13 mars 2008
Les mésaventures de Cardio Vasculaire
(Extrait de deux épisodes que j’avais supprimés de mon feuilleton « Tu écris toujours ? » mais cependant publiés dans la revue Mercure n°1, novembre 2007, sous le titre « Souvenirs d’un localier »)
C’est donc au fond d’un bureau d’agence locale, sous le néon jaunâtre qui sied à ce genre de cave par ailleurs excellente pour la conservation des cigares, voire propice à la culture de l’endive, de l’asperge ou du champignon de Paris, que je fis la connaissance, bien malgré moi, d’un personnage des plus antipathiques. Cardio Vasculaire (ainsi le baptisai-je dès qu’il se crut autorisé à me parler de ses ennuis de santé) était un de ces fâcheux qui débarquaient régulièrement à l’agence pour discuter le coup avec les pigistes ou le journaliste de corvée. Certains de ces bavards, presque tous retraités, étaient du matin, d’autres du soir. Cardio Vasculaire était du soir et même du dimanche soir. Ce commerçant retiré des affaires pointait son crâne d’œuf de Pâques dont on aurait dénoué le kiki à l’heure à laquelle les plumitifs des sports commençaient à jouer du téléphone pour obtenir les scores et commentaires de toutes les gesticulations dominicales, notamment celles qui dégénéraient autour d’un ballon. Le ballon, Cardio Vasculaire faisait (grise) mine de s’y intéresser et posait ainsi chaque dimanche à la même heure la même question anxieuse au localier en poste : « combien ils ont fait ? » Depuis des années, il obtenait ainsi le score de l’équipe locale de ballon en poussant la porte de l’agence, trouvant toujours un rédacteur pour sacrifier à ce petit rituel susceptible de lui procurer l’ersatz d’émotion auquel son cœur pouvait encore prétendre. Ceci dit, la maladie ne rend pas les gens meilleurs et celui-ci moins qu’un autre.
Cardio Vasculaire, pour le moins, ne m’appréciait pas. La première fois que je l’entendis me dire « Combien ils ont fait ? », je lui fis répéter la question en demandant des précisions (qui « ils », qui avaient fait quoi, etc., etc...). J’en avais aussi profité pour lui signifier mon aversion pour le sport et en particulier pour le ballon en le priant de me préciser que le rond, c’était bien le football et l’ovale le rugby, en rajoutant, au comble de la jouissance : « j’oublie toujours ! » J’ose le dire, cet homme ne me portait pas dans son cœur et j’en avais autant à son service. De toute façon, en dix ans d’exercice journalistique, je ne me suis jamais encombré l’esprit avec un seul chiffre ou nombre pouvant correspondre à un résultat de compétition sportive. Alors, « Combien ils avaient fait » , avec moi, il ne risquait pas de le savoir. En outre, ce que Cardio Vasculaire ignorait, c’est que son innocente question appelant une réponse chiffrée ne pouvait que mal me disposer à son égard. Il suffit en effet que quelqu’un me demande d’évaluer une distance, un volume, une quantité, en un mot une mesure, au moyen d’un chiffre ou d’un nombre, pour que je me sente envahi par une bouffée d’angoisse dont mon interlocuteur a vite fait d’interpréter les signes visibles comme des marques d’agressivité. Lorsque cela s’avère nécessaire, je prends la peine d’expliquer la situation aux personnes de mon entourage familial et amical. Ils me comprennent ou ils compatissent, réactions que je ne pouvais espérer de la part d’un individu tel que Cardio Vasculaire qui, pour être doté d’un gros crâne en forme de son ballon préféré, n’avait pas forcément le cerveau en rapport. Et je peux prouver ce que j’avance.
Malgré son état, Cardio Vasculaire vivait plutôt dangereusement. Il avait en effet la pitoyable habitude de jouer au loto toutes les semaines, toujours la même combinaison de chiffres et de nombres. Comme tous les riches, il voulait encore plus d’argent et il cochait donc consciencieusement, depuis des décennies, ses grilles hebdomadaires. Or, un beau jour, ainsi que cela se produit parfois, il décrocha six numéros. L’ennui, ainsi que cela se produit parfois aussi, c’est que cette semaine-là, pour une obscure raison, il n’avait pas validé son bulletin. Confronté d’un coup à trois émotions violentes (j’ai gagné, j’ai pas joué, j’ai perdu) Cardio Vasculaire fit un malaise.
Je ne sais pas s’il s’en est sorti. En tous cas, je ne l’ai jamais revu. Pourtant, lors de mon dernier jour de travail à l’agence, un dimanche justement, j’ai trouvé moyen de lui consacrer une petite pensée. Alors que j’avais vidé mon bureau et mon armoire dans deux grands sacs poubelle de cent litres, je me suis rappelé la question fusant de ce crâne blafard : « Combien ils ont fait ? » Je me suis imaginé en train de répondre : « des millions, des dizaines de millions, des centaines de millions ! »
15:48 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : presse, média, journal, quotidien, revue, mercure, oyonnax
03 mars 2008
Apolitique !
Le clair de lune égara l’ombre d’Effron Nuvem contre une palissade recouverte d’affiches et l’une d’entre elles retint son regard parce qu’il y reconnut la tête du marchand de chaussures. Il se souvint alors que les élections approchaient. Pour la première fois, le club des pantouflards présentait une liste conduite par le petit gros. Maintenant, Effron Nuvem comprenait mieux ses approches mais tout de même, aller jusqu’à lui proposer de l’accueillir au sein du club... Que pouvait valoir l’adhésion d’un chômeur, une de ces « âmes mortes » à peine bonnes à émigrer d’un fichier à un autre au gré des fluctuations d’une comptabilité d’actifs et de passifs que se jetaient sans cesse à la figure lors de joutes télévisées les dignes héritiers de l’escroc Tchitchikov?
Le jour du scrutin, Effron Nuvem, muni de sa carte d’électeur et de sa carte d’identité, alla aux urnes avec l’intention de voter contre et peu importait contre qui. Mais sur le trajet, son soulier droit s’enfonça mollement dans une énorme crotte de chien de couleur orange. Saisi d’une bouffée de colère, il mit un bon quart d’heure à nettoyer sa chaussure dans les toilettes publiques moyennant une pièce de vingt centimes, ce qui ne fit que décupler encore sa rage au point qu’il arriva tremblant et le visage congestionné au bureau de vote. Monsieur Nuvem ! Quelque chose ne va pas ? Vous ne vous sentez pas bien ? s’enquit le marchand de chaussures qui se tenait à proximité de la table où étaient disposés les bulletins et les enveloppes et qui saluait tout le monde. Tout à son exaspération, Effron Nuvem abandonna en une seconde ses intentions de vote et choisit ostensiblement un bulletin où figurait la liste du club des pantouflards sous l’oeil approbateur du petit gros qui lui décocha un clin d’oeil de connivence.
Toujours contrarié, il décida d’aller respirer l’air de la Saône. Sur le pont Masaryk, il croisa une femme accompagnée d’un garçonnet qui le mit en joue avec un pistolet en plastique.
(Extrait de mon dernier roman, Le Club des pantouflards, éditions Nykta, collection Petite nuit).
Note de l'auteur : comme de bien entendu, la liste présentée aux élections par le Club des pantouflards est totalement « APOLITIQUE » !
14:11 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Élections municipales oyonnax et ailleurs, oyonnax, municipales, élections, blog littéraire de christian cottet-emard
24 décembre 2007
Jacki Maréchal évoque sa démarche artistique
J’ai travaillé pendant une douzaine d’années avant de peindre un premier tableau destiné à être exposé. De cet apprentissage exigeant auprès des grands peintres qui m’entouraient, j’ai acquis du métier, ce qui m’a valu d’ailleurs d’être immédiatement admis par certaines galeries. Je ne déments pas l’utilité de « l'habileté » dans le sens du développement d’une espèce de seconde nature qui fait que l’on peint comme l’on marche mais je rejette avec conviction la virtuosité, la recherche d'excellence dans la facture. Je préfère une recherche d'outils que la part d'ouverture au hasard m'offre au cours du travail. Il n'y a que ce que je fais involontairement qui ne prenne pas cette lourdeur, cette « subtile » lourdeur, que beaucoup admirent en disant : « il sait peindre ».
Il ne s'agit pas de maîtriser, mais de donner du possible. Et pour laisser la place à ce possible, je ne cherche pas vraiment à me déterminer, je me laisse ballotter par mes découvertes.
Il n'y a donc, à mes yeux, rien qui puisse être juste. Mais pour autant - bien que je me sente marginal - je ne suis pas anticonformiste, la culture des ruptures lorsqu'elle est volontaire n'est, à de rare exceptions près, qu'innovation et provocation gratuite. Mais lorsqu'on ressent réellement et « par hasard » quelque chose de beau qui ne s'insère pas nécessairement dans le « juste » alors je pense qu'il faut agir sans hésiter (mais sans malice, il y a un risque à prendre, il ne faut pas avoir peur d'être ridicule, il ne s'agit pas de vouloir retomber sur ses pattes).
J’admets que la création dans ce qu'elle a de culturel est bien sûr en partie la faculté de tisser d'une manière différente des formes déjà digérées mais pour autant ce tissage ne peut pas être le fruit d'une pensée claire d'avance. Il y a plutôt une espèce d'agir, un peu vague, qui à un moment génère quelque chose. On dit souvent d'un artiste qu'il doit être lui-même. Il est vrai que pour obtenir quelque chose de pertinent, pour que la magie apparaisse, il est absolument nécessaire d'être dans « sa » vérité. Mais pour ma part, je mets en cause cette notion de « vérité » ou de « moi-même » car ces sentiments sont toujours en mouvement. Ce qui va apparaître lorsque je me mets à travailler n'est nulle part, et je n'ai pas l'impression que l'origine soit en moi-même mais plutôt dans la matière qui, sur la toile, dirige mon esprit vers quelque chose, qui m'appartient (en racine) mais qui est informulé (en concept). Les seules pensées claires que l'on puisse avoir sont celles qui ont déjà été formulées, par d'autres ou par nous même, et le déjà formulé, repris, ne peut atteindre la magie.
Pas d'intention donc.
J'établis des suites de moments singuliers pensés par la même personne mais qui font table rase des moments précédents afin de laisser une chance à la richesse profuse de l'à venir. Je tente d'agir avec le moins de volonté possible si ce n'est que le pinceau se dirige vers des signes - en agissant de lui-même dans cette part-hasard non reproductible. J'essaye ainsi d'obtenir des images loin de l'effigie-répertoire de la réalité. Cet humus des tâtonnements souvent allié à leur abandon, comme fruit mûr qui tombe, me montre, me fait signe vers le sens plastique de ce que le hasard offre.
Pas d'itinéraire, pas de projet : un pinceau avec au bout de la peinture, la difficulté étant de ne pas « récupérer » mais d’entrer dans mon paradoxe qui veut déjouer toute transcendance sans pour autant ôter l'attitude contemplative.
Rappel :
Jacki Maréchal expose ses oeuvres récentes à l'Atelier Ex-libris à Oyonnax jusqu'au 29 décembre 2007. (cf texte de présentation posté sur ce blog le 1er novembre 2007 : « Jacki Maréchal en son paysage » .
Ouverture du mardi au dimanche :
Mardi de 15h à 19h.
Mercredi au samedi de 11h à 13h et de 15h à 19h.
Dimanche de 15h à 18h.
jacki-marechal.com
Jacki maréchal
Atelier Ex-libris
3. rue Brunet
01100 Oyonnax
France
33(0)474736497
06 16 26 07 58
Maison des artistes : M753485
Photo : avec Jacki (à droite), lors du vernissage.
00:29 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Jacki Maréchal, peinture, Oyonnax, art, exposition