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11 mars 2022

Carnet / Des temps troubles et du Voyage en Italie.

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« En ces temps troublés » , suis-je tenté d’écrire en introduction à cette page de carnet mais il me semble plus exact de corriger tout de suite : « En ces temps troubles » .
 
Qualifier l’époque de « troublée » peut laisser croire que le malaise ne vient que de l’extérieur, qu’il s’agisse des événements (pandémie, tension internationale) et de l’action de nos gouvernants, or c’est hélas en la société elle-même qu’est le malaise. Si l’on peut espérer en l’individu, rien ne change dans la collectivité dont les crises révèlent toujours crûment les mêmes réflexes, les mêmes comportements, les mêmes démissions, les mêmes faillites du jugement, les mêmes renoncements aux libertés, les mêmes instincts grégaires. C’est sur cette somme de négativité que s’appuient et prospèrent nos mauvais décideurs et c’est ainsi qu’est engagée aussi notre responsabilité. Si nous pensons de travers, nos gouvernants peuvent agir de travers. Nous leur signons un chèque en blanc. Si nous sommes médiocres, ils se croient et se croiront toujours permis de l’être encore plus.
 
En ces temps troubles, je perds beaucoup de temps à écrire sur la politique. Je n’y trouve pas grand plaisir (à part l’échauffement de l’écriture, comme si je faisais des gammes au piano) et cela ralentit mes projets dont je veux bien admettre qu’ils n’intéressent que moi et quelques lecteurs de hasard au gré de mes publications. Ce dernier constat ne me gène pas du moment que mes livres sortent et qu’on puisse se les procurer. Comme c’est le cas, je peux dire que je suis un plumitif heureux.
 
Malgré tout ce qui me distrait, au mauvais sens du terme, de mes activités littéraires habituelles, j’ai quand même réussi à livrer ma contribution au très attendu numéro de la revue Instinct nomade consacré à Jean Giono, à paraître bientôt. J’avais pourtant failli renoncer par manque de concentration mais le patron de la revue, mon ami et éditeur Bernard Deson, m’a mis suffisamment à l’aise sur le délais de bouclage. Contrairement à beaucoup, l’urgence de fournir la copie me fait perdre mes moyens, surtout quand l’enjeu financier est faible ou inexistant puisque je suis à la retraite. Quel bonheur ! Quand je pense aux électeurs de Macron, n’ont-ils donc pas d’enfants et de petits-enfants pour accepter l’idée qu’ils devront trimer jusqu’à soixante-cinq ans ou plus encore alors qu’eux-mêmes ont pris leur retraite beaucoup plus tôt et bon nombre d’entre eux à cinquante-cinq ans ?
 
Écrire sur Giono m’a permis de me remémorer l’époque où je le lisais avec fièvre. J’étais sous la menace du service militaire et je ne savais pas encore comment j’allais pouvoir m’y soustraire. J’eus cette chance peu de temps après avoir découvert ses Écrits pacifistes même s’il n’importait à mes yeux d’échapper à cette ineptie qu’était le service militaire qu’en raison de l’urgence vitale de ne pas être arraché à ma famille et à mon environnement et surtout à ne pas me retrouver prisonnier du piège mortel que constitue pour moi toute vie en collectivité. Pas d’idéal spécialement pacifiste, donc, dans cette optique de convenance personnelle même si je suis en accord parfait avec la pensée de Giono à ce sujet.
 
Après les Écrits pacifistes, j’ai continué de lire Giono en ses différentes périodes romanesques. Le style de ses romans m’intéressait beaucoup plus que ses histoires. J’ai beaucoup appris de son écriture. Bien plus tard, ayant enfin trouvé ma voie et ma voix propres, c’est-à-dire, tout simplement, ce que je crois être l’équilibre entre le fond et la forme, je suis tombé dans un vide-grenier près de chez moi sur un Folio défraîchi, Voyage en Italie. Debout au milieu du bric-à-brac, j’ai lu les deux premières phrases : Je ne suis pas un voyageur, c’est un fait. Pendant plus de cinquante ans, c’est à peine si j’ai bougé. Et plus loin : Est-il besoin de dire que je ne suis pas venu ici pour connaître l’Italie mais pour être heureux ? Voilà qui résume ma conception du voyage !
 
C’est le voyage en Italie de Giono qui m’a donné envie d’écrire les miens dans ce pays actuellement en pleine folie furieuse, encore pire qu’en France. Pour Giono, c’était l’Italie de l’année 1951 et pour moi l’Italie de 1979 à 2004. Je n’y retournerai que si le pays reprend ses esprits. Je suis si horrifié par les mesures soi-disant sanitaires qui y sévissent que j’ai mis ma passion de l’Italie entre parenthèses ainsi que la parution de mon carnet de voyage pourtant fin prêt à la publication. Temps troubles, temps troublés... 
 
 

28 octobre 2021

Extraits de mon carnet d'Italie

Monsieur Martial, épicier rectangulaire

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Quand j'étais petit, je croyais que monsieur Martial était un vieil italien, à cause de son épicerie de quartier, mais non, il était belge. Si j'étais peintre et que je devais aujourd'hui brosser le portrait de monsieur Martial ou du moins du souvenir que j'ai de lui, j'installerais sur la toile un grand rectangle vertical aux contours épais, vert bouteille foncé (la boiserie de façade de son échoppe). À l'intérieur de ce cadre, je disposerais un autre rectangle vertical lui aussi mais gris (la blouse de monsieur Martial). Ensuite, je finirais par la tête de monsieur Martial, un petit rectangle violacé légèrement oblique.

Tout était rectangulaire chez monsieur Martial, y compris les gros chewing-gums au Coca-Cola qu'il m'offrait lorsque je passais le seuil de son magasin. Un jour, j'ai croqué trop fort un de ces chewing-gums qui a gardé en son milieu une de mes dernières dents de lait. Bien sûr, ce n'était pas la faute de monsieur Martial.

Chez l’italien en Belgique

Je vous vois venir :

« il ne nous a pas plutôt vendu un livre sur l’Italie qu’il commence par nous parler de la Belgique. » Voilà pourquoi.

Je viens de sortir de l’épicerie peinte en vert foncé de l’immense monsieur Martial en essayant de mâcher un chewing-gum si gros qu’il me fait une tête de hamster. Sur la façade de briques noircies du vieil immeuble, au-dessus de la vitrine opaque, une plaque indique RUE DES CAPUCINS. Normalement, j’aurais dû sortir du magasin avec du bouillon de bœuf mais je me suis emmêlé et j’ai demandé du bœuf de bouillon. Alors, l’épouse de l’épicier (qui porte la même blouse grise que son mari) m’a expliqué que je trouverai cela chez le boucher. Tiens mon garçon, ajoute monsieur Martial, tu ne seras pas venu pour rien. Et il me donne un gros chewing-gum rectangulaire qui ressemble à un caramel mais qui n’en a pas le goût. Heureusement.

Je remonte la rue des Capucins. On entend tinter le Beffroi ou la collégiale Sainte-Waudru de Mons (Hainaut). Le journal qui traîne dans le caniveau après avoir fini en cornet de frites est daté de 1966 ou 1967. Par terre, c’est anthracite, bosselé et luisant : « Les pavés du Nord » dit-on toujours chez moi. Contre les murs, c’est lie de vin, rectangulaire, rugueux et souvent moussu : « Les briques du Nord » dit-on aussi chez moi. Le boucher tient en largeur ce que monsieur Martial tient en hauteur et il est saucissonné dans son tablier, comme ses rôtis entrelardés. Ses petits yeux bleus clair bordés de cils parfaitement blonds brillent comme des diamants piqués sur sa face lisse et rose. Il me dit qu’il n’a plus de bouillon de bœuf (cette fois, j’ai réussi) mais que je peux en trouver chez monsieur Martial, l’épicier. Du coup, je préfère rentrer chez mon parrain et ma tante où je suis en vacances. Ce n’est pas grave, me rassure ma tante, on ira chez l’Italien.

C’est là que tout a commencé, chez l’Italien, et que j’ai pigé la première astuce de l’Italie : l’Italie est partout où se tient un Italien, même s’il est tout seul au milieu des Lofoten ou de Tristan da Cunha. D’ailleurs, elle avait tout d’une île l’épicerie italienne, où les fleuves Chianti et Valpolicella pouvaient rouler jusqu’à plus soif dans les gosiers des buveurs de fond las de gober la mousse au firmament de la rose Stella, où les bouquets suspendus de fastueux jambons défiaient une mer d’endive et de patate, où le parmesan et le gouda n’étaient pas du même monde mais du même magasin, où les pâtes s’égayaient de vert, de jaune et de rouge tandis que les choux, navets, salades, chicons, tomates, aubergines et poivrons se la jouaient au moins aussi exotique que les fruits de saison distribués par le créatif maître des lieux dans des mises en scènes à la Arcimboldo.

Et qu’est-ce que ce sera, jeune homme ? De la betterave rouge ? Mais qu’est-ce que c’est que la betterave rouge ? Mais ça n’existe pas la betterave rouge ! Ah, ça oui, de la bologne, j’en ai ! Pas de betterave rouge mais de la bologne, alors là oui d’accord, pas de problème ! Vous entendez ça madame Deconinck ? Voilà un garçon qui traite mes bolognes de betteraves rouges ! Et allez donc, des betteraves rouges !

 

Mon Carnet d'Italie, © éd. Orage-Lagune-Express, décembre 2021.

 

 

 

26 octobre 2021

Carnet / Alghero (Sardaigne) : Vermentino au café Diva, 11h30.

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Le café Diva tient avec bonheur l'équilibre entre l'enseigne branchée et le bistrot de quartier, ce qui crée l'harmonie de sa clientèle d'habitués, de touristes et de jeunes estivants locaux. Ceux-là viennent plus nombreux le soir mais quelques-uns ont la belle santé pour n'avoir dormi que deux ou trois heures au petit matin après une nuit de flirts et de palabres avant de revenir pour l'apéritif.

Comme moi, pour se rafraîchir, ils boivent un verre de Vermentino frizzante car la chaleur obligera bientôt à la sieste mais ce vin n’assomme pas car il titre peu en alcool. Des familles de vacanciers anglais aux visages roses et aux polos teintés de bleu layette et de vert amande jettent un coup d'œil aux clients attablés en terrasse. J'espère qu'ils me confondent avec les autochtones. Mais non, puissent-ils plutôt me confondre avec mon ombre joyeuse qui se promène tranquille dans la lumière.

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Extrait d'un carnet de voyages en Italie. Le livre sera illustré de dessins et non de photos. (Parution avant Noël si tout va bien)