24 avril 2008
Feu de pub
Après la fête foraine où j’ai mangé des frites avec de la mayonnaise, j’ai tourniqué dans de petites rues tortueuses et puantes qui m’ont baladé tant qu’elles l’ont voulu avant de m’expédier à l’entrée d’une place déserte avec statue équestre. Sous la statue, on pouvait prendre le métro. J’ai dévalé les marches qui descendaient vers les distributeurs automatiques de tickets et je me suis fait happer par une colonne compacte d’usagers qui s’est engouffrée dans les rames. Je me suis calé à la diable dans le sillage de corps crispés ou avachis, tous résignés à l’incessante promiscuité des villes. Chaque station expulsait ou absorbait un peu plus de ces foules canalisées dont le flux et le reflux dans les galeries semblaient rythmer les échanges circulatoires et respiratoires d’un organisme fiévreux, malsain, tendu en un perpétuel effort.
Non loin de la station Vapeur-Marquise qui dessert la gare depuis un pont aérien, j’ai entrevu avec stupeur un visage connu, noyé dans la confusion des passants, le visage de la femme aux cheveux couleur de belladone.
Je me suis extrait comme j’ai pu du métro, j’ai grimpé quatre à quatre les marches d’un escalier de métal, j’ai couru sur une passerelle rouillée, j’ai traversé des rails, j’ai sauté d’un quai à l’autre, j’ai bousculé un groupe de voyageurs en attente — elle était là, derrière eux... Encore quelques mètres... — et je me suis arrêté dans un grand vent moite qui plombait le ciel de nuages si sombres que les lampadaires de l’éclairage public se sont allumés comme à la nuit tombante.
Elle était là, la femme au cheveux couleur de belladone, figée dans un sourire de papier sous lequel on pouvait lire : VELOCITA, PARFUMEUR.
— Pas mal !
La flamme de mon briquet avait léché puis avalé l’affiche du parfumeur VELOCITA. L’humiliation d’avoir été leurré par un panneau publicitaire avait épanoui ma colère en une corolle bleuté dont l’éclat furtif dans le soir semblait avoir éveillé l’intérêt d’une fille sur une Vespa.
— Pas mal ! Moi aussi j’aime bien brûler les pubs...
(Extrait de : LE GRAND VARIABLE, éditions Editinter, 2002. Épuisé)
Lire aussi, sur le blog de Raymond Alcovère : « Le cynisme et l'écrasement qui nous sont infligés ne sont pas insurmontables... »
14:57 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : grand variable, christian cottet-emard, editinter, roman, littérature, publicité, antipub