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15 mai 2006

Tu écris toujours ? (40)

À ce stade de mon récit, je dois faire un aveu. Je ne crois pas en la vocation d’écrivain et c’est peut-être bien pour cette raison que j’ai raté de si peu le Prix de Poésie de la Fondation de la Vocation en 1988 : je n’y croyais pas, alors voilà, bien fait pour moi.
De toute façon, l’idée de vocation m’inquiète. Être appelé (et d’abord par qui et pourquoi ?) cela m’a toujours fait peur. Qu’est-ce qu’on attend de moi, qu’est-ce qu’on peut bien me vouloir ? Quant à celles et ceux qui s’estiment appelés (en général à un noble destin fort gourmand de l’énergie et de la vie des autres), disons-le tout net, je m’en méfie comme de la peste.
Foin de la vocation, pour moi l’écriture, c’est une autre histoire. Obscure, épaisse, lourde. D’abord le choix du pauvre. J’aurais de beaucoup préféré m’exprimer en musique car à mon sens, la musique dit tout. Et puis, c’est aussi de l’écriture. Mais pour communiquer le résultat, il faut un instrument, un orchestre, des interprètes... Tout un saint-frusquin...
La peinture est à cet égard moins exigeante, bien qu’il soit difficile de se passer d’un vaste atelier rempli de matériel. Tous les peintres que je connais, même les plus riches, se plaignent des factures à régler en achat de couleur et en frais d’encadrement. Quant aux galeries et aux vernissages pour convier le public, là encore quelle assommante logistique...
Rien de tout cela avec l’écriture. On ne dépend pas d’autant de monde qu’en musique ou en peinture. Quant aux investissements, ils se limitent au mieux à un honnête traitement de texte, à la rigueur à une machine à écrire pour les allergiques à l’informatique. En tout état de cause, un bout de crayon et du papier suffisent. Le plus fauché des plumitifs trouvera toujours de quoi noircir quelques pages. Même pas besoin de les publier ces pages, car le texte, lu ne serait-ce que par une seule personne, existe tout de suite, contrairement à la musique qui n’existe totalement que lorsqu’elle est jouée.
Cette idée de ne pas être pris en otage par la technique et par les autres va dans le sens de ma petite paranoïa. Elle me procure ce léger frisson de liberté tout en sachant que la liberté n’existe pas.
Tout gosse, je me suis astreint à écrire une histoire de cent lignes dans un cahier. À la fin, j’ai regardé mes pattes de mouches qui grouillaient dans les carreaux et j’ai ressenti une profonde impression d’étrangeté. On pouvait arriver à cela tout seul, par la seule volonté, en partant d’une pointe de crayon sur une page... Ces doigts qui tenaient le crayon, mes doigts si gourds, rétifs comme leur propriétaire, cet enfant incapable de lacer des souliers, ces doigts qui refusaient d’être habiles et dociles, qui cassaient tous les jouets un peu délicats, ces doigts-là pouvaient produire ces pages d’écriture, ils savaient tout de même faire quelque chose, ils acceptaient de le faire... Je n’en revenais pas.
Beaucoup plus tard, j’ai éprouvé le même trouble en découvrant mon premier texte dactylographié par une amie charitable avec une petite machine à écrire portative. Quel monde s’ouvrait alors à moi... Mais quel vertige aussi. Bien pire que cette niaise agacerie qu’on appelle la vocation !

(À suivre)

Commentaires

Je partage complètement ton avis. On peut avoir des facilités mais la vocation... je n'y crois pas. Ton texte m'interpelle et me fait penser à la très belle nouvelle de Camus: Jonas ou l'artiste au travail. Solitaire et solidaire...

Écrit par : Calou | 15 mai 2006

Je vais lire cette nouvelle.
Merci Calou.

Écrit par : Christian Cottet-Emard | 16 mai 2006

Elle fait partie de "L'Exil et le Royaume" mais elle a été éditée séparément en Folio à 2 euros, si tu ne veux pas lire la totalité du recueil. Je suis une fan de Camus, faudrait que je trouve le temps d'en mettre plus en ligne chez moi...

Écrit par : Calou | 16 mai 2006

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