplement pathétique si elle ne risquait pas de tourner au tragique en 2007, date à laquelle il sera dangereux de refaire aux électeurs le coup de “l’après 21 avril 2002.”
Quant au salmigondis qui tient lieu de manifeste à l’appel lancé par La Vie catholique, on y retrouve toutes les hypocrisies, disons même les prêches d’inspiration “Sabre et Goupillon” qui justifiaient en son temps le maintien aberrant du service militaire obligatoire : parodie de mixité sociale (comme si un an de caserne suffisait à faire oublier le faramineux écart économique et culturel entre les riches et les pauvres) et référence archaïque au sacrifice (pudiquement voilée de formules telles que “donner de son temps” ou, en version plus inquiétante, “contribution constituée par une part de notre vie d’homme, de femme”). Nous voilà prévenus : la caserne, ce sera aussi pour les filles. Quant aux belles notions de don, de gratuité et d’engagement, n’est-ce pas un comble de les voir si généreusement promues par des élites qui conçoivent et qui gèrent un système où tout est marchandise et qui prospèrent dans un monde où tout s’achète et se vend, notamment le temps, luxe suprême de plus en plus âprement négocié ? Ce fameux monde du travail où le dégagement est plus rapide que l'engagement...
Vous avez dit “mobilisation générale” ? Oui, contre le service obligatoire, qu’il soit civil, civique ou militaire ! Menaçons de retirer nos voix à tous les partis de gauche comme de droite qui persisteraient à vouloir agiter ce vieil épouvantail. Car sachons-le, en cas d’instauration d’un service national civique obligatoire, tout accès de fièvre bien prévisible dans un coin de la planète où la classe dominante jugera son petit commerce menacé aura tôt fait de le transformer de fait en service militaire.

P.S : ce texte renvoie à ma note du 18 novembre 2005, "Place des angoisses", dans cette même rubrique

Commentaires

Tout le monde est pour le service civique. Ce constat est accablant. J'échange quelques mails avec des connaissances pour leur montrer le caractère néfaste d'un tel projet, mais sans résultats.

Oui, il y a la nostalgie du service national (si on a fait le service militaire les jeunes d'aujourd'hui peuvent faire une service civique...).

Oui, ils sont persuadés de son utilité : il est vrai que 6 mois de travail gratuit fait par tous les jeunes sera utile à tous les autres, c'est vrai.

Mais il ne se rendent pas compte qu'un tel service sera forcément inégalitaire : les "débrouillards" ayant des relations feront des choses qui les intéressent, les autres ce qu'on leur imposera.

Il serait temps de faire une contre pétition...


Même de droite à 44 ans il est possible d'être contre un service civique obligatoire qui au moyen-êge s'appelait la corvée. Il est vrai que cela ne s'appliquait qu'aux serfs qui représentaient quand même 90% de la population, ce n'était donc pas "démocratique". Si la corvée s'applique à 100% de la population cela devient évidemment très démocratique surtout quand aucune des personnes qui voteront pour cette si généreuse idée ne fera pas ce service civique du fait de son âge. Nil novi sub sole

Écrit par : Olivier Ernst | 05 février 2006

Pour aller dans le sens de votre judicieux commentaire, Olivier, j'ajoute que l'idée du service civique obligatoire est typique d'une société qui a peur de sa jeunesse.
J'espère que les premiers concernés par cette "corvée" sauront refuser cette intolérable régression qui risque de venir s'ajouter aux autres, déjà bien assez nombreuses et qui touchent nos jeunes de plein fouet.
Tout cela relève une fois de plus de sordides calculs. Les chiffres du chômage n'en seront qu'un peu plus bidouillés.
Au fait, quel serait le statut des jeunes pendant le temps de leur service ? Le même que celui qui prévalait à l'époque du service militaire, lorsque, sous les drapeaux, l'on se retrouvait coupé de sa famille, de ses amis, de sa région et que l'on devenait tout simplement la propriété de l'État ?

Écrit par : Christian Cottet-Emard | 06 février 2006

Le service civique obligatoire ne doit en aucun cas être accepté ni rejeté sans avoir été examiné et débattu dans ses modalités, son contenu et ses impacts.
Il m'intéresserait d'en discuter avec vous sur ces bases - JPL

Écrit par : lahaye | 06 février 2006

Je pense, comme vous, JPL, qu'on pourrait effectivement débattre sur les modalités et le contenu du service civique mais à la condition que ce dernier soit envisagé comme volontaire. Or, l'idée du volontariat exprimée au lendemain des émeutes de l'automne n'est déjà plus d'actualité (l'a-t-elle été une seconde ?) dans l'esprit des porte-drapeau qui s'agitent en ce moment. Le champ de discussion se restreint donc de beaucoup.
À mon avis, ce qui se cache derrière cette affaire, c'est le retour d'une forme de conscription destinée à préparer l'opinion au rétablissement du service militaire. Lorsque ce dernier a été "suspendu" (ce terme est plus exact que "supprimé") par la droite pour des raisons essentiellement économiques, j'ai tout de suite pensé que ce progrès se révélerait très précaire tant il est classique et commode, lorsque tous les indicateurs sociaux sont au rouge, de brandir les drapeaux et de faire résonner les bruits de bottes. On sait où cela mène...

Écrit par : Christian Cottet-Emard | 06 février 2006

J'ai vu l'appel et me prépare à réagir sur mon blog. A ma connaissance, un service civique obligatoire n'existe que dans les dictatures et cela ressemble au STO. C'est inacceptable !

Écrit par : Fulcanelli | 07 février 2006

Le service civique obligatoire est, comme vous l'écrivez, Fulcanelli, inacceptable. Mais l'indignation que nous inspire cette idée ne doit pas nous conduire à comparer ce qui n'est pas comparable. Le STO, de sinistre mémoire, appartient à l'histoire de la seconde guerre mondiale et l'évoquer dans le débat sur le service civique obligatoire est hors-sujet. On peut critiquer avec véhémence ce mauvais projet mais on ne peut pas sérieusement accuser ses défenseurs d'avoir le STO dans la tête.

Écrit par : Christian Cottet-Emard | 08 février 2006

Cette histoire de service (peu importe ses différentes appelations) part du principe qu'il existe un seul moment dans notre existence (plutôt court, tout bien considéré) où l'on peut rendre service à son pays, à ses concitoyens, bref, à sa patrie. Mais qu'en est-il de tout ce que l'on fait avant et après le service ? N'est-il vraiment possible de se montrer "utile" (mot à définir) qu'à l'intérieur de cette période définie ?
C'est dans sa vie de tous les jours, c'est dans ses contacts avec les autres, ceux qu'on connait et aussi ceux qu'on ne connait pas, c'est au sein de son travail, de ses loisirs, de ses projets divers et variés, de ses voyages et de ses rencontres, c'est dans la multitudes des actions et comportements quotidiens que l'on trouve des occasions de se montrer civique, et "utile".
Et qu'en est-il de ceux qui, comme moi, ne se sentent pas plus français que n'importe quoi d'autre, et dont la seule patrie est la Terre ?
Je te rejoins à cent pour cent, Christian, quand tu parles de "sordides calculs". Tout ceci n'est (et a toujours été) qu'une vaste hypocrisie.

Écrit par : Roland Fuentès | 08 février 2006

Salut Roland.
Hypocrisie, c'est effectivement le mot qui convient, et cette hypocrisie s'organise une fois de plus sur le dos des plus mal lotis en ce moment, les jeunes, les étudiants des milieux modestes dont certains passent désormais plus de temps au boulot dans les grandes surfaces ou dans les officines de "restauration" rapide qu'à leurs études. Il ne manquait plus que le retour du service pour en rajouter une couche...
Et que ce soit la gauche qui s'accroche le plus à cette lubie est vraiment un comble. Ces gens qui prêchent la solidarité et la mixité sociale depuis leurs fauteuils-clubs, héritiers ou parvenus de la gauche-caviar, ont-ils oublié à ce point ce qu'ils avaient dans la tête lorsqu'ils avaient l'âge de faire leur service ?

Écrit par : Christian Cottet-Emard | 08 février 2006

merci à tous ceux qui réagissent contre ce dispositif scandaleux de "service civique obligatoire". Il est scandaleux à plus d'un titre : il ne s'impose qu'aux jeunes alors que l'idée est que "chacun puisse donner de son temps à la collectivité". formulation inquiétante en effet. Certains d'entre vous l'ont comparé aux corvées médiévales ou au STO. Plus près de notre époque, on peut aussi le comparer au Travail d'Intérêt Général qui est une sanction pénale, c'est à dire qu'elle est prononcée à l'encontre d'auteurs, co-auteurs ou complices d'infractions pénales. On considère ici clairement que les jeunes sont des délinquants. Pourtant, on leur reconnaît volontiers un caractère généreux et dynamique et on propose de récupérer cette générosité dans une obligation de service. Comment croire que l'on peut par une décision normative obliger à être généreux ou même susciter la générositer et le dynamisme. Les auteurs de ces propositions sont des pitres en sciences sociales !
Un jeune a déjà fait des choix de vie. Ils ont des formations différentes, des situations familiales différentes... l'idée est de les regrouper pour qu'ils fassent quelque chose ensemble. Là encore, on ne saurait efficacement loger à la même enseigne des jeunes qui n'ont rien à faire ensemble, par exemple ceux qui brûlent des véhicule avec des cadres totalement "insérés" dans la société pour reprendre un vocabulaire par trop stalinien. Il est bon que les jeunes quittent le giron familial ? C'est une réflexion très intelligente pour les jeunes qui ont femmes et enfants et qui seront obligés de les quitter pour "servir la France" ! Et celui qui a réussi à décrocher un emploi bien rémunéré dans un domaine où il peut mettre en valeur ses compétences, son dynamisme et ses ambitions ? Va-t-il devoir tout quitter pour aller "donner de son temps à la collectivité" ?
D'accord pour un service civique obligatoire, mais à exécuter d'abord par les gens qui n'ont pas encore accompli de service nationale notamment les vieilles dames qui font encore de la politique (et dont le dynamisme très affaibli à cause de l'âge ne peut que très faiblement profiter à la collectivité) et qui proposent d'imposer à des jeunes (même ceux qui sont innocents) le service obligatoire. Je crois que Ségolène Royal est favorable au service civique obligatoire. Rappelez-moi, qu'a-t-elle fait elle-même pour la France ? Et si on lui proposait d'accomplir elle-même un service en caserne ou ailleurs où elle soit logée en chambrée de six, sans être rémunérée, pendant un an ? Elle n'a certainement jamais connu cela. Ne serait-ce pas là une idée susceptible d'encourager ses élans de générosité et de dynamisme ?

Ce sont surtout des responsables du P.S. qui insistent sur le caractère obligatoire de ce service civique (sans vouloir choquer personne, le P.S. est à mon goût encore très idéologique, ce qui me semble inutile voire dangereux) mais il y a aussi des parlementaires UMP qui ont déjà signé des pétitions en faveur du service civique obligatoire et qui sont mêmes les auteurs de certaines propositions de loi... Le Président de la République avait pourtant, c'est déjà mieux, retenu l'idée d'un service civique facultatif. Le FN est clairement favorable à un service facultatif également, ce qui est, il faut le reconnaître, plus intelligent.

Je regrette de ne pas être un militant mais quand je lis des propositions aussi injuste, je réagis. D'après vous, quelle est la meilleure façon de lutter contre pétitions et propositions de loi en faveur de ce service obligatoire ? contre pétitions, projets de propositions de loi différentes à envoyer à des parlementaires ou à des partis, manifestations, bref, comment s'y prendre ?

Écrit par : Samuel GANDIN | 28 février 2006

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