26 avril 2012
Charles Juliet à Oyonnax (Ain)
Samedi 28 avril à 16h à la bibliothèque adulte du centre culturel Louis Aragon d'Oyonnax dans l'Ain, le public est convié à une rencontre avec Charles Juliet.
Photo : Charles Juliet reçu par Michel Cornaton, directeur de la revue Le Croquant dans la maison de Roger Vailland à Meillonnas dans l'Ain. © Christian Cottet-Emard, 1989
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10 août 2008
Jean Tardieu dans sa maison natale
(Cet article que j'avais publié après la disparition de Jean Tardieu en 1995 a été repris dans la revue Le Croquant n° 57/58, été 2008). Une version abrégée a paru dans La Quinzaine littéraire du 16 février 1995, n° 664.
On est venu chercher Monsieur Jean. Pour toujours. En juillet 1988, il avait tenté de retrouver son double, « l’enfant resté au bord de la route », à Saint-Germain-de-Joux, dans l’Ain.
Un geste, une attitude valent bien toutes les explications de texte pour approcher la réalité d’un écrivain admiré que la chance autorise à rencontrer. Jean Tardieu, de retour dans sa maison natale à l’occasion d’une visite à Alain Claude, à l’époque directeur du Centre culturel Aragon d’Oyonnax, vient de franchir le seuil de la demeure construite en 1715. Le voici déjà dans une chambre où il se saisit d’un petit sablier posé sur une commode. Il tourne et retourne dans ses mains cet objet qui peut symboliser un grand thème de son œuvre : le temps. Jean Tardieu, on le voudrait éternel, et le sablier suscite des questions que l’on ne peut s’empêcher de se poser : « Où ? Quand ? Combien de temps encore ? » La réponse est tombée comme un couperet le vendredi 27 janvier 1995. Désormais restent l’œuvre et quelques images, des photographies dont il a supporté la contrainte avec gentillesse, malgré son absence de goût pour les séances de pose.
À cet égard, l’homme et l’œuvre, une fois encore, se rejoignent. La discrétion, l’attention pour ce qui ne se révèle pas sous une lumière artificielle, caractérisent l’auteur et ses écrits. Le contraire surprendrait de la part d’un poète qui intitule ses livres Le Témoin invisible, Histoires obscures, ou Une Voix sans personne… La poésie, surtout en ces temps de poudre aux yeux, est-elle autre chose que cette disponibilité au murmure, à l’innommé ? Dans la voiture qui le reconduit à son hôtel, à Nantua, après les retrouvailles avec son lieu de naissance, Jean Tardieu acquiesce en insistant sur l’exigence que le choix d’une telle direction requiert chez celui qui veut aujourd’hui avancer sur le dur chemin de la création littéraire.
Comme Jean Tardieu, jouons-nous un peu du temps et revenons quelques heures en arrière. Les déambulations dans les couloirs de la maison de Saint-Germain-de-Joux se prêtent plus à des échanges informels qu’à un entretien dans les règles de l’art. Celui-ci aura d’ailleurs lieu trois ans plus tard à Meillonnas, lorsque Jean Tardieu se verra remettre par le Conseil général de l’Ain le Prix Voltaire, créé par la revue Le Croquant. Mieux vaut, pour l’instant, laisser Jean Tardieu à sa joie de retrouver une parcelle préservée de son enfance. Ici, c’est « un tableau qui n’a pas bougé », et là, « une lanterne magique toujours à sa place ». Ce matin gris d’été 88, la courtoisie, la simplicité et la vivacité de Jean Tardieu, heureux de se trouver là, mettent tout le monde de bonne humeur. Son épouse Marie-Laure sème un peu partout des coups d’œil amusés et bienveillants. Derrière ce regard malicieux se cache une femme de science. À l’époque de son mariage, elle entre au Museum d’histoire naturelle comme sous-directeur de laboratoire et se retire en 1972 en terminant sa carrière au poste de directeur de laboratoire à l’École des Hautes Études.
Jean Tardieu s’assoit près de la fenêtre et ouvre un grand album relié. Le vert sombre de la nature qui baigne Saint-Germain, tout près, derrière les vitres, fait surgir de la mémoire un poème précis : La Fenêtre ou les noms de mon pays. Le temps rapide du dehors et le temps suspendu de la maison se mélangent. L’auteur de ce prodige est là, curieux de cette poche de temps intacte où il vient de pénétrer, par effraction pourrions-nous dire, si Mme Rugo de Saint-Germain-de-Joux, qui détient les clefs de la maison, n’avait elle-même ouvert la porte au petit cortège de visiteurs.
« Moi, je vois le temps. Et même, non seulement je le vois, mais aussi je l’entends et je le sens, je l’éprouve, je le vis » , dit un personnage dans L’animal du temps, extrait de La Première personne du singulier, et de conclure : « fondre, fondre et couler tout à fait, devenir le temps ! » En 1991, dans un entretien accordé à la revue Le Croquant, dirigée par Michel Cornaton, Jean Tardieu évoque sa double personnalité : « un enfant qui serait aussi un vieillard, un vieillard qui serait aussi un enfant ! » Au gré des veilles et des nuits blanches – Jean Tardieu écrit la nuit – l’immersion dans le temps se réalise en un poème, seule trace tangible de cette aventure fugace.
Ce jour, dans la maison natale, l’écrivain trouve un autre moyen que le poème pour se fondre un moment au cours du temps. Il lui suffit de tendre la main, ici, au milieu de ses souvenirs protégés par les forêts d’épicéas, à son double inquiet du texte L’enfant resté au bord de la route : « Comme je voudrais retourner vers l’enfant ! Il savait tout d’avance, et c’est bien pour cela qu’il pleurait. »
Le bruit des clefs se répercute dans les couloirs de la grande maison. Mme Rugo raccompagne M et Mme Tardieu entourés des amis et des journalistes. Quelques éclairs de flash fusent sous le ciel bas. Un sourire discret pétille dans les yeux de Jean Tardieu. Il doit s’amuser du bon tour qu’il vient de jouer au temps qui file, en revenant à l’improviste dans sa maison de jadis.
Photos: 1) Le poète Jean Tardieu devant le portail de sa maison natale. 2) « La Fenêtre ou les noms de mon pays » . © Photos Christian Cottet-Emard, droits réservés.
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10 décembre 2007
Le Croquant et la modernité
Le Croquant n° 55-56, qui a pour thème La modernité, vient de paraître. Plutôt que d’en livrer ici une note de lecture puisque j’y participe, je préfère citer des extraits de deux passionnantes contributions, celle de Joël Clerget et celle de Jean-William Lapierre quant à lui décédé à la veille de l’été 2007 et à qui Michel Cornaton, directeur du Croquant, et Edgar Morin rendent hommage dans cette édition.
La photographie de couverture est signée Marc Riboud.
La modernité sans images (Joël Clerget, psychanalyste, écrivain, Lyon) :
« L’immoralité de notre modernité n’est pas sexuelle, elle est économique. La lutte des « intermittents du spectacle » nous a fait percevoir à quel point l’ignardise politique des gouvernants est impropre à résoudre quelque problème social que ce soit. Même les employés des casinos firent grève le 31 décembre 2006, craignant d’être, entre autres, remplacés par des machines. Des machines à sous sans doute. Que la machine soit mise à la place de l’homme n’est pas encore le pire scandale, mais que l’homme soit fait machine lui-même, robotisé, est humainement inacceptable. Les métiers de relation sont désormais imprégnés de ce machinisme impénitent. On nous fait devoir de réparer les pannes, casses et autres accidents de cette constante production de l’oppression généralisée. L’on ne compte plus les suicides... »
La modernité, tarte à la crème de l’idéologie dominante (Jean-William Lapierre, sociologue) :
« Aujourd’hui, la modernité est la tarte à la crème de l’idéologie dominante. Quels sont les ingrédients de ce produit de la propagande politique et de la publicité ? J’en vois quatre mais ne prétends pas être exhaustif. Le premier est l’économisme. Quand il y avait des marxistes, on leur reprochait souvent de tout fonder sur l’infrastructure économique. Mais ils reconnaissaient tout de même une « autonomie relative » aux superstructures politique et idéologique. Le triomphe mondial du libéralisme économique (à ne pas confondre avec le libéralisme politique) a mis fin à cette autonomie relative. Dans l’idéologie actuelle de la modernité, tout (la politique, l’ethnique, l’art, la recherche scientifique, la médecine, la culture, l’information) est subordonné voire réduit à des considérations et des objectifs économiques, ceux des détenteurs du pouvoir économique. »
« Nous avons connu au XXe siècle des idéologies dont la domination était « hard » (comme on dit en franglais moderne) : le fascisme, le nazisme, le stalinisme imposaient leur domination par la répression, le bourrage de crâne, l’exaltation des foules. La domination de l’idéologie de la modernité est insidieuse, latente, « soft ». Dans un entretien à Télérama (29 juin 2005, p. 25-26) le sociologue polonais Zygmunt Baumann (que j’ai rencontré lors d’un séminaire à Varsovie en septembre 1958, et qui est devenu professeur à Tel-Aviv et Leeds) dit : « (qu’en) quelques années, les forces dominantes, qui détiennent l’argent et le pouvoir d’organiser le monde dans leur intérêt, ont trouvé d’autres stratégies plus légères, moins contraignantes ». Mais efficaces : le contrôle technocratique des moyens d’information et de communication, des institutions (en particulier de l’enseignement), le financement des campagnes électorales des politiciens, la pression des « lobbies », la précarité des emplois (« n’est-elle pas, demande Baumann, une formidable manière d’obtenir l’ordre et la soumission ? ») et surtout le contrôle de nos pratiques quotidiennes de consommation par la publicité, de nos loisirs par la « télé-réalité ». Baumann encore : « Que nous apprennent ces émissions ? Que chacun est toujours seul face à tous, que la société est un jeu pour les durs. Ce qui est mis en scène, c’est la jetabilité, l’interchangeabilité et l’exclusion. Il est inutile de s’allier pour vaincre puisque tout autre, au bout du compte, ne peut être qu’un adversaire à éliminer... Quelle métaphore de la société ! ».
Revue Le Croquant (sciences humaines, arts, littératures), 208 pages, 20 euros (port non compris).
mail : revuelecroquant@yahoo.fr
23:48 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Revue Le Croquant, la modernité, débat, idée, sciences humaines, arts, littératures