18 mars 2006
Tu écris toujours ? (38)
Conseils à ceux qui ont un écrivain à la maison
Vous avez un écrivain à la maison ? Pas d’affolement. (D’accord, c’est tombé sur vous. Dites-vous que c’est le destin). Voici les solutions adaptées à quelques dysfonctionnements classiques.
Votre écrivain est trop gros : il n’a pas assez d’exercice. Emmenez-le en promenade.
Votre écrivain est trop maigre : il a peut-être le ver solitaire. Pouah !
Votre écrivain est poète et taciturne : il a sans doute le vers solitaire.
Si votre écrivain est votre mari, qu'il a trouvé un job de gardien dans un immense hôtel fermé loin de tout et qu'en déambulant dans les couloirs de cet endroit sinistre, vous entrez dans une pièce où il a installé une machine à écrire et dactylographié une feuille avec toujours le même mot répété sur toute la page, soyez sur vos gardes. Si, en plus, votre écrivain s'est muni d'une hache et qu'il a le même genre de regard que celui de Jack Nicholson dans Shining, il est sûrement très déprimé. Déguerpissez et contactez un spécialiste en vitesse.
Votre écrivain ne fonctionne pas : il s’agit peut-être d’un écrivain sans œuvre. Cela n’a rien d’alarmant car ce type d’écrivain réussit souvent dans la chasse aux bourses d’aide à l’écriture. Et dans le monde actuel, mieux vaut un écrivain sans œuvre avec des bourses qu’un écrivain sans bourses avec des œuvres.
En société, votre écrivain jette un froid en plein repas de communion en déclarant que le retour des religions va provoquer une guerre nucléaire et que, pour cette raison, il aurait mieux valu ne pas faire d’enfants : ne vous inquiétez pas. La situation internationale n’est pas plus tendue que d’habitude et votre écrivain a simplement dû se faire refuser un manuscrit.
Votre écrivain fait une crise d’optimisme béat : méfiance ! On a dû lui faire des propositions mirobolantes du style “votre manuscrit est accepté par le comité de lecture et paraîtra dans six mois.” Cette situation est plus grave que la précédente. Au moindre retard de publication, ce n’est pas la guerre nucléaire de religion qu’il prophétisera mais quelque chose de bien pire (qu’il pourrait arrêter d’écrire, par exemple). Et si le livre ne paraît pas, alors là...
Votre écrivain est infernal et vous ne savez plus comment vous y prendre avec lui : avez-vous pensé à vous équiper d’un cochon d’Inde ? En observant attentivement ce petit animal, vous verrez que votre écrivain et lui ont beaucoup de points communs.
Par exemple, il existe bien sûr des élevages de cochons d’Inde mais savez-vous qu’on peut aussi faire de l’élevage d’écrivain ? Mais oui, dans des lieux très variés comme certaines grandes maisons d’édition et dans les universités américaines. Quelques organismes publics pratiquent aussi l’élevage d’écrivain mais leurs résultats sont aléatoires. Souvent, les écrivains ainsi élevés (par les bourses) s’habituent et, une fois lâchés par l’éleveur, ils n’arrivent plus à s’adapter au retour à la vie sauvage. C’est con.
Le cochon d’Inde est casanier, attaché à ses habitudes et il adore manger. Souvent, l’écrivain est pareil.
Le cochon d’Inde aime être caressé dans le sens du poil, l’écrivain aussi. Le cochon d’Inde apprécie modérément qu’on lui grattouille le ventre, l’écrivain ça dépend.
Dans les situations désespérées face au surmulot (son pire ennemi), le cochon d’Inde, contrairement à ce qu’on croit, peut faire preuve d’un courage héroïque. On a vu des écrivains se comporter de la même façon, y compris en cas de contact avec un surmulot.
Le cochon d’Inde, que la nature n’a pas doté de moyens de défense très efficaces, compense ce handicap lorsqu’il est agressé, par toute une panoplie de comportements théâtraux censés impressionner ou déstabiliser l’adversaire (mâchoire ouverte, agitation, poils hérissés). Parfois, les écrivains le font aussi, même à la télévision, mais comme ils sont habillés, on ne voit pas leurs poils.
Vous voyez donc que l’observation du cochon d’Inde peut vous permettre de comprendre certains comportements de votre écrivain. Vous pouvez même tester sur cet affectueux petit mammifère les solutions que vous envisagez d’adopter pour régler les problèmes rencontrés auprès de votre écrivain car le cochon d’Inde, comme chacun sait, est un excellent cobaye. Ces deux animaux sont très proches, vous pouvez me croire car j’en connais un rayon sur les cochons d’Inde et je pourrais encore continuer longtemps à en parler. Non ? Ah bon.
Je voudrais juste préciser une chose à propos du cochon d’Inde : ne pas l’empêcher de manger ses crottes. D’abord, il ne s’agit point à proprement parler d’excréments “normaux” mais de petites concrétions de forme oblongue produites dans leur cæcum. En les ingérant, le cochon d’Inde s’assure un indispensable complément en vitamine B.
Finalement, c’est bien la seule différence avec votre écrivain. Enfin, je l’espère pour vous.
PS : un bon livre sur le cochon d’Inde, avec un titre original : “Le cochon d’Inde”, par Katrin Behrend et Karin Skogstad, sous-titré “Bien le soigner, bien le nourrir, bien le comprendre”. Éditions Marabout (hi hi ! Le cochon d’Inde aux éditions Marabout !)
Pour la même collection, rien ne vous empêche de tenter votre chance en proposant :
“L’écrivain : bien le soigner, bien le nourrir, bien le comprendre.”
(À suivre)
19:20 | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
Comme toujours, excellent. J'adore ce style cynique, vivement la prochaine !
Écrit par : Matthieu M. | 18 mars 2006
Jusqu'où le cochon d'Inde peut-il nous aider à comprendre l'écrivain? Notre écrivain doit-il, à l'instar de ce sympathique mamifère court sur patte, ronger (son frein) pour éviter d'avoir les dents trop longues ? C'est vrai qu'il a une fâcheuse tendance aussi à tourner en rond (même sans la petite roue, encore que l'écrivain fait parfois la roue, mais on s'égare)...pour passer le temps ou quand il est en panne d'inspiration ?
Merci, c'est vraiment un plaisir de vous lire... J'y reviendrai.
Écrit par : Miss Tics | 21 mars 2006
Mais pourquoi donc vouloir l'empêcher de manger ses crottes ? J'en connnais tant qui se repaissent de leur propre production...
Par ailleurs, vaut-il vraiment mieux "avoir des bourses" dans le monde actuel, à l'heure où d'autres fustigent la littérature sans estomac ?
Je vous salue, et vous lirai désormais (... si vous écrivez toujours !)
Écrit par : prixdeflore2006 | 23 mars 2006
J'adore ce style d'écriture. Bonne analyse ! On dirait presque un article de "sciences et vie", avec une analyse à la loupe d'une nouvelle espèce d'être humain ;)
bravo.
Écrit par : bregman | 27 mars 2006
Encore une fois, ces billets sont d'une irresistible qualité ! Bravo pour l'humour et merci pour ces moments de plaisir !
Écrit par : oslo | 28 mars 2006
jolie et pétillante découverte que votre blog...
Écrit par : lesyeux | 12 mai 2006
heu....vous parlez de vous à la 3ème personne, comme delon, ds votre présentation 'à propos' ...il fait ça le cochon d'inde ?
Écrit par : lesyeux | 12 mai 2006
Ma paresse me perdra.
C'est une présentation qui a déjà beaucoup servi et qui date de l'époque à laquelle je ne savais même pas ce qu'était un blog.
Il faudra que je la change car, quitte à m'inspirer d'un animal, je préfère que ce soit d'un cochon d'Inde que de Delon !
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 12 mai 2006
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