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28 mars 2005

Tu écris toujours ? (6)

Aujourd’hui, je suis sorti dans les rues de ma petite ville industrielle qui se fiche pas mal de la poésie et de la littérature. J’ai fait un détour car, de loin, j’ai aperçu le copain d’école avec ses “tu écris toujours ?”. À cause de lui, je mets facilement trente minutes de plus pour entrer dans la boulangerie qui se trouve à dix mètres. Je vois arriver le jour où, la tête enfouie dans le sac à pain, j’entendrai sa voix étouffée : “mais à quoi tu joues avec ce sac à pain, tu écris toujours ?”
Cette cité abrite tout de même quelques lecteurs, peu nombreux, fidèles parmi les fidèles, si clairsemés que je pourrais les nommer sans fatiguer l’érudit qui se penche sur ces lignes. De temps en temps, pas trop régulièrement pour ne pas les lasser, je leur écris pour les avertir d’une nouvelle publication. Leurs réponses me font toujours chaud au coeur. Il faudrait que je pense un jour à les réunir autour d’un bon côtes du Jura, Savagnin de préférence.
Ceci dit, malgré ce carré d’irréductibles, ma bourgade n’est pas le paradis des écrivains. Deux auteurs ayant publié chez un éditeur à “diffusion nationale” (tel est, en théorie, le critère retenu par les organismes qui octroient aides et bourses pour être, non pas pris au sérieux mais considéré comme témoignant d’une activité littéraire), deux auteurs, donc, y subsistaient encore récemment : moi-même et la romancière Marie-Ella Stellfeld, spécialisée dans le polar (le Triangle d’argile, éditions Bérénice, Plastic instinct, éditions Pétrelle, L’homme aux oreilles de jazz, éditions Nykta). Mais Marie-Ella ayant déménagé, il ne reste, sauf erreur de ma part, plus que moi. Alors, nous nous téléphonons mais en évitant de commencer par “tu écris toujours ?”. On a notre fierté.
Nous avons fait connaissance après avoir pris le train pour une grande ville où nous avions été invités, voici quelques années, à une réunion au thème assez fumeux. La structure d’organisation distribue (le mot est fort) quelques aides financières à de rares élus. J’ai postulé souvent et bien sûr sans succès. L’année du premier rejet, j’ai su par une indiscrétion que ma demande avait été écartée avec le commentaire suivant : “l’aspect journalistique pèse trop dans ce dossier.” De fait, je réalise que j’avais commis une grossière erreur dans la constitution de ce dernier en y incluant la liste fastidieuse de toutes mes publications d’articles en rapport avec la littérature dans la presse quotidienne régionale. Outre la mauvaise réputation (le plus souvent justifiée) de cette presse, le déséquilibre ainsi créé entre mes “chantiers” de création et mes travaux alimentaires pour les journaux locaux produisit sans doute le plus mauvais effet. Mes dix années de “locale” dans un quotidien qui porte mal son titre me collaient à la peau. Je n’étais qu’un “journaleux” qui prétendait attirer sur lui une manne dispensée de très haut par des gens qui, eux, savent ce qu’est la littérature, la vraie, celle dont l’auteur ne s’appuie pas, pour assurer l’intendance, sur les béquilles d’un journalisme crapoteux. Mais que voulez-vous, il faut bien survivre et, n’étant ni rentier ni enseignant ni attaché d’ambassade ni retraité de l’armée ni gardien de phare...
Pendant que, dans sa grande sagesse, mon amie la romancière Marie-Ella Stellfeld oubliait bien vite la réunion fumeuse et ses organisateurs, je persistai quant à moi dans mes candidatures, sans plus de succès. Une année, alors que j’avais réussi moi aussi à faire l’impasse sur ces pitoyables péripéties, une lettre vint m’informer que j’allais être répertorié dans un “guide des écrivains”. Diantre ! Il fallait pour cela correspondre aux critères (publications à compte d’éditeur et diffusion nationale notamment) remplir un questionnaire et attendre (je suis très doué pour cette dernière activité). Cette attente à laquelle je mis une application toute particulière se déroula en deux phases. Premier épisode : le directeur d’une revue à laquelle j’ai collaboré me téléphone pour m’annoncer que les responsables de la publication du fameux guide lui ont demandé l’autorisation de publier un de mes textes. Chouette ! Ils font les choses bien ces gens. Deuxième épisode, beaucoup plus tard : en furetant dans une librairie, je trouve le guide, ouvrage riche d’informations dont l’une me navre : j’en suis absent. Bizarre... On vient vous chercher, on téléphone à vos éditeurs et on vous passe à la trappe sans daigner vous donner d’explication. Allez, je donne quand même un coup d’oeil à l’avant-propos du guide et je lis cette remarque des plus pertinentes : “cent soixante-huit noms... Bien sûr, on a raté le cent soixante-neuvième. Si empli de noms qu’il soit, un tel guide encourt le reproche de la lacune, de l’oubli, de la méprise : le risque est inhérent au genre. Nous ne pouvons que l’assumer.” CQFD.
Aujourd’hui, cette mésaventure me fait rire et j’amuse mes amis en la racontant à l’apéritif mais à l’époque, je traversais une période difficile et j’avoue humblement avoir été atteint par ce cocktail de négligence et de désinvolture (je ne tiens pas ce blog pour rouler les mécaniques). Quant au fameux guide, (c’est effectivement la loi du genre) la date de sa parution fut celle de sa péremption.
Et puis qu’importe puisque j’écris toujours. Na !
(À suivre)

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