16 juin 2007
Le sourire de Cézanne
Le sourire de Cézanne, Raymond Alcovère, roman, éditions n&b, 2007, 105 p.
Je n’ai jamais rencontré Raymond Alcovère mais la lecture de ses nouvelles, publiées dans la revue Salmigondis, et la fréquentation quotidienne de son blog (http://raymondalcovere.hautetfort.com) m’ont rapidement révélé l’évidence d’une nouvelle découverte littéraire, confirmée par la toute récente publication de son deuxième roman, Le sourire de Cézanne, par le même éditeur qui avait publié le premier, intitulé Fugue baroque, Prix 1998 de la Ville de Balma.
Sur la trame d’un amour entre Gaétan, étudiant de vingt ans, et Léonore, quarante ans, en pleine rupture sentimentale, le texte se déploie en une riche variation sur les thèmes de la peinture, du regard, avec en filigrane la question de la maladie d’Alzheimer dont est atteint le père de Léonore. La rencontre en mer de ces deux êtres à la recherche d’un nouvel élan aurait pu se limiter à une banale aventure s’ils n’étaient tous deux portés par une intense soif de beauté et de liberté qui ne peut s’épanouir que dans le dialogue permanent entre l’art et la vie.
Dans cette nouvelle traversée, Léonore tente de renaître dans l’écriture d’un livre sur les peintres et par l’appétit de vivre de son jeune allié, arrivé lui aussi à un carrefour de son existence. Gaétan et Léonore sont à l’heure du choix : l’oubli d’eux-mêmes, dans la futilité pour Gaétan et dans les deuils pour Léonore, ou le consentement à une nouvelle présence au monde. Pour avancer dans ce choix, il leur faudra savoir rester attentifs aux signes des forces de vie nées d’un regard d’artiste ou de l’ultime sourire d’un père.
À ce premier niveau de lecture, les fervents de la dimension romanesque seront déjà comblés. Mais l’art de Raymond Alcovère (qu’on pourrait, je le dis au passage, qualifier de coloriste dans sa merveilleuse manière de décrire les ciels) saura aussi les entraîner beaucoup plus loin, par la grâce d’une écriture harmonieuse, épurée, au rythme élégant et soutenu.
C’est cette fluidité de style qui permet à Raymond Alcovère de développer, en contrepoint, ses variations sur un thème qui lui est cher, la peinture, en particulier celle de Cézanne cité en ouverture : « Pourquoi divisons-nous le monde ? », interrogation cruciale pour Léonore et Gaétan dans leur aspiration à un accord sinon parfait mais pacifié, tant dans la dimension intime de leur amour que dans celle de leur environnement extérieur.
Cette quête d’unité dans un rapport harmonieux au monde qui réunit Léonore et Gaétan, Raymond Alcovère la suggère en évoquant ses peintres préférés par petites touches ponctuant le récit de courtes parenthèses d’une subtile érudition. Le lecteur se retrouve ainsi plongé en quelques notations en apparence improvisées dans l’univers de Cézanne mais aussi de Gréco, Vélasquez, Rembrandt, Caravage, Rubens, Delacroix, Picasso, Titien, Poussin, Miro, Zao Wou Ki...
Raymond Alcovère sait si bien partager son amour de la peinture qu’on pourrait conseiller la lecture de son roman à qui veut s’initier à l’approche esthétique des grands artistes, seuls capables de modifier notre regard sur nous-mêmes et sur le monde.
L’alliance du romanesque et du commentaire artistique éclairé fait en tous cas de cette belle histoire d’amour qu’est Le sourire de Cézanne une oeuvre d’une grande fraîcheur et d’une vitalité communicative, qualités littéraires aujourd’hui assez rares pour être soulignées.
20:25 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Roman, littérature, Cézanne, peinture, Raymond Alcovère, le sourire de Cézanne
Commentaires
Bonjour!
J'apprécie la justesse de vos propos et la qualité de votre critique sur le livre de l'ami Ray.
Merci pour lui. C'est un être d'une qualité rare. Ne lui dites pas, il risque de me haïr.
Je viens de temps en temps vous lire, sans bruit. Vous m'avez donné envie de lire "L'enfant et la rivière" de Bosco. Pour un peintre, la description des couleurs, cette rivière, les senteurs, ce Pascalet, ce Gatso, forment un univers inoubliable. Et le Racal...ce racal, quel mot.
Merci encore et bonne journée à vous.
Écrit par : Bona | 19 juin 2007
Va je ne te hais point !!! La haine, j'essaie de l'extirper au mieux de mon âme, avec toi ce n'est pas difficile ! Concernant Bosco, j'ai un faible (très prononcé) pour Malicroix, dont je relis des pages de temps en temps ; rarement un écrivain, je trouve, a réussi à rendre la nature aussi vivante !
Écrit par : Ray | 19 juin 2007
Sûr, je vais le lire.
Quant à Bosco j'ai un faible pour le Le mas théotime, nostalgie lointaine sans doute.
Écrit par : La Fanchon | 19 juin 2007
Bonsoir aux trois amateurs de Bosco.
D'une inspiration plus ténébreuse, son gros roman « Un rameau de la nuit » (Folio) décrit des vallons secrets, des parcs oubliés, de vastes promenades dans une nature dont beaucoup de gens n'ont même plus idée.
On a l'impression que Bosco s'est très vite désintéressé de l'histoire, ce qui pourrait laisser penser que le roman est raté, tarabiscoté, comme si le but était de perdre le lecteur dans le paysage. C'est évidemment ce côté « mal ficelé » du livre qui m'intéresse car en littérature, le risque du ratage peut bien sûr mener au chef-d'oeuvre.
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 20 juin 2007
oui ça c'est fascinant, nombre de chefs-d'oeuvres en effet sont mal construits ou déséquilibrés ou informes d'apparence...
Écrit par : Ray | 21 juin 2007
"Déséquilibre, informe apparence, mal ficelé, ratage",en voilà de "belles qualités humaines".
A LA fanchon: j'ai commencé le"Mas Théotime" ce midi justement, acheté hier d'occas chez Emmaüs à Narbonne. Quelle coïncidence!
Bonne soirée à vous tous!
Écrit par : Bona | 21 juin 2007
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