08 mai 2009
Tu écris toujours ? (49)
Conseils à ceux qui veulent donner des conseils aux écrivains
(Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Épisode publié dans le Magazine des livres n°15)
Depuis le temps que je prodigue des conseils aux écrivains et à leurs improbables amis, vous devez vous demander comment je peux remplir cette mission. C’est très simple, je fréquente quelques spécimens de ces individus sans pour autant appartenir à leur confrérie.
Si j’étais moi-même écrivain, je serais incapable d’en conseiller d’autres. Si vous avez des bourrelets, vous n’êtes pas le mieux placé pour conseiller celles et ceux qui voudraient réduire les leurs. Oh, bien sûr, le rêve très ordinaire de devenir écrivain m’a visité comme on peut l’être par un fantôme qui viendrait la nuit vous chatouiller les pieds. J’ai même cédé à la tentation dans ma jeunesse en envoyant un poème à un journal local. Le chef d’agence m’a téléphoné pour me féliciter et m’a demandé si je ne voulais pas, dans la foulée, couvrir l’assemblée générale de la société crématiste Les Feux follets. J’ai accepté cette corvée et quelques autres mais au bout de dix ans, j’en ai vite eu assez. À la onzième assemblée générale annuelle, j’ai tout envoyé promener, la presse et les crématistes. De toute façon, je ne brûle pas d’impatience à l’idée d’être réduit en cendres. Et puis, moi qui n’ai jamais fait de politique, je me vois mal finir dans une urne.
Un des écrivains que je conseille le mieux est mon voisin. Nous avons lié grâce à son chartreux, Sir Alfred, peu après mon installation dans ma modeste maison à quelques encablures de la demeure du Maître, une grosse pâtisserie de style rococo datant du début vingtième avec balcons, verrières, tourelles et tout le tralala. J’avais remarqué que Sir Alfred polluait ma pelouse juste après son repas pris vers midi. J’avais alors réussi à inverser le processus en attirant le matou une heure avant avec des friandises dont il se remplissait la panse pour retourner œuvrer dans le gazon, mais cette fois-ci dans celui de son propriétaire. Retour à l’envoyeur. Après une petite explication avec l’écrivain qui avait découvert mon stratagème, nous étions parvenu à une entente cordiale dans l’intérêt de Sir Alfred, ce glouton ne pouvant tout de même pas continuer indéfiniment à risquer l’apoplexie à force d’ingurgiter tous les jours une double ration.
Mes visites à l’écrivain dont je tairai le nom — je puis juste indiquer qu’il connut jadis un grand succès avec son roman traduit dans le monde entier, même en inuit, L’Amour est enfant de poème — obéissent toujours au même rituel. Très chic, je dois dire. La vieille gouvernante anglaise au visage mal rasé me jette un regard en dessous en me débarrassant de mon pardessus après quoi elle lève un sourcil et m’accompagne dans une antichambre poussiéreuse mais très chic. Tout est très chic dans cette maison, même la poussière. Elle entrouvre une porte dans la pénombre et prononce mon nom avec un accent anglais, ce que je trouve vraiment très chic. « Qu’il entre ! » soupire une voix pendant que la gouvernante file à l’anglaise bien sûr et que Sir Alfred en profite pour s’esbaudir dans la bibliothèque où l’écrivain m’indique un fauteuil club griffé devinez par qui.
Sir Alfred s’empresse de se coucher sur mes cuisses dans lesquelles il plante ses griffes sans que je puisse protester car cela interromprait la conversation. Lorsqu’il bâille, on croirait avoir soulevé le couvercle d’une poubelle ménagère abandonnée une semaine de canicule pour cause de grève des éboueurs. Heureusement, l’écrivain m’offre un cigare dont quelques volutes dirigées avec adresse sur les moustaches de Sir Alfred suffisent à me libérer de la tiède et gélatineuse pesanteur qu’il inflige à mon centre de gravité. Au moment où je pourrais enfin jouir en paix de nos échanges littéraires, la gouvernante anglaise vient servir le thé, breuvage certes décevant mais on ne peut plus chic, ce qui me donne au moins une occasion dans la journée de boire de l’eau, conformément aux conseils de mon médecin obsédé par l’hydratation. Avec une gouvernante jurassienne, peut-être aurais-je eu droit à une fine du Jura.
Ma patience à endurer les familiarités de Sir Alfred, son haleine de poney et le fade glissement du thé dans mon gosier me valent autant la sympathie de l’écrivain que mon souci de ne pas chasser sur les mêmes terres que lui. Il me croit encore journaliste. Je ne démens pas car les écrivains qui se supportent rarement entre eux tolèrent plus facilement un tel plumitif dans leur entourage, à condition qu’il sache adopter les attitudes hiérarchiques appropriées (par exemple, l’écrivain doit toujours manger le premier). Sur ce point, mon prestigieux voisin n’a rien à craindre. Le succès d’un seul livre l’ayant dispensé d’en écrire d’autres, il incarne un rêve aujourd’hui partagé par de nombreux auteurs : devenir écrivain sans être obligé d’écrire, le comble du chic.
La suite du feuilleton dans le magazine des livres n°16 (mai 2009) actuellement en kiosques.
09 mars 2009
Tu écris toujours ? (48)
Conseils
à ceux qui veulent déménager un écrivain
Il est toujours pénible de déménager mais l’affaire se complique si vous avez un écrivain à la maison. L’écrivain, c’est un peu comme l’armoire bressane qu’on se transmet d’une génération à l’autre, ça voyage mieux dans le temps que dans l’espace. Si vous la manipulez sans ménagement, si vous la transbahutez sans égards, elle risque de se voiler pendant le transport et elle sera de guingois lorsque vous voudrez la remonter. Pareil pour l’écrivain. Lui aussi, il est lourd, encombrant et fragile. L’écrivain aime le changement mais en même temps, il a en a horreur, ce qui explique la difficulté de le déménager. Deux ans avant, il est d’accord, deux jours avant, il ne veut plus bouger.
Parfois, les écrivains construisent des cabanes où ils s’enferment pour écrire en paix ou pour renoncer au monde. Ces constructions précaires sont souvent dangereuses en raison de leur conception hors normes. Tous les écrivains ne construisent pas de cabanes, nombreux sont ceux qui travaillent dans leur bureau. Mais qu’il s’agisse de l’un ou l’autre de ces refuges, il conviendra de procéder à une prudente inspection de ces lieux inhospitaliers pour le commun des mortels avant d’envisager l’évacuation. Le plus pratique est de persuader l’écrivain d’abandonner sa cabane en emportant le strict nécessaire. Si la cabane contient rarement des objets de valeur, il n’en va pas de même pour le bureau où l’écrivain a pu dissimuler ses trésors. Il sera tellement perturbé par le déménagement qu’il vous faudra veiller à ce qu’il n’oublie pas ce qu’il considère comme son bien le plus précieux, la bouteille de single malt quarante ans d’âge par exemple. Si vous êtes l’épouse de l’écrivain, vous savez sans doute où elle se trouve. Si vous l’ignorez, je vous suggère de bien observer la bibliothèque du bureau ou les livres sur les étagères de la cabane. Vous ne remarquez rien ? Approchez et observez l’alignement des livres. Ne trouvez-vous pas bizarre que les tranches des volumes de grands formats soient sur la même ligne que celles des livres de poche ? Mais oui, c’est là que le flacon est caché, juste derrière l’astucieuse collection de vulgarisation poétique « La poésie c’est dans la poche » des éditions Galimatias.
L’écrivain aura toujours du mal à quitter sa cabane s’il l’a construite de ses propres mains. On peut espérer qu’il s’adapte en essayant d’en assembler une autre dans la nouvelle propriété mais si un quart de siècle a passé entre la construction de la première et l’annonce du déménagement, mieux vaut emporter aussi la cabane. La présence d’un animal familier dans le bureau ou la cabane de l’écrivain peut compliquer le déménagement. Pour les mygales, boas constrictors, crocodiles et félins, ne comptez pas sur moi pour vous donner des conseils. Appelez plutôt les pompiers. Il paraît qu’ils suivent des stages pour cela. Si vous ne savez pas comment transporter le python et le cochon d’Inde, laissez les faire connaissance et vous ferez d’une pierre deux coups. Le second voyagera dans le premier, vous savez, comme le canard dans Pierre et le loup de Prokofiev. Non, je plaisante.
La plupart du temps, c’est plus simple, avec un grand classique : le matou. Surtout, se conformer aux habitudes, même les plus anodines. J’ai connu un chat d’écrivain qui en était pétri, comme son maître. Ce gros chartreux s’appelait Sir Alfred et, contrairement à son propriétaire — si tant est qu’on puisse être propriétaire d’un chat — il avait accédé à une certaine notoriété dans son quartier en raison de son goût immodéré pour les sardines en huile de la fameuse marque « Ohé matelot » . La cause du déménagement de cet écrivain était son récent divorce et ce fut sa nouvelle compagne qui commit une regrettable erreur. Pour s’attirer les bonnes grâces de Sir Alfred, elle décida de lui servir elle-même sa boîte de sardines, mais comme il n’en restait plus, elle sortit se réapprovisionner au supermarché et choisit les moins chères. Sir Alfred fut très malade car il ne supportait que les « Ohé matelot » , disponibles uniquement en épicerie fine, et la nouvelle compagne de l’écrivain ne se porta pas mieux après avoir nettoyé ce que Sir Alfred avait abandonné aux quatre coins de la maison en émettant des sons affreux.
Finalement, quand on y pense, mieux vaut ne pas déménager, ne pas divorcer, ne pas donner des sardines en huile à un chat et tant qu’à faire, ne pas avoir de chat, ne pas vivre avec un écrivain, ne pas naître... Allez, ce n’est rien, juste un petit coup de déprime provoqué par le déménagement. Après, lorsque vous serez installé dans votre nouvelle maison, vous ferez la traditionnelle dépression du propriétaire et ensuite, vous verrez, tout ira beaucoup mieux, une petite décennie plus tard, quand l’écrivain aura retrouvé sa place parmi les meubles.
Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Épisode publié dans le Magazine des livres n°14.
00:34 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : feuilleton, presse, magazine des livres, littérature, édition, chat, écrivain, conseils, publier
02 mars 2009
Fantôme au sommaire
Le moins que l’on puisse dire, c’est que je ne submerge pas les revues littéraires de mes envois. Lorsque l’une d’elles publie un de mes textes, il s’agit le plus souvent d’une commande ou d’une invitation. La probabilité d'être au sommaire d’une de ces revues en même temps qu’un ancien éditeur à compte d’auteur abusif qui se dit poète était donc faible. Par je ne sais quelle ironie du sort, cela vient de se produire.
Aux rivages de la cinquantaine, je ne vais pas gâcher mon plaisir de renouer avec cette revue de qualité qui fut la première à me publier alors que je n’avais pas vingt ans, sous prétexte d’y retrouver, je ne dirais pas la signature, mais la trace de cet individu. J’avais expérimenté ses magouilles à la fin des années 70 du siècle dernier alors que je ne connaissais rien aux pièges et aux réalités de l’édition.
Je suis tenté d’attribuer ce clin d’œil ou plutôt ce rictus du destin au hasard, à moins que ce fantôme du compte d’auteur à l’ancienne, besogneux valet des Chiffres, ne trouve aujourd’hui d’autres loisirs à ses vieux jours que d’inonder les comités de rédaction de ses « Lettres » . La prescription dont il bénéficie désormais en raison de son grand âge m’autorise à lui souhaiter d’être mieux traité par la poésie qu’il ne la traita lui-même, jadis par ses petites entreprises et maintenant par la pauvre plume dont il signe ses « poèmes » .
14:41 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : édition, compte d'auteur, arnaque, fantôme, plume