19 janvier 2021
La petite musique de Nuel
Mémoire cash, de Jean-Jacques Nuel. Éditions Gros Textes. 84 p. 10 €.
Jean-Jacques Nuel aurait-il un côté Modiano de la poésie ?
Cette idée n’est pas tout à fait absurde pour qui fréquente régulièrement son œuvre, notamment lorsqu’on ouvre son dernier recueil publié chez Gros Textes.
La nostalgie toujours présente n’est qu’un léger voile. Pas vraiment de C’était mieux avant qui pourrait alourdir le propos, juste un art de retenir un peu le temps à travers une narration brève, très visuelle, qui évoque souvent des photos jaunies ou en train de s’effacer, même si ces images n’ont pas été capturées par un objectif
(ce qui était merveilleux / en ce temps-là / c’est qu’on ne prenait pas / de photos / on vivait sans le moindre appareil / jamais l’idée ne me serait venue / d’immortaliser / les instants que nous vivions / et que je recrée depuis / à volonté / dans la chambre noire / de mon cerveau / en fermant les yeux / je te revois encore / comme en rêve / je n’ai de toi aucune photographie / aucun négatif / aucune image arrêtée / aucune chose / morte).
Des noms de rues et de quartiers parfois disparus ou méconnaissables où circulaient, têtus, des autocars avec leurs arrêts comme autant de balises dans le mouvement perpétuel et pourtant précaire de la vie quotidienne attestent d’une réalité certes ténue et provisoire mais vécue.
Des objets (distributeurs automatiques, illustrés d’enfance petits formats Akim Zembla, Blek le Roc et Mandrake le magicien vendus au bureau de tabac entre 50 et 80 centimes, cigarettes Gitanes, banquettes en skaï gris des compartiments de trains, carcasse d’une Peugeot 404, monnaies qui n’ont plus cours) racontent une époque pas si lointaine mais déjà emportée au large de l’océan sans retour.
Un visage en filigrane, une blessure qu’on a du mal à garder secrète et l’angoisse diffuse de l’impermanence imprègnent lieux et mémoire.
Omniprésentes dans l’univers nuélien où toute fixité est trompeuse (et où même les gares déménagent !), les gares, dis-je, sont des hauts lieux de la mélancolie avec leurs trains du soir voués, malgré l’exactitude de leurs horaires, à s’évaporer dans des atmosphères à la Paul Delvaux.
Comme dans les tableaux de ce peintre, règne une irrémédiable solitude jamais vaincue par les fulgurants progrès des outils de communication. Opérateurs du téléphone, cabines téléphoniques, téléphones fixes, téléphones portables, adresses de messageries, réseau internet, sans compter la boîte aux lettres (!), rien n’y fait. Le monde extérieur se fait avare de ses signes (c’est à se demander s’il n’est pas en permanence en dérangement), se demande le narrateur qui a fait le grand écart entre le petit appartement de la grande ville et la grande demeure de la petite campagne. Entre les deux, les kilomètres d’autoroute ont repoussé les horizons sans faire bouger la ligne.
Tout cela pourrait sembler bien sombre mais une magie opère dans le style de Jean-Jacques Nuel, d’abord parce que l’humour n’est jamais loin :
(les poètes auront beau dire / les éditeurs auront beau faire / les 2 stands les plus fréquentés / statistiquement / du marché de la poésie / restent la buvette / et les toilettes).
L’autre registre de cette magie est le discret lyrisme qui affleure sous cette écriture blanche en apparence mais jamais distante. Presque rien ne sépare le poète du passant ordinaire de la vie, celui que nous sommes tous et qui, par les mots de Jean-Jacques Nuel, devient, malgré le vertige du doute et de l’insignifiance, un passant considérable.
Christian Cottet-Emard
01:22 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-jacques nuel, mémoire cash, éditions gros textes, poésie, littérature, recueil, blog littéraire de christian cottet-emard, édition, publication
19 novembre 2020
Villanelle des promis (Extrait de : Aux grands jours, paru l'été dernier)
Le gamin raille les foudres des dieux mendiants
L'épicéa vacille où le pic les aborde
L'instant et le coquelicot courent le vent
Grande cymbale suspendue quitte ta horde !
L'œillet rit dans le pré à l'odeur de renard
Le drap claque aux coups d'air l'ombre tire la corde
Le gosse attache à l'heure un collier de pétards
Grande cymbale suspendue quitte ta horde !
Les genoux couronnés de racines de frêne
la fillette répond du ciel de sa marelle
Joue avec le tonnerre avant que je ne prenne
sa place dans ton heure au rang des étincelles !
© Club, 2020, et blog littéraire de Christian Cottet-Emard ISSN 2266-3959
Détails ici
En vente sur : https://www.amazon.fr/Aux-grands-jour...
00:40 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aux grands jours, christian cottet-emard, club, poésie, édition, livre, littérature, club littéraire des amateurs de cigares, recueil, poème, blog littéraire de christian cottet-emard, le pétrin de la foudre, le congé du buveur, le passant du grand large, l'alerte joyeuse, la jeune fille, le monde lisible, poèmes rescapés, la jeune fille aux sandales de sable, l'île des libellules transparentes, entretien, été, jean-jacques nuel, gabriel guy, amazon, villanelle des promis
03 novembre 2020
Jean-Jacques Nuel a lu Aux grands jours, paru cet été.
Quand on publie de la poésie depuis plus de trente ans, la tentation est grande de faire un retour sur ses débuts et de chercher à comprendre le chemin de son évolution personnelle jusqu'aux plus récentes œuvres. Des questions se posent inévitablement : ces textes anciens sont-ils encore valables, encore lisibles ? Pour ceux qui résistent à un examen critique, ne méritent-ils pas d'être corrigés, voire réécrits ? Est-il bon de les rééditer ?
Toutes ces interrogations, Christian Cottet-Emard les a faites siennes, et s'est finalement décidé à republier ses recueils passés. Comme s'il voulait mettre de l'ordre dans ses papiers. Pour solde de tout compte. En choisissant une voie médiane : ne pas republier en l'état d'origine, ne pas tout réécrire, mais corriger. En veillant à ce que les modifications apportées ne nuisent pas à l'élan vital originel.
Pari réussi. Cinq recueils parus entre 1992 et 2004 sont ici regroupés, par ordre chronologique. : Le passant du grand large, L'alerte joyeuse, La jeune fille, Le monde lisible, Le pétrin de la foudre. Suivent quelques textes ajoutés en fin de volume.
Malgré l'ancienneté de leur conception, tous ces textes témoignent déjà d'une grande maîtrise dans l'écriture, et surtout, ils permettent de mesurer l'évolution, tant dans l'inspiration que dans la forme du vers employé, depuis les premiers textes où se devine parfois l'influence de René Char jusqu'aux derniers plus personnels, plus originaux et aboutis, plus amples, comme dans cet extrait du Monde lisible :
« La flaque d'eau toujours à la même place sur la route forestière où attend la vieille voiture n'est ni le miroir ni le contraire du monde, juste une facette de ce diamant qu'on appelle la Terre. » .
Deux textes rajoutés sont d'une grande originalité : La jeune fille aux sandales de sable et L'île des libellules transparentes sont des œuvres de quatre pages dont l'écriture se situe entre prose et vers, racontant une histoire en versets, toute de mystère et de délicatesse. On a l'impression de découvrir un nouveau genre littéraire.
Jean-Jacques Nuel
Détails ici
En vente sur : https://www.amazon.fr/Aux-grands-jour...
01:30 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aux grands jours, littérature, édition, publication, © club, blog littéraire de christian cottet-emard, club littéraire des amateurs de cigares, christian cottet-emard, empressé ou patient, fragile et lumineux, comme un coquelicot, chaque poème, avec audace, se dédie aux grands jours, droits réservés, sous presse, le pétrin de la foudre, le congé du buveur, le passant du grand large, l'alerte joyeuse, la jeune fille, le monde lisible, poèmes rescapés, la jeune fille aux sandales de sable, l'île des libellules transparentes, entretien, été, jean-jacques nuel, gabriel guy, amazon