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05 février 2015

Verso 159

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Dans ce numéro de la revue littéraire Verso, reprise de notre échange avec Jean-Jacques Nuel sur le thème de ses textes courts.

Verso : adresse et abonnement ici. Prix au numéro : 5,50 €

24 juillet 2014

Un crachat du diable dans le jardin

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De quoi parle-t-il Pierre Gascar dans ces lignes extraites de son livre Le Règne végétal ? Simplement d’une sorte d’algue si humble, si obscure et si commune que nous ne la remarquons que pour l’écraser du pied. Et encore... Lorsqu’il pleut, car par beau temps, elle devient presque invisible. Invisible certes, mais toujours présente.

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Nostoc photographié hier derrière la maison

Le nostoc ou crachat du diable voire crachat de la lune est une sorte d’algue bleue de la famille des cyanophycées à laquelle le romancier s’est intéressé de près. Ce végétal qui se présente sous la forme de masses gélatineuses, humides, profite au mieux de l’été pourri.

On note sa présence partout alentours, après un orage, une averse. À la moindre pluie, il se gonfle d’eau pour former ces sortes de bulbes verdâtres «posés» sur le sol. Par temps sec, il se réduit à l’apparence d’un terne lichen, encore que le mot lichen soit impropre lorsqu’on évoque ce végétal qui était sur terre au commencement des âges et qui nous survivra ainsi qu’à toute forme de vie.

Au-delà de la nuit

Ce qu’écrit Pierre Gascar à propos du nostoc appelle à la réflexion. Le nostoc a « la particularité d’absorber l’énergie lumineuse en deçà du spectre solaire perceptible, dans le domaine des infrarouges. » Lorsqu’on sait que la fin de notre monde sera liée sur une échelle de millions d’années à l’extinction du soleil qui deviendra de plus en plus rouge, seul le nostoc survivra à ce phénomène qui aura engendré la suppression de toute vie animale, la fonction chlorophyllienne ne s’exerçant plus en l’absence du rayonnement ultraviolet.

Il est même probable que le nostoc parviendra dans ce crépuscule préludant à la nuit définitive à extraire encore d’une autre étoile au lointain rayonnement le peu de lumière, invisible pour des yeux humains, nécessaire à sa survie. Avec un peu de rosée (elle se formera encore dans ce contexte) il survivra et sera probablement le dernier brin de vie sur la Terre.

Si vous voulez voir à quoi ressemble le crachat du diable, attendez la pluie et regardez par terre dans le jardin ou sur un chemin.

CC-E

Le Règne végétal de Pierre Gascar est publié aux éditions Gallimard.

(J'ai publié cet article dans la presse quotidienne et dans le n° 6 de la revue Germes de barbarie)

09 mai 2014

Marguerite Duras dans la vie matérielle

marguerite duras,la vie matérielle,écrire,blog littéraire de christian cottet-emard,marguerite duras dans la vie matérielle,article,presse,magazine des livres,mes collaborations presse,presse littéraire,essai,étude,littératureNe possédant plus que deux exemplaires du numéro de feu le Magazine des livres où se trouve un de mes articles sur Marguerite Duras et ne pouvant plus prêter cette publication sans risquer de démunir mes archives papier, je mets donc ce texte en ligne avec le fac-similé.

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 Cela doit remonter au collège ou au lycée. Duras à la télé en plein entretien avec Pierre Dumayet. L’image semble floue, non pas parce que le poste est mal réglé mais parce que l’écrivain et le journaliste s’enfument à la pipe et à la cigarette. Ils ont des voix de fumeurs, elle enrouée, lui enrhumé. Quelques années plus tard, carte de presse en poche, j’espère que le journalisme me rapprochera de la littérature. Qu’en dit-elle, Duras qui signe dans les grands journaux ? Tentatives de lecture et échec : ça résiste. Journalisme et littérature m’ont choisi comme champ de bataille et tirent la corde chacun de leur côté. En 1987, pendant que pour moi, ça tangue et ça craque, et qu’il faut s’appeler Duras pour être capable de faire cohabiter dans une même tête, dans un même corps, un écrivain et un journaliste, elle publie La Vie matérielle (P.O.L). Ce livre construit au magnétophone me donne la clef. Un barrage contre le Pacifique, d’abord, puis les autres, pas tous, mais j’hésite à employer ce pluriel car, finalement, comme beaucoup de grands écrivains, Duras écrit toujours le même livre. On le voit dans La Vie matérielle dont elle dit: « Il n’est pas un journal, il n’est pas du journalisme, il est dégagé de l’événement quotidien... J’ai hésité à le publier mais aucune formation livresque prévue ou en cours n’aurait pu contenir cette écriture flottante de “La vie matérielle”... »

marguerite duras,la vie matérielle,écrire,blog littéraire de christian cottet-emard,marguerite duras dans la vie matérielle,article,presse,magazine des livres,mes collaborations presse,presse littéraire,essai,étude,littératureDuras ? D’emblée, elle m’a déplu, fait peur, profondément dérangé. J’ai tout de suite su, dès les premières lignes, que je ne pourrais pas lui échapper. L’un des plus grands écrivains du vingtième siècle, Marguerite Duras ? Oui, y compris dans ce que le personnage a pu avoir de plus horripilant, mais quelle importance, lorsqu’on s’appelle Marguerite Duras, d’être la meilleure, la plus lue, la plus adulée ou la plus détestée ? Pour un écrivain de cette stature, l’enjeu est d’un intérêt bien supérieur, bien plus simple et tellement plus complexe : réussir à vivre. Improbable projet à l’instar d’un Fernando Pessoa qui écrit dans son poème « Bureau de tabac » : « Je ne peux vouloir être rien » et ce troublant écho dans C’est tout (P.O.L), le dernier livre de Duras : « Je ne peux me résoudre à être rien ». Cela tient d’une sorte de sauvagerie, ainsi qu’elle le constate dans Écrire (Gallimard) : « Ça rend sauvage l’écriture. On rejoint une sauvagerie d’avant la vie. Et on la reconnaît toujours, c’est celle des forêts, celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, distincte et inséparable de la vie même. »

Écrire, faire les courses, écrire, ranger, écrire, déranger, écrire, être une femme, écrire, se promener, écrire, trouver des maisons, écrire, ramasser des bois flottés, écrire, aimer, écrire, boire, écrire, se soigner, écrire, être malade, écrire, vieillir, écrire, mourir.

Les écrivains mâles se donnent l’air de ne rien faire d’autre qu’écrire. Ils ont rarement l’idée, comme Duras, de se faire photographier dans leur cuisine, derrière la table de formica, entre le liquide pour la vaisselle et le fait-tout et ils semblent toujours vouloir suggérer qu’ils arrivent à tenir le quotidien à distance, à maîtriser la situation, exactement l’attitude inverse de Duras pour qui l’écriture englobe tout, de la littérature à la liste des courses fixée au mur.
Marguerite Duras est un écrivain de la vie matérielle. Ainsi intitule-t-elle le recueil des quarante-huit textes dont, précise-t-elle : « Aucun ne reflète ce que je pense en général du sujet abordé parce que je ne pense rien, en général, de rien, sauf de l’injustice sociale. » Nous voilà renseigné sur une dimension essentielle de l’œuvre. Duras ne se soucie guère de l’artisanat de littérature et encore moins de bien écrire. Son fameux style qui intimide encore et qui dérange toujours, elle ne l’a pas forgé, « travaillé » pour s’y laisser enfermer mais elle l’a laissé se façonner, s’éroder sous l’action des événements, des intuitions, des sensations. Là réside son engagement. L’écriture de Duras ne s’occupe pas de hiérarchie, de classification, de jugement et elle se dérobe à chaque genre littéraire au moment où elle laisse une parole s’organiser en roman, en reportage, en scénario, en théâtre.

C’est dans sa pratique du journalisme que ce que l’on pourrait appeler sa méthode d’imprégnation (plus une attitude qu’une méthode, du reste) se révèle avec le plus d’acuité : « Il faudrait écrire pour un journal comme on marche dans la rue, note-t-elle. On marche, on écrit, on traverse la ville, elle est traversée, elle cesse, la marche continue, de même on traverse le temps, une date, une journée, et puis elle est traversée, cesse. »

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Quel journal publierait aujourd’hui des articles nés d’une telle manière ? La simple lecture des « piges » de Duras pour la presse permet de mesurer le mal qui ronge aujourd’hui le journalisme contre lequel le « calibrage » obsessionnel des textes réussit chaque jour un peu plus là où la censure a toujours échoué. Il n’est désormais pas excessif de constater un glissement de ce phénomène en direction de la littérature et notamment du roman avec le rouleau compresseur du livre d’élevage, texte éminemment « calibré » où le lecteur ne trouve plus que ce qu’il a décidé d’y trouver, ce qui est évidemment le contraire de la littérature qui ne vit quant à elle que d’associations, rebonds, digressions, analogies, comparaisons... Reposons donc la question avec une légère variante : quel éditeur publierait aujourd’hui Marguerite Duras ?

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Infréquentable, incontrôlable, elle n’aime rien tant que détricoter ses intrigues romanesques, composer des variations sur le thème de l’autobiographie dans lesquelles tout est vrai, mais dans le désordre ou plutôt dans un ordre différent. À l’époque où les plateaux de télévision accueillaient encore la parole des écrivains et non leurs pathétiques corvées de promotion dans des émissions de variété pour patates de canapé, Duras tenait tout un entretien malgré sa gorge ravagée et son épuisement de rescapée.

Dire jusqu’au bout sans faire joli (plus rien à vendre depuis longtemps) mais surtout, continuer à dire tant que c’est possible, tant que la voix le peut avant le dernier livre, C’est tout, et la dernière ligne, terrible : « Je n’ai plus de bouche, plus de visage. »

À lire :
Écrire, de Marguerite Duras, Folio.
La Vie matérielle, Folio.