11 novembre 2020
Carnet / Ceux à qui on a tout pris.
En cette époque à tous égards régressive, je me désole de constater qu’on recommence à n’évoquer le souvenir de la guerre de 14-18, à travers les commémorations de l’armistice du 11 novembre, que sous l’angle de l’héroïsme.
J’y vois une paresse intellectuelle gravement dommageable à la compréhension, pour les jeunes générations, des mécanismes à l’œuvre dans le déroulement de la première guerre mondiale.
Tout événement extrême met des individus en situation de se comporter en héros mais dans le cas spécifique de la première guerre mondiale, l’héroïsme est l’arbre qui cache la forêt.
Les gens de ma génération, la première du vingtième siècle à ne pas avoir connu directement la guerre, ont eu la chance de bénéficier d’un enseignement plus distancié concernant 14-18, c’est-à-dire un enseignement dans lequel, peu à peu, l’Histoire prenait le pas sur la propagande en évitant de se focaliser sur l’héroïsme qui fait écran à l’analyse des faits.
La réalité de ces faits est cruelle et dérangeante, en contradiction avec l’héroïsme : la première guerre mondiale fut une guerre menée contre les peuples par leurs dirigeants, leurs industriels et leurs commandements militaires et ceux qui en payèrent le prix le plus exorbitant furent notamment les jeunes et les pauvres.
C’est de cela qu’il faut se souvenir et rappeler avant tout aux jeunes générations. Il y eut certes des héros mais il y eut surtout, par millions, des jeunes et des pauvres à qui on a tout pris.
Détails de tombes de jeunes soldats de la première guerre mondiale dans un cimetière de village (photos Christian Cottet-Emard)
23:33 Publié dans carnet, NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : 11 novembre, armistice, première guerre mondiale 1418, souvenir, commémoration, deuil, blog littéraire de christian cottet-emard
02 novembre 2020
Aujourd'hui, jour des Défunts
Photo Christian Cottet-Emard
Cortège des chagrins secrets qui résistent à l’encens
esprits las mais présents dans les airs
chagrins sévères et solennels qui survivent aux défunts
et s’en vont de par le monde à la recherche d’un nouveau corps
(Extrait de mon ouvrage Encens, marbre et bruyère, © Éditions Orage-Lagune-Express)
Un court extrait du Requiem d'Hector Berlioz (1803-1869).
Et ici, mes trois poèmes de la Toussaint et du Jour des Défunts.
01:25 Publié dans Occident | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : encens, marbre, bruyère, toussaint, défunts, commémoration des fidèles défunts, cluny, jour des morts, poème, fête chrétienne, blog littéraire de christian cottet-emard, âme, cierge, vitrail, christian cottet-emard, voûte, forêt, adieu mais pas pour toujours, songe de géronte, ange, vêpres, deuil, croix, célébration, occident chrétien, civilisation occidentale, culture occidentale, rite
01 novembre 2019
Mes trois poèmes de la Toussaint et du jour des Défunts
(Extrait de mon ouvrage Encens, marbre et bruyère)
Troisième poème de la Toussaint et du jour des Défunts (2018)
Vêpres
Quand vient aux vêpres la Toussaint dans cette joie où sont admis tous ceux qui furent Saints en secret ou en gloire à leur mesure
Comme il serait triste et vain de ne pas être heureux d'être triste
Cela pourrait signifier que nous n'avons souci ni de nous-mêmes ni de nos défunts ainsi livrés au cours obscur d'un fleuve qui n'a nulle part sa source et ne va nulle part
Esquif infortuné qui voguerait sur un tel fleuve !
Même le lendemain le jour des morts nous bercera d'un rassurant chagrin
Deuxième poème de la Toussaint et du jour des Défunts (2017)
Encens
I
Au son de l’orgue dans l’encens je vois monter la maison d’enfance
Elle s’élève avec les miens que j’ai connus et les autres qui m’ont parlé à travers eux
La maison en pierres et en mots
Le jardin la voie ferrée la marquise de la gare l’autorail l’encens les soulève
Il prend aussi le petit square avec son lampadaire
Tout ce qui veut peser compter durer l’encens m’aide à le voir encore un peu puis il l’emporte dans les airs
II
En moi cette âme grise et tiède attirée par le reflet d’un vitrail ou le halo d’un cierge
Aussi je veux l’encens et la Croix pour elle qui s’en ira
Dans l’adieu je veux l’encens léger au lourd parfum qui monte vers les voûtes immobiles de la dernière forêt
Quand frémissent à peine ses volutes après qu’aient battu très loin les ailes de l’Ange accompagnateur en des régions dont nul vivant ne peut avoir idée
Et qu’une voix dira comme à Géronte en son dernier songe Adieu, mais pas pour toujours
Marbre
Comme une feuille de carnet par terre où l’on a écrit des noms et des dates
Cette page ne prend ni le vent ni la pluie c’est ce que j’attends d’elle
Moi sous le ciel
Qui ne suis pas dans le secret des cieux
Bruyère
Quand les mots ont cédé à l’encens et au marbre il reste un geste
La bruyère trouvée sur le marché d’automne où l’on vend aussi aux vivants distraits des bouquets d’immortelles
Premier poème de la Toussaint et du jour des Défunts (1992 et 2016)
I
Toussaint
À la veillée des anciens mondes les feux d’humbles talus parfument les champs d’astres
La rivière est souvent déjà sombre et rapide mais la lumière en ses méandres y trouve un chemin dans les saules
Dans le courant chaque seconde et chaque vague reçoivent nos séjours
L’herbe chante à la flamme veilleuse des rivages des refrains de vergers loin derrière les fumées de berges incertaines
La voile accueille un vent fossile et conduit des paroles en forme de légendes et de mystères enchantés
II
Défunts
Les arbres bruissent du fond des terres où vous vous effacez
Défunts désormais loin des berges de l’aube et du soir où l’on allume des feux d’herbe pour croire encore en un retour en gloire
Qu’importe au fleuve ténébreux l’esquif de braconniers en loques tous ils retournent sur le flot
Toutes saisons ne furent qu’escales où l’on offrit et déroba le pain farci de clefs des champs la gourmandise du veilleur la provision du matinal
III
Élégie des beaux jours d’automne
Beaux jours d’automne sans vous toutes et tous absents pour toujours
Partout des prodiges sur Terre elle-même prodige vue depuis la Mer de la Tranquillité
Chaque seconde des miracles la lune dans les frênes la campanule à fleur de roche le mauve de la colchique le marron d’Inde qui brille sur la petite route forestière
On n’a rien vu de tel ailleurs dans l’univers pourtant si extravagant jusque dans ses plus profonds enfers alors pourquoi
Pourquoi pas juste une fois encore même une seule ce si petit miracle comparé aux autres si prodigieusement absurdes si majestueusement et sidéralement stupides
Pourquoi pas ce minuscule miracle un peu de temps encore avec vous toutes et tous dans les beaux jours d’automne
Car en comparaison de vous toutes et tous qui êtes tout et qui avez existé Science Foi Philosophie et Destin pèsent moins qu’un caillou de la Mer de la Tranquillité
IV
Deuil
L’heure vient à l’hiver en son office de ténèbres pour naviguer sur l’estuaire inconnu
La prière se mesure à l’absence à l’énigme éternelle au récit d’un été
Les voûtes n’ont pu tenir le retour d’une joie ancienne
La nuit alourdit de pétales et d’encens la veillée des faux morts ceux dont l’oubli ne veut
© Éditions Orage-Lagune-Express 1992, 2016, 2017 et 2018 pour la version modifiée et augmentée
Photos cathédrale et Croix © Christian Cottet-Emard
00:46 Publié dans Occident | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : encens, marbre, bruyère, toussaint, défunts, commémoration des fidèles défunts, cluny, jour des morts, poème, fête chrétienne, blog littéraire de christian cottet-emard, âme, cierge, vitrail, christian cottet-emard, voûte, forêt, adieu mais pas pour toujours, songe de géronte, ange, vêpres, deuil, croix, célébration, occident chrétien, civilisation occidentale, culture occidentale, rite