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28 juillet 2008

Tu écris toujours ? (45)

Conseils aux écrivains qui cherchent un emploi


Puisque notre déplaisante société commande aux écrivains de perdre du temps dans un métier alimentaire, il faut dégoter la perle rare, un job qui vous permette d’être payé à ne rien faire. Ce sera dur.

Pour de multiples raisons dont nous nous fichons éperdument, les écrivains dépourvus de rente ou d’héritage cherchent souvent un emploi. Je dis bien un emploi et non un travail car tous les écrivains ont du travail. Ce fléau, personne ne peut y échapper et même si vous voulez mener une vie de fainéant, cela vous demandera du travail. Si j’avais trouvé le moyen d’écrire des livres sans que cela m’eût demandé du travail, j’aurais fait breveter le système et j’aurais fait fortune, ce qui m’aurait permis de me consacrer entièrement à la littérature voire de ne pas me consacrer à quoi que ce soit. Ceci n’est qu’un rêve qui aura peut-être une chance de se réaliser dans un monde meilleur à moins qu’il ne soit déjà la réalité dans un lointain système solaire mieux réussi que le nôtre car organisé selon des lois physiques ne condamnant pas toute créature à travailler à sa survie et par la même occasion tout écrivain à s’employer à autre chose qu’à la littérature. Nous entrons là dans la science-fiction.

Conscient des réalités du marché du travail et des menaces proférées au sommet de l’État à l’encontre de ceux qui n’ont pas forcément envie de « gagner plus », vous voilà prêt à épousseter des tombes, à vous faire faux boiteux gardien d’usine désaffectée comme dans le film Marius et Jeannette, à broyer des archives, à surveiller des maisons piégées pendant les vacances, à promener des chiwawas de duchesses, à faire la lecture à des sourds et à raconter la télé à des aveugles. Dans tous les cas, vous avez vos chances, à condition de respecter une règle : savoir rester discret sur vos activités littéraires. Une existence d’écrivain clandestin se profile. Vous devez vous y préparer. L’idéal serait évidemment d’arrêter d’écrire mais on ne se refait pas et chassez le naturel et il revient au galop et qui a bu boira... Il ne faut pas dire que vous êtes écrivain. Vous le savez depuis longtemps. Vladimir Nabokov l’affirmait déjà en constatant que se présenter comme écrivain n’était pas le meilleur moyen de séduire les Lolitas, alors vous pensez, les employeurs...

Chercheur d’emploi confronté à un sergent recruteur dont vous avez envie de vous payer la tête parce que le boulot dont il vous juge de toute façon indigne vous paraît inepte, essayez juste une fois pour rire de mesurer l’effet somptueusement dévastateur sur l’entretien d’embauche de cet aveu : « pendant mon temps libre, j’écris ». Si le job vous paraît convenable, faites l’impasse sur l’écriture. Tout ce que vous voulez mais pas écrivain. Tout ce qui vous passe par la tête (je fais de la planche à voile, du ping-pong, du lancer de Père-Noël, du kidnapping de nain de jardin, de la pêche à l’holothurie, de la chasse à l’échinocoque, je me pends au lustre, je m’esbaudis es champs... Tout, vous dis-je, mais pas écrivain. C’est trop mal vu par les employeurs. Certains vont même confondre avec poète et alors là, par ici la sortie.

Si, par malchance, l’employeur à qui vous dissimulez votre honteuse activité est tombé sur votre blog ou s’il a déjà vu vos livres dans une librairie, répondez qu’il ne s’agit pas de vous mais d’un cousin éloigné, vraiment très éloigné.

Venons en maintenant à cette perle rare que j’évoquais tout à l’heure, cet emploi qui puisse vous permettre de vivre le mieux possible votre double vie. Longtemps, certains ont trouvé la combine de bonne heure : attaché d’ambassade. « Attaché » pour la sécurité de l’emploi, « ambassade » pour le prestige et l’édition automatique chez Gallimard. Un bon filon jusqu’à la fin du vingtième siècle mais presque épuisé.

 

J’entends quelqu’un dans l’assistance qui suggère de recourir aux petits boulots. À fuir ! L’expression « petits boulots » est un bel exemple de glissement sémantique particulièrement vicieux destiné à faire oublier que ce qui est petit dans un « petit boulot », c’est le salaire et pas le boulot. Préférez les travaux futiles désignés plus haut. Hélas, on ne peut pas se blottir en toute une somnolente carrière dans ces niches forcément précaires. Les écrivains qui ont connu quelques temps une telle félicité peuvent témoigner de la rude épreuve que constitue la perte de ce genre d’emploi à la suite de je ne sais quelle calamiteuse modernisation. Quoi de plus triste, en effet, que de perdre son travail quand on est payé à ne rien faire ?

* Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Inédit.
maglivredix.jpg Cet épisode a été publié dans le Magazine des livres n°10.

14 juillet 2008

Pourquoi Mhorn s'appelle-t-il Preben ?

Pourquoi Mhorn s'appelle-t-il Preben ? Parce que sa mère, venue du Nord, habite désormais sur le flanc d'une montagne du Sud-Est, du côté des forêts d'épicéas où craquent volontiers les orages d'été.

Un de ces jours de canicule, la mère de Preben Mhorn, dans les derniers mois de sa grossesse, avance péniblement dans le parc public de la petite cité industrielle. Elle finit par s'asseoir sur un banc, au bord de l'étang, et elle regarde l'eau aussi lisse et opaque que le ciel vert-de-grisé. Pas une feuille ne bouge dans les grands frênes autour de l'étang.

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Un parc dans une ville déserte, un été de plomb, un banc au bord d'une flaque d'eau huileuse et ce gros ventre si lourd à transporter, ainsi s'écoulent ses journées. La voilà qui somnole dans la chaleur. Un gros poisson de vase a effleuré la surface du plan d'eau. La mère de Preben sent ses yeux se fermer sur les cercles qui trahissent la présence de l'animal.

L'étang devient un fjord et les forêts, plus sombres, se rafraîchissent sous le ciel bien lavé du Grand Nord. Et voici que la jeune femme rêve à son pays, au Septentrion... Quel voyage ! Elle voyage beaucoup... Dans sa tête. Et lorsqu'elle se retrouve à la maternité, en salle de travail, avec son ventre secoué comme la mer dans une terrible tempête, la canicule est toujours là.

Tout est trempé, il y a de l'eau partout, mais de l'eau tiède et rien que de l'air chaud à respirer. La jeune femme dévale un torrent puis un fleuve en crue. Un enfer de bouillonnements et de gargouillis. Un fleuve fangeux, le fleuve des Enfers, le Styx, l'Achéron ou le Cocyte. À moins que ce ne soit le Phlégéton et son flot de flammes. Alors, lui revient en mémoire l'arrêt devant l'étang. Dans sa descente des eaux en furie, elle agrippe les nageoires du poisson de vase et elle l'enfourche. Le poisson saute d'un gigantesque bon et projette partout de l'écume boueuse. Il retombe au milieu d'un cercle qui se répercute à l'infini à la surface paisible d'un fjord bordé de fraîches et sombres forêts. Le Nord ! Le Septentrion ! Un enfant d'une grande beauté sort de l'eau du fjord. Un enfant avec un prénom du Nord : Preben.
- Et comment l'appelons-nous ce beau garçon ? demande la sage-femme.
- Preben. Il s'appelle Preben, répond la jeune femme dans un souffle.
Et voilà pourquoi l'enseigne de vaisseau Mhorn s'appelle Preben. À cause de la canicule dans les montagnes orageuses et du poisson de vase.

(Extrait de : Le Grand variable, éditions Editinter, 2002. Épuisé)
Photo MCC

28 juin 2008

Le nouveau Croquant vient de paraître



croquant.jpg J’avoue une certaine émotion à signaler la parution du nouveau Croquant, n° 57-58, un numéro spécial anniversaire : le Croquant 22 ans... Et après ? Quel chemin parcouru depuis la première livraison du mois de juillet 1987 ! Quelques mois avant, un dimanche matin, je crois, Michel Cornaton m’avait téléphoné pour me proposer de rejoindre le comité de rédaction. Ma première pierre à l’édifice se limita à deux poèmes de jeunesse, « L’heur d’été » (oui, sans e, comme bonheur) et « Ordre du jour ».

Avec son sens de l’amitié et sa délicatesse, Michel Cornaton me fait l’honneur d’ouvrir ce nouvel opus par un autre de mes poèmes, « L’inversion de la fourche ». Alors oui, je suis ému, car ces deux décennies au Croquant m’ont enrichi de belles rencontres et surtout de joies inconcevables dans mon activité de journaliste professionnel. Mes années de presse régionales me semblent aujourd’hui absurdes, irréelles, alors que chaque bon moment de ces mêmes années au Croquant est pour toujours gravé dans ma mémoire.

N’ayant pas travaillé à cet imposant numéro (352 pages !) je m’étonne de m’y trouver si présent, toujours grâce à la sollicitude de Michel qui a récupéré et publié deux de mes articles dispersés, un entretien avec Jean Pérol évoquant Roger Vailland et le reportage avec photo d’une de mes visites à Jean Tardieu.
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Et puis je découvre aussi cette photo que Sylvette Germain avait prise de notre petit groupe, ce beau jour de 1991, en compagnie de Marie-Laure et Jean Tardieu.
Et puisque la poésie fut ma première collaboration au Croquant, voici mon poème ouvrant ce numéro des 22 ans. Le cercle se referme-t-il ? Pas si sûr...

L’inversion de la fourche

Le paysan en deuil du blé
planta sa fourche dents en l’air
entre le sillon et l’ornière.
Il libéra les emmurés :

« Si je n’avais semé que des épouvantails ? »
hésita-t-il en invitant les passereaux
et toutes les divinités qui font ripaille
pendant que l’ingénieur travaille du chapeau ?

« Foin des villages ancillaires,
la moisson s’engrange à l’envers ! »
riaient les fleurs dans les épis
en défiant tous ses outils.

Ce jour-là se vengeant des siècles d’esclavage,
la fourche s’envolait trop haut dans les nuages
et tous les clavelins de son vin de gelées
ne purent épingler le paysan au pré.

* Le Croquant, n°57-58. (Sciences humaines, arts, littérature). 352 pages. 23€ .
Adresse : 46 av. Mathieu Misery, 69160 Tassin-la-Demi-Lune.
Mail : revuelecroquant@yahoo.fr
www.le-croquant.com