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09 novembre 2005

Tu écris toujours ? (32)

On conseille souvent à un écrivain, jeune, débutant et inconnu, de commencer par envoyer des textes aux revues, ce qui serait censé lui permettre de tester sa production. Comme un perroquet, j’ai moi-même répété parfois ce conseil à des candidats à la publication, il me faut bien l’avouer, sans grande conviction. L’idée n’est certes pas mauvaise et je pense qu’elle a pu réussir à certains mais je n’en ai, en ce qui me concerne, jamais été assez convaincu pour la mettre sérieusement en pratique. Si j’ai depuis un quart de siècle beaucoup exploré le monde des revues en lecteur (il en faut bien tout de même quelques uns), je n’ai donné des textes qu’à une quinzaine d’entre elles, ce qui est peu. Je distingue deux aventures bien distinctes : la collaboration à peu près régulière et la publication ponctuelle. La première est souvent attachée à un contact, à une rencontre, la seconde à un envoi spontané et de préférence bien ciblé. Connaître la revue à laquelle on soumet un texte peut permettre d’éviter de mauvaises surprises. Publier n’est jamais anodin, même dans une feuille photocopiée à cinquante exemplaires et sélectionner avec rigueur les titres auxquels on confie sa signature permet aussi de dégager du temps et donc de la réflexion pour peser ses mots, ce qui n’est jamais un luxe.
Par distraction ou précipitation, disons par une coupable négligence, il m’est arrivé d’envoyer deux ou trois textes à l’aveuglette, à des revues dont j’avais entendu parler mais que, dans le meilleur des cas, j’avais à peine feuilletées. Le résultat fut contrasté : une engueulade téléphonique dont la longueur satura la cassette de mon répondeur de la part d’un rédacteur en chef en proie au besoin de se défouler, un silence pas même évocateur de quelques autres et, plusieurs années après, ô surprise, une publication dans la belle revue Le Jardin d’Essai. Ces incidents m’incitèrent à plus de discernement, ce qui me fut assez facile en raison de ma faible motivation à publier en revue. Il m’arriva aussi de bénéficier d’autres publications ponctuelles plus gratifiantes mais, je dois l’avouer, sans lendemain. En revanche, mes collaborations plus régulières donnèrent lieu à d’autres échanges.
Tout commença fin 1979 ou début 1980, lorsqu’un bibliothécaire-écrivain nommé Jean-Louis Jacquier-Roux me fit lire une petite revue de poésie au format oblong imprimée en linotypie, Verso (1). Il me conseilla d’envoyer mes Élégies dont quelques extraits furent acceptés par le comité de lecture. Ce fut ma première vraie publication littéraire qui fut suivie de peu par l’accueil chaleureux de proses et de poèmes par Bernard Deson dans sa revue “Germes de barbarie”. Depuis cette époque, Verso et moi jouons à cache-cache. Je m’abonne, j’oublie de me réabonner pendant des années, je m’abonne à nouveau et ainsi de suite. Que je sois abonné ou non, Verso me consacre de temps en temps une note de lecture, un signalement, lorsque je publie de la poésie. Mais chose étrange, depuis cette toute première publication voici vingt-six ans, je n’ai jamais adressé d’autres textes au comité de lecture de Verso. Je tiens à préciser que Verso existe toujours. Quant à Jean-Louis Jacquier-Roux, devenu un ami fidèle, j’ai eu le plaisir de publier son recueil “En Italie” dans la petite collection des éditions Orage-Lagune-Express.
Après mes débuts à Verso, je réussis un exploit à mettre au crédit de l’inconscience du jeune journaliste encarté de vingt-trois ans que je fus dans une autre vie : publier dans un quotidien régional une trentaine de “proses poétiques” (rassemblées plus tard dans mon livre “L’Inventaire des fétiches”). “On n’est pas Les Nouvelles littéraires !” avait grogné un secrétaire de rédaction. Mais le directeur départemental, Claude Garbit, un journaliste de la vieille école, une pointure comme on dit, m’avait soutenu. Peu de temps après, le journal changea de propriétaire et les gaillards de la trempe de Claude Garbit mirent vite les voiles en se bouchant le nez, remplacés par d’autres qui rêvaient de faire un journal sans journalistes. Alors, la littérature là-dedans, vous pensez bien...
Rescapé très provisoires des “purges” et “dégraissages” que connut ensuite le journal, je fus un jour “désigné comme volontaire” pour rencontrer un universitaire qui créait une revue de littérature et de sciences humaines à Meillonnas dans l’Ain. C’est ainsi que je fis la connaissance de Michel Cornaton qui venait d’acheter au cinéaste Louis Malle la maison habitée par Roger Vailland dans ce village du Revermont. Avec des hauts et des bas, avec mon nom qui voyageait du comité de lecture au comité de rédaction selon le degré de grâce ou de disgrâce que je pouvais connaître auprès des responsables actifs, souvent aussi au gré de mes propres humeurs bonnes ou mauvaises se traduisant parfois par de conséquentes interruptions, ma collaboration avec Le Croquant (2), nom dont s’affubla la revue malgré le conseil du romancier Bernard Clavel d’en changer, s’étendit sur une quinzaine d’année. Dès la création du Croquant, le débat sur la place que devait y tenir la littérature s’instaura en termes parfois vifs. Certains, l’estimant insuffisante, claquèrent la porte dès les premiers numéros. D’autres partirent peu à peu sur la pointe des pieds. Quant à moi, ne m’étant pas manifesté auprès du comité de lecture depuis l’année 2003, j’attends de voir.
Prêt à finir le vingtième siècle un peu en retrait de l’effervescence des revues, un peu en retrait de tout, pourrais-je même dire, j’eus le privilège de rencontrer Emmanuelle et Roland Fuentès (3) qui, avec Gilles Bailly, portent à bout de bras la revue Salmigondis (4). Je venais d’écrire sans grand espoir de le publier une sorte de roman en cent fragments intitulé Le Grand variable. D’habitude peu enclin à faire lire un manuscrit à des amis, j’abandonnai à l’heure de l’apéritif l’étrange bébé au domicile de la famille Fuentès. En 1999, Roland me téléphona pour me proposer de publier le machin dans trois numéros successifs de Salmigondis avec, cerise sur le gâteau, de splendides dessins de Frédéric Guenot. J’en garde un souvenir d’autant plus ému que cette déraisonnable initiative ne fut pas pour rien dans la publication du Grand variable en 2002 par Robert Dadillon aux éditions Editinter (5).
1999 et 2000 furent pour moi des années de publication à épisodes. Après Le Grand variable en feuilleton dans Salmigondis en 1999, ma nouvelle “Alma s’en va” parut l’année 2000 en deux parties dans les numéros 16 et 17 de la revue de Simone Balazard, Le Jardin d’Essai (6) . Lorsque je reçus la première livraison, je fus très surpris d’y découvrir mon texte car j’avais purement et simplement oublié que je l’avais envoyé. Premier ravage de la quarantaine ?
Mais c’est fantastique, la quarantaine ! Pour la fêter, le destin m’offrit en 2001 un détour dans le monde des revues fantastiques avec l’accueil de ma nouvelle Le Démon du retour (illustrée par le talentueux dessinateur Fernando Goncalvès-Félix) au sommaire du Codex Atlanticus (7) de Philippe Gindre.
Ainsi qu’on peut le constater dans cette sélection d’épisodes de ma navigation à vue dans le flot des revues littéraires, on voit bien que la meilleure “stratégie” pour publier est, à mon avis, (question de tempérament) l’abandon de toute stratégie.


(1) Verso, revue trimestrielle. Contact : Alain Wexler, le Genetay, 69480 Lucenay.


(2) Le Croquant


(3) Roland Fuentès


(4) Salmigondis


(5) Éditions Editinter


(6) Le Jardin d'Essai


(7) Le Codex Atlanticus



(À suivre...)

08 novembre 2005

Tu écris toujours ? (31)

Parmi le bric-à-brac rescapé de mon héritage familial, traînent quelques dictons et proverbes qui viennent inopinément reprendre du service alors que s’est définitivement repliée la nappe des grands repas d’automne dans la maison centenaire.
Par exemple, “Le nom des fous est écrit partout”, entendais-je souvent dans mon enfance, et voilà que cette phrase vient aujourd’hui me titiller en pleine rédaction de ma bibliographie destinée à quelque hasardeux dossier de demande de très improbable “bourse de création”. Est-ce finalement cette fatidique sentence qui m’a déterminé à inscrire mon patronyme au pathétique fronton des couvertures de livres et pour socle dérisoire des éphémères colonnes de la presse écrite ? (Ne m’en veuillez pas de cette débauche d’adjectifs à laquelle je m’abandonne comme on cède parfois à une bonne vieille ration de frites-mayonnaise).
Mais à bien y regarder, comparé aux coupables de “graffs” et de “tags”, aux “lincuistres” des années 70, aux pigeons d’ateliers d’écriture, aux pétanquistes poètes, aux éjaculo-scripteurs précoces, aux sibyllins médianochistes, aux pondeurs de pavés, aux faiseurs de vers et autres polymorphes pervers graphomanes, je crois n’avoir pas trop abusé. Je n’ai point pratiqué le largage par avion de manuscrits photocopiés à quinze-mille exemplaires, n’ai jamais relancé d’éditeur aux abonnés absents et me suis abstenu de coloniser l’espace des petites revues en usant d’armes de publications massives. Mon obsessionnelle méfiance m’a même malencontreusement conduit à décliner d’honnêtes offres de collaborations à quelques-unes d’entre elles. Écrasé par ma lenteur à me dépatouiller d’un quotidien avec lequel tout le monde se débrouille avec efficacité, je fais de la rétention de manuscrit et mes oeuvres, d’avoir été pondues mais trop longtemps couvées, risquent de finir en oeufs de shadocks, vous savez, ces drôles d’oiseaux dont les oeufs en métal ne peuvent éclore que bien rouillés et d’où ne sortent que de vieux poussins. D’accord, j’exagère mais c’est tellement bon.
Lorsque j’ai commencé à tremper mes pieds dans l’océan des revues littéraires, dans les années 1980, des enquêtes plus ou moins élaborées faisaient état de plus de cinq cents titres épanouissant dans le plus sympathique désordre leurs fragiles corolles de papier à ronéo ou mûrissant quelque rare et aristocratique raisin. En attendant les récents miracles numériques, la photocopieuse, fée tristounette du bureau et du logis, vint s’activer au ménage des taches d’encres et autres pâtés fleurant fort la chimie des duplicateurs et des stencils. Entre temps, le nombre des revues dépassa le millier à la barbe des vénérables anciennes, toujours inaccessibles à certains prétendants à l’édition qui se vengèrent en inondant les petites nouvelles de leur frénétique production. Fervent lecteur de cette presse littéraire marginale, j’ai encore en mémoire des noms “d’écrivants” qui ont dû faire les beaux jours des officines de copie à dix centimes et les pesants matins de facteurs affligés d’un rédac’chef miniature dans leurs tournées. J’en suis même venu à éprouver une vague culpabilité liée à ma réticence à vaporiser ainsi mes vers et ma prose, que dis-je, à semer à tous vents des tombereaux de graine de poésie dans d’étroits pots à mots débordant d’ego à seule fin qu’une seule d’entre elle, haricot sublime, puisse un jour y entamer la monstrueuse germination d’un baobab céleste !
Je me réjouis aujourd’hui de cette paresse que je me reprochais jadis en constatant l’inanité d’une telle stratégie. Ces pisse-copie ont-ils bu leur propre bouillon ? Se sont-ils englués dans leur logorrhée ? En tous cas, je n’en entends plus parler, même pas sur internet. Ma parole, ils ont tous dû finir animateurs d’ateliers d’écriture, gestionnaires du patrimoine voire adjoints aux maires de leurs communes (en charge des affaires culturelles bien sûr...). Les plus retors d’entre eux auront peut-être même créé un Prix Littéraire qui se fera fort de primer un auteur déjà nobélisé. Pourquoi donc, me direz-vous ? Eh bien pour rendre leur Prix Littéraire célèbre, ma foi !
Mais alors, cet avertissement solennel et puritain “Le nom des fous est écrit partout”, (peut-être à l’origine de ma “vocation” littéraire) peut-il aussi expliquer ma flemmarde réticence à publier en revue ? Il se peut que cette fameuse flemme soit une bonne excuse. En attendant (assez mollement je dois dire) d’élucider ce mystère, je peux affirmer que si j’ai peu proposé de textes aux revues, celles qui m’ont publié m’ont offert à chaque fois une expérience unique, notamment Salmigondis, Le Croquant, Le Jardin d’Essai, Le Codex Atlanticus et Verso que j’évoquerai dans le prochain épisode de ce feuilleton.

(À suivre...)

03 novembre 2005

Clefs des chants

Vol

Longtemps avant le poème, ces moments où la pensée s’envole comme un voile d’étoffe laissé aux caprices de l’air et qui s’amarre un instant au vent, à tout ce qui peut retenir sans contraindre.

Plus bas
Quand plus personne n’écoute, il faut parfois, pour continuer à se faire entendre, non pas crier plus fort mais chuchoter. Alors, en face, on tend l’oreille.

Effort
Comme tous les paresseux, je suis capable, dans un temps très court, de fournir un énorme effort : l’écriture d’un poème, par exemple.

Rien
Dire que tout poème est un poème d’amour n’a rien à voir avec le lyrisme.

Attente
Le poème, comme un enfant, ne peut s’épanouir que si je n’attends rien d’autre de lui que sa belle existence.

Lecture
Un poème n’exige pas d’être totalement décodé pour témoigner d’un sens qui ne s’y trouve pas caché mais simplement mobile.

Vivants
Les poèmes sont là pour nous rappeler, de temps à autres, que nous tentons d’être vivants.

Vérité
Dans un poème, l’auteur cherche sa vérité. S’il est réussi, les lecteurs y trouvent une part de la leur.

Fatigue
J’écris des poèmes parce que je n’arrive pas à me faire comprendre. Sinon, je ne me fatiguerais pas.

(Extraits de mon recueil “Le Pétrin de la foudre”, éditions Orage-Lagune-Express, 1992).