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21 novembre 2006

Le poète joue au loto

Poète tu joues au loto

Tu sais que rien n’est plus lamentable pour un poète que de faire valider son bulletin au tabac que tu peux avoir l’air d’un poète avec un mégot au coin des lèvres ou un cigare entre les dents mais pas en récupérant ton reçu qui n’est pas précieux mais qui a une chance sur plusieurs millions de le devenir

À part toi personne ne trouve à redire que tu joues au loto car personne ne sait que tu es poète

Ce que les gens trouvent lamentable ce n’est pas de jouer au loto mais d’écrire des poèmes

Tu racontes au voisin que tu vas skier dans les Dolomites

Tu ne skies jamais cela ne te viendrait pas à l’idée de risquer de te faire mal

Ce n’est pas que tu cherches à épater le voisin car tu ne l’admires pas mais tu vois qu’il a peur de ce silence que tu portes comme un beau manteau d’hiver un peu démodé

Tu sens que le voisin attend un minimum de conversation cela se fait

Tu ne sais plus faire tu as épuisé tous les sujets tu ne veux pas l’inquiéter trop longtemps avec ton silence

Tu pourrais lui parler de livres de poèmes mais tu choisis le ski à Cortina d’Ampezzo pour éviter de l’inquiéter avec la poésie

À quoi ça servirait ô poète joue au loto

(Le poète mène une vie quotidienne, extrait. © Orage-Lagune-Express, 2006)

17 novembre 2006

Ne te casse pas la tête

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Encore une promenade aujourd’hui

Aujourd’hui ton rêve aime ondoyer comme regain blé ou roseaux

Tu marches dans la merveille régulière de cet automne sous le feu hurlant des origines dont on ne sait qui l’alluma

Que sa lumière traverse une feuille de hêtre ou une corolle de campanule suffit à nimber le monde entier c’est-à-dire le chemin forestier des couleurs du hêtre et de la campanule

Tes récentes journées de vie par opposition à celles où tu ne vis pas enfin pas tout à fait

Ces journées de gloire secrète lorsque plus rien n’est à déchiffrer puisque tu sais le principal à savoir :

Tu es invité au spectacle du hêtre et de la campanule des talus et tu n’es sur Terre pour rien d’autre alors ne te casse pas la tête

Vis ces journées de vie et de gloire secrète dans la lumière du hêtre et de la campanule et sois absent absente-toi de toutes les autres

Et ces journées de triomphe peut-être que la troisième symphonie d’Aaron Copland pourrait en donner une idée à qui voudrait savoir ce qu’est vivre si tant est que cela puisse encore intéresser quelqu’un dans la ville où chacun croit qu’il a quelque chose d’important à faire loin bien loin du chemin forestier

Copyright : Orage-Lagune-Express, 2006.

29 octobre 2006

Avec les arbres

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La flaque d’eau toujours à la même place sur la route forestière où la vieille voiture attend n’est ni le miroir ni le contraire du monde juste une facette de ce diamant qu’on appelle la Terre

L’image condamnée à refléter ce qui n’est pas se dissipe dans l’évidence des feuilles rendues à l’air blond

Le grand vent patientera le temps de la colchique et de la campanule et tout ce qui s’alourdissait de peurs et de chagrins indéchiffrables s’unifie dans les instants d’accord entre la route et la rivière

L’épicéa qui rafraîchit les pas de mes aïeux les moins connus penche encore ses secrets sur les miens

Autour de nous se courbe une apparente éternité un infini à nos mesures à celle des brins d’herbe

Où est cachée l’horloge ? Et qui a décidé dans l’espiègle automne qu’aujourd’hui nous nous sentirions libres ?

Le fruit du jardin s’approche de la terre inconnue comme tout ce qui semblait se tourner vers le ciel

Des temps s’éloignent à la vitesse des astres et le mystère sous chacun de mes pas ne me fait plus sourire

Les seuls à me désaltérer encore de mes premiers regards sont les arbres penchés sur mes sorties d’école tilleuls d’automne où passe la main du vent hêtres et marronniers vieux maîtres indulgents qui dessinent un cercle autour de mes erreurs

En eux se concilient envol et pesanteur et je n’étais pas né qu’ils me savaient déjà promis à l’énigme de leur premier bourgeon

La profonde étrangeté du ciel où tombent les dernières corolles

L’inexplicable joie qu’on prête au vol de l’éphèmère dans l’ordre imprévisible des vents d’octobre

Au fond de la forêt la stupeur des naissances

La lumière en cascades qui ne révèlent rien que les couleurs des chiffres sur le tableau noir

Mais toujours la fenêtre qui rend à l’écolier le monde lisible


(Extrait de : LE MONDE LISIBLE, éditions Orage-Lagune-Express. Copyright Orage-Lagune-Express, 2004)