10 août 2008
Jean Tardieu dans sa maison natale
(Cet article que j'avais publié après la disparition de Jean Tardieu en 1995 a été repris dans la revue Le Croquant n° 57/58, été 2008). Une version abrégée a paru dans La Quinzaine littéraire du 16 février 1995, n° 664.
On est venu chercher Monsieur Jean. Pour toujours. En juillet 1988, il avait tenté de retrouver son double, « l’enfant resté au bord de la route », à Saint-Germain-de-Joux, dans l’Ain.
Un geste, une attitude valent bien toutes les explications de texte pour approcher la réalité d’un écrivain admiré que la chance autorise à rencontrer. Jean Tardieu, de retour dans sa maison natale à l’occasion d’une visite à Alain Claude, à l’époque directeur du Centre culturel Aragon d’Oyonnax, vient de franchir le seuil de la demeure construite en 1715. Le voici déjà dans une chambre où il se saisit d’un petit sablier posé sur une commode. Il tourne et retourne dans ses mains cet objet qui peut symboliser un grand thème de son œuvre : le temps. Jean Tardieu, on le voudrait éternel, et le sablier suscite des questions que l’on ne peut s’empêcher de se poser : « Où ? Quand ? Combien de temps encore ? » La réponse est tombée comme un couperet le vendredi 27 janvier 1995. Désormais restent l’œuvre et quelques images, des photographies dont il a supporté la contrainte avec gentillesse, malgré son absence de goût pour les séances de pose.
À cet égard, l’homme et l’œuvre, une fois encore, se rejoignent. La discrétion, l’attention pour ce qui ne se révèle pas sous une lumière artificielle, caractérisent l’auteur et ses écrits. Le contraire surprendrait de la part d’un poète qui intitule ses livres Le Témoin invisible, Histoires obscures, ou Une Voix sans personne… La poésie, surtout en ces temps de poudre aux yeux, est-elle autre chose que cette disponibilité au murmure, à l’innommé ? Dans la voiture qui le reconduit à son hôtel, à Nantua, après les retrouvailles avec son lieu de naissance, Jean Tardieu acquiesce en insistant sur l’exigence que le choix d’une telle direction requiert chez celui qui veut aujourd’hui avancer sur le dur chemin de la création littéraire.
Comme Jean Tardieu, jouons-nous un peu du temps et revenons quelques heures en arrière. Les déambulations dans les couloirs de la maison de Saint-Germain-de-Joux se prêtent plus à des échanges informels qu’à un entretien dans les règles de l’art. Celui-ci aura d’ailleurs lieu trois ans plus tard à Meillonnas, lorsque Jean Tardieu se verra remettre par le Conseil général de l’Ain le Prix Voltaire, créé par la revue Le Croquant. Mieux vaut, pour l’instant, laisser Jean Tardieu à sa joie de retrouver une parcelle préservée de son enfance. Ici, c’est « un tableau qui n’a pas bougé », et là, « une lanterne magique toujours à sa place ». Ce matin gris d’été 88, la courtoisie, la simplicité et la vivacité de Jean Tardieu, heureux de se trouver là, mettent tout le monde de bonne humeur. Son épouse Marie-Laure sème un peu partout des coups d’œil amusés et bienveillants. Derrière ce regard malicieux se cache une femme de science. À l’époque de son mariage, elle entre au Museum d’histoire naturelle comme sous-directeur de laboratoire et se retire en 1972 en terminant sa carrière au poste de directeur de laboratoire à l’École des Hautes Études.
Jean Tardieu s’assoit près de la fenêtre et ouvre un grand album relié. Le vert sombre de la nature qui baigne Saint-Germain, tout près, derrière les vitres, fait surgir de la mémoire un poème précis : La Fenêtre ou les noms de mon pays. Le temps rapide du dehors et le temps suspendu de la maison se mélangent. L’auteur de ce prodige est là, curieux de cette poche de temps intacte où il vient de pénétrer, par effraction pourrions-nous dire, si Mme Rugo de Saint-Germain-de-Joux, qui détient les clefs de la maison, n’avait elle-même ouvert la porte au petit cortège de visiteurs.
« Moi, je vois le temps. Et même, non seulement je le vois, mais aussi je l’entends et je le sens, je l’éprouve, je le vis » , dit un personnage dans L’animal du temps, extrait de La Première personne du singulier, et de conclure : « fondre, fondre et couler tout à fait, devenir le temps ! » En 1991, dans un entretien accordé à la revue Le Croquant, dirigée par Michel Cornaton, Jean Tardieu évoque sa double personnalité : « un enfant qui serait aussi un vieillard, un vieillard qui serait aussi un enfant ! » Au gré des veilles et des nuits blanches – Jean Tardieu écrit la nuit – l’immersion dans le temps se réalise en un poème, seule trace tangible de cette aventure fugace.
Ce jour, dans la maison natale, l’écrivain trouve un autre moyen que le poème pour se fondre un moment au cours du temps. Il lui suffit de tendre la main, ici, au milieu de ses souvenirs protégés par les forêts d’épicéas, à son double inquiet du texte L’enfant resté au bord de la route : « Comme je voudrais retourner vers l’enfant ! Il savait tout d’avance, et c’est bien pour cela qu’il pleurait. »
Le bruit des clefs se répercute dans les couloirs de la grande maison. Mme Rugo raccompagne M et Mme Tardieu entourés des amis et des journalistes. Quelques éclairs de flash fusent sous le ciel bas. Un sourire discret pétille dans les yeux de Jean Tardieu. Il doit s’amuser du bon tour qu’il vient de jouer au temps qui file, en revenant à l’improviste dans sa maison de jadis.
Photos: 1) Le poète Jean Tardieu devant le portail de sa maison natale. 2) « La Fenêtre ou les noms de mon pays » . © Photos Christian Cottet-Emard, droits réservés.
00:02 Publié dans Mes collaborations presse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jean tardieu, revue le croquant, poésie, reportage, maison natale, saint-germain-de-joux, ain
09 juillet 2008
Nuitamment
Je sais depuis longtemps que la musique me répare mais je me plais à me le répéter chaque fois que je reviens d’un concert marquant. En ce début juillet, je suis gâté.
En quelques jours, j’ai pu écouter des amis organistes, Véronique Rougier à Saint-Lupicin (Jura) révélant toute la délicatesse et les nuances de l’instrument de quatre jeux construit par Philippe Hartmann, puis Olivier Leguay hier soir à la co-cathédrale Notre-Dame de Bourg-en-Bresse dans sa superbe interprétation des Chorals du Dogme de J-S Bach. Savoir qu’il joue cette musique par cœur rend tout commentaire superflu. Risquons tout de même trois adjectifs : clair, recueilli, puissant. Des mots bien faibles pour exprimer l’art de ces deux musiciens. De retour avec eux dans la nuit par la route surplombant les méandres de la rivière d’Ain, j’ai vu un hibou frôler le pare-brise.
Ainsi que j’en ai l’habitude en rentrant de concert, j’ai croqué quelques sandwiches, trinqué à la santé du canari mécontent de mes médianoches à répétition et je suis sorti fumer un cigare sur le pas de la porte. Une brise de fin d’orage dispersait mes volutes tandis que perçaient quelques étoiles au-dessus des grands tilleuls odorants. La tête pleine de musique, je songeais aussi à un autre concert, celui de dimanche, en plein orage, où je me trouvais à l’abbatiale Saint-Michel de Nantua (Ain) pour profiter d’un programme Boëly interprété par Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun qui ont enregistré l’intégrale des œuvres pour orgue de ce compositeur.
En me remémorant toute cette beauté, je me suis figé dans une telle immobilité qu’une fouine est venue allonger son pas de petite danseuse à quelques mètres de moi. La voir s’éloigner du halo des derniers lampadaires m’a rappelé qu’il était temps, à trois heures du matin, d’aller dormir après la rédaction de ces quelques lignes totalement inutiles...
03:39 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : concert, véronique rougier, olivier leguay, bach, ain, co-cathédrale de bourg, saint-lupicin
21 mai 2008
Les sentiers de Magdeleine
Mon ancienne consœur, Magdeleine Barralon, qui connaît bien le département de l’Ain, vient de publier un guide recensant vingt-cinq promenades pour tous dans la collection « Les Sentiers d’Émilie » (Rando éditions). En soixante-quatre pages dynamiques, les itinéraires sont décrits et illustrés avec clarté et précision. La plupart des photos sont de l’auteur. À la lecture de ce guide vraiment très pratique qui trouvera sans encombre sa place dans la poche ou dans le sac à dos, le regard s’aiguise sur des sites et des paysages qu’on croit connaître par cœur alors qu’ils réservent toujours de nouvelles surprises. Quant au promeneur venu d’un plus lointain horizon, il saura d’emblée où diriger ses pas pour ne manquer aucune des beautés contrastées du département de l’Ain.
Extrait de la quatrième de couverture :
« Les Sentiers d’Émilie, ce sont 25 promenades pédestres faciles, accessibles à toutes et à tous, sans expérience requise de la marche régulière.
Du bocage bressan aux mille et un étangs de la Dombes, du lac Genin aux falaises du Bugey, des rives de l’Ain à celles de la Saône ou du Rhône, ces parcours de promenades vous donnent rendez-vous avec l’émerveillement et l’apaisement.
Les plus courts ne dépassent guère l’heure de marche (Fenille, basilique d’Ars, lacs de Chavoley et de Morgneux) quand les plus longs atteignent, voire dépassent, trois heures (Saint-Trivier-de-Courtes, mont Verjon, Arnans et la chartreuse de la Petite Montagne). »
* Magdeleine Barralon, Les Sentiers d’Émilie dans l’Ain, Rando éditions. En vente en librairie.
20:47 Publié dans Loisirs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : magdeleine barralon, les sentiers d'emilie, rando éditions, ain, promenades, guide, poche