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24 novembre 2005

Tu écris toujours ? (33)

Publier des livres et les vendre, c’est le travail de l’éditeur et du libraire mais l’auteur est souvent prié de donner un coup de main, surtout si son nom s’entache de notions telles que “succès d’estime” ou “rotation lente”. Parlons vrai, ils sont de plus en plus nombreux les éditeurs, libraires et auteurs à qui l’estime fait autant d’effet que l’épistolaire “parfaite considération” et qui prennent d’autant plus vite le vertige que ralentit la rotation des livres dans les rayons. Les poètes eux-mêmes réalisent à quel point leur fréquente répulsion pour les colonnes de chiffres et leur illusoire préférence pour celles des journaux leur coûte cher. C’est ainsi que tout ce petit monde des lettres, votre serviteur y compris, ne rechigne plus autant que par un passé glorieux mais révolu à mettre la main à la pâte indigeste mais nécessaire de la promotion. Quand on me parle de promotion, je sors mon revolver, euh non pardon, mon badge d’exposant à un salon, une foire aux livres ou à tout autre rendez-vous pourvu que s’y refile, non plus sous le manteau mais sous chapiteau, du bouquin en veux-tu en voilà. Des chapiteaux, je suis bien obligé d’en fréquenter quelques uns si je veux prouver que certes, j’écris toujours.
Chapiteaux des villes, chapiteaux des champs, il en pousse un peu partout, au milieu des places à statues équestres comme entre deux ornières de tracteur. Quelques années avant de hanter celui de la place Bellecour à Lyon (et une ou deux fois celui de Paris) j’ai même piétiné la terre déjà bien battue de celui qui se déploie en automne un peu au-dessus de chez moi, à mille mètres d’altitude. Bien qu’il ne s’agisse point d’un salon du livre mais d’un marché de produits biologiques et artisanaux, les organisateurs ne ferment pas leur tente aux revues, aux livres et à leurs auteurs. Je m’étais donc laissé convaincre, une de ces années, qu’on pouvait bien essayer de rapprocher la fureur de lire de la rage de vendre et que ma présence entre une productrice de vin biologique et un magnétiseur faisant démonstration de baguettes de sourcier en métal ne pouvait qu’ouvrir à d’heureux nouveaux membres le club un peu trop sélect de mes lecteurs.
Me voici donc fouettant sous la pluie de l’automne montagnard les bourrins de ma peu diligente bagnole que je dois garer de toute urgence sur le talus en raison d’une explosion suspecte à l’arrière. Rien de grave, juste un vieux pneu qui vient d’éclater. Ce léger contretemps me fait arriver en retard sous la tente plantée à l’entrée du village. Pourquoi c’est plein d’indiens ? s’étonne ma fillette qui, dès son plus âge, m’a toujours accompagné dans ce genre d’équipée. J’en avise un, roulé dans une veste “trappeur”, qui se trouve être de l’organisation. Oui, je suis en retard. Bon, je n’ai qu’à m’installer entre ces deux-là (le magnétiseur et la viticultrice bio) qui s’étaient un peu trop vite réjouis de se répartir un espace supplémentaire à l’oeil. Leur accueil est aussi chaleureux que les courants d’air musardant au milieu des pots de miel, du tissage, du rotin, des bougies parfumées, des jouets en bois, des carottes, des patates, des pommes et de tout le bataclan 100%100 bio et naturel auquel s’ajoute maintenant le papier probablement chloré de mes bouquins. À côté, le magnétiseur n’a pas à se forcer pour sa démonstration de baguettes de sourcier car l’eau est partout, sous forme de grosses flaques de couleur café au lait dans lesquelles la progéniture néo-rurale se fait un plaisir de sauter à pieds joints. Mes couvertures blanches les plus exposées ne résistent pas longtemps à ces danses rituelles. Un gros barbu en train d’éplucher des rondelles de saucisson bio a laissé ses empreintes sur les autres. Je renifle une drôle d’odeur, légèrement ammoniaquée, dans les mêmes dominantes que celle des raffineries de pétrole de Feyzin mais moins concentrée. À cet instant, la sono informe exposants et public qu’une énorme marmite de soupe bien chaude les attend non loin de mon stand. Je m’approche du chaudron. Pas de doute, l’odeur, c’était ça. Juste à côté, on vend de bons gros sandwiches à la terrine végétale confectionnés dans de beaux pains de campagne. Le hic, c’est la couleur de la terrine, verdâtre, comme la soupe. Un s’il vous plaît, mais sans terrine. Oui, oui, juste le pain. Merci.
Retour à mon stand. Pour chasser ma nostalgie d’un hot-dog avec frites mayonnaise, je décapite un Montecristo bien corsé dont les volutes assez brutales domineront, je l’espère, les relents vespasiens de la marmite encore fumante et gargouillante. Mais après quelques bouffées, je vois se pâmer la viticultrice bio visiblement allergique au havane mais pas le moins du monde incommodée par les fumées d’autres substances qui nous ont caressé les narines toute la matinée. Au milieu de l’après-midi, un jeune homme à lunettes rondes, enveloppé dans une ample pèlerine noire s’approche des livres, feuillette, en choisit un et demande une signature. Au moment de régler, il fourrage dans les plis de sa pèlerine et laisse tomber le bouquin dans la gadoue. Sprouitch ! “Cadeau”, lui dis-je avec fatalisme, et il s’éloigne, dépité mais soulagé.
À l’extérieur, la bise a rincé tout le ciel. À l’intérieur, elle a congelé mes rapports de voisinage avec le sourcier-magnétiseur et la cigarophobe. Mieux vaut plier, surtout s’il vient aux marmitons l’idée de remettre une tournée de leur soupe. Quant aux prochains rendez-vous avant la Foire de Francfort, (la Brocante des Vers et la Kermesse du Pied), ma foi oui, je veux bien mais à une condition : vin chaud et saucisse-frite à volonté.

(À suivre)

22 novembre 2005

Encore des poèmes d'amour

C’est une blague navrante, comme on les aime un tout petit peu...
On fête l’anniversaire d’un gamin que la nature n’a pas favorisé. En effet, il est né sans bras, sans jambes et sans thorax. Bref, il n’a qu’une tête. Au début, ses parents ont eu un peu de mal à s’habituer mais après tout, il se porte bien, alors... Alors, le père quitte la table autour de laquelle la famille est réunie pour aller chercher le cadeau. Il revient avec une boîte qu’il pose en face de la tête de son fils et il l’aide à ôter le couvercle. Le fils penche sa tête au-dessus de la boîte et soupire : “encore un chapeau...”
Si j’exhume cette blague au goût approximatif, c’est parce que, parfois, en lisant les très nombreux manuscrits qui me sont spontanément adressés, il m’arrive de somnoler et de faire un rêve dans lequel je me sens un peu comme ce fils infortuné : je suis né sans bras, sans jambes, sans thorax et sans tête. Mon être ne se résume qu’à un coeur mais qui fonctionne et qui est capable d’être lecteur pour une maison d’édition. Même le facteur s’est habitué à ce coeur auquel il remet son courrier et qui, en lisant les manuscrits qu’il extrait des enveloppes soupire : “encore des poèmes d’amour !”

18 novembre 2005

Place des angoisses

Ambiance, samedi dernier place Bellecour autour du chapiteau du salon du livre de Lyon dont l’éphémère corolle blanche s’épanouit dans la lueur des fusées et dans les effluves de gaz lacrymogène. Contraste. Sous la tente, chacun vaque à ses petites affaires. Les éditeurs exposent, les écrivains dédicacent, les libraires vendent et le public feuillette avec un flegme tout britannique, à part quelques inquiets dans mon genre, fort peu nombreux, qui voient dehors courir les gens pressés de se soustraire au désormais classique ballet des émeutiers et des forces de l’ordre.
Sur mon stand où je suis censé rencontrer le public, on doit me sentir ailleurs, préoccupé. Normal, je me prends à examiner ma table d’exposition pour voir si je ne pourrais pas la démonter pour en extraire quelque barre de ferraille au cas où je devrais me défendre. J’ai beau savoir que des personnes souffrent dans les quartiers en difficulté, ma capacité d’empathie finit là où commence mon insécurité physique. Un de mes voisins de stand, éditeur, s’en étonne. Évidemment, savoir que ma femme et ma fille sont enfermées derrière les grilles baissées d’un magasin de la place Bellecour en attendant le retour au calme (je sais où elles se sont abritées grâce au téléphone portable) fait chuter la température de ma chaleur humaine à un degré voisin de zéro. Pendant ce temps, une mamie accompagnée de son mari ouvre les recueils de poèmes présentés sur le stand, parcourt les textes en levant un sourcil, repose le tout et presse l’époux devant elle en déclarant : “pas la peine, ça ne rime pas...”.
Non, décidément, ça ne rime pas, dehors surtout. Début de panique sur la place enfumée et chasse aux rimes et nombre de pieds réglementaire au salon pendant qu’à l’extérieur, ce sont les coups de pied au cul qui se perdent. Burlesque. Je redoute les conséquences d’un cocktail Molotov au milieu des livres sous la tente de plastique mais la charge des forces de l’ordre éloigne rapidement la menace.
Placides, des exposants interrogent une personnalité qui vient d’arriver au salon sur ce qui se passe à l’extérieur du chapiteau. Le visiteur estime que les responsables de toute cette agitation ne sont autres que les CRS, réponse sans doute à considérer comme un trait d’humour mais typique d’un de ces petits notables dont on ne sait plus s’ils sont à droite de la gauche ou à gauche de la droite tant ils ont louvoyé dans le marigot de leur obsession à tenir leur rang de nobliau de l’intelligenstia provinciale. Nommer l’individu s’avère superflu tant ce genre pullule entre les lambris de la post-soixante-huitarderie replète.
Reste qu’on était prêt à s’attaquer (sans succès heureusement) à un salon du livre et que les gamins qui servent d’instruments aux manipulateurs de tout poil, bien calés ceux-là, derrière leur télévision pour voir le résultat de leur influence pernicieuse, seraient bien inspirés de réfléchir, si ce n’est pas trop leur demander, et de ne pas se tromper de cible. Ont-ils conscience que leur habileté à fabriquer des engins incendiaires pour les lancer contre les écoles, les centres sociaux et les autos de leurs voisins contribue à créer un climat favorable au retour du fascisme et qu’une fois celui-ci installé, ils en seront les premières victimes ? Ont-ils demandé à leurs grands-parents et parents pourquoi ceux-ci ont préféré s’exiler pour venir subsister dans les tours et les barres des cités en France, renonçant à leurs pays d’origine dont les policiers sont nettement moins modérés que ceux des pays démocratiques ? Qui va parvenir un jour à expliquer aux émeutiers les plus jeunes que leur révolte se retournera contre eux s’ils persistent à l’exprimer par les moyens, fût-ce en miniature, du terrorisme ? Sont-ils naïfs au point d’ignorer que toutes sortes de crapules sont en permanence à l’affût pour profiter de leurs errements, tirer les marrons de leurs feux, et que leurs pires ennemis sont des manipulateurs invisibles et silencieux qui se nourrissent de leur colère ? La liste de ces nécrophages est longue et variée : intégrismes religieux, extrémismes politiques, nationalismes, mercantilismes mafieux dont on connaît les oeuvres lorsque les circonstances les font converger vers le pouvoir. Et quand survient une telle catastrophe, ainsi que cela s’est produit au vingtième siècle, ceux que l’on retrouve dans la valetaille des pires dictatures sont souvent les mêmes individus (délinquants déjà chevronnés, trafiquants et petites frappes à la solde de n’importe quel chef de bande pourvu que la voiture soit fournie) déterminés à provoquer le chaos et à y prospérer, opportunistes sans foi ni loi que la démocratie ne s’est pas autorisée à neutraliser lorsqu’il était encore temps.
Mais replaçons tout cela dans le contexte du salon. Une fois la contagion des violences urbaines arrivée en province, il était sûr (j’allais dire écrit) que cet îlot de livres, c’est-à-dire de civilisation, au milieu du commerce ordinaire deviendrait une cible à envisager pour une trentaine d’émeutiers dont on sait que le vocabulaire de certains d’entre eux n’excède pas deux cents mots et qui n’ont que faire de l’empathie de ces intellectuels, écrivains, poètes et artistes pour lesquels ils n’éprouvent qu’un vague mépris. Parmi ces personnes de bonne volonté qui ne peuvent se résoudre à cette amère réalité, beaucoup ont mai 68 imprimé en persistance rétinienne mais l’on sait hélas aujourd’hui que les utopies de cette époque risquent de dégénérer en un épilogue hideux si elles nous tiennent lieu d’automatismes de pensée pour analyser la situation que nous connaissons maintenant.
Qu’on puisse par exemple considérer les cocktails Molotov et, tant qu’on y est, les avions remplis de passagers lancés contre des immeubles comme des “moyens d’expression” me semble révélateur de ces coquetteries d’esthètes capables de produire, prises à un degré autre que celui de l’humour noir ou de la dérision, du chaos et, très accessoirement de la mauvaise littérature.
Enfin, à une moindre échelle de dégâts collatéraux provoqués par ces violences intolérables, voilà que ressort des chapeaux, casques et casquettes, lue et approuvée à droite comme à gauche, la bonne vieille idée du service qu’on appellera civique et qu’on garantira volontaire (pour l’instant) afin de n’énerver personne. Mais les illusionnistes socialistes qui n’avaient jamais tenu leur promesse d’en finir avec l’anachronique calamité du service militaire (bien utile pour dégonfler les chiffres du chômage) tentent pathétiquement de reprendre la main sur leur idée de service civique obligatoire après l’apparition de ce gros lapin extrait du gibus du Président de la République. Pour ne pas être en reste, le camelot Gremetz, spécialisé dans le recyclage des faucilles et marteaux, à qui je donnerai la palme des bateleurs dans cette affaire, nous dégote un vieux fantôme de sa boutique d’accessoires périmés, celui du service militaire obligatoire dont il a fredonné la nostalgique rengaine dans les couloirs de l’Assemblée nationale.
Alors juste un mot, les Sauvageons : allez-y doucement sur les cocktails car ce serait une vilaine gueule de bois pour tout le monde que de se retrouver un jour en treillis à jouer à la guerre après avoir été sommé de laisser la capuche au vestiaire.