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11 juin 2024

Un extrait de mon roman humoristique LES FANTÔMES DE MA TANTE

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Une crise de flemme

La flemme me saisit comme le brouillard emmaillote parfois la maison de ses immenses mains pour la poser au milieu de nulle part et la laisser flotter si haut dans les airs que les globes opalescents de l'éclairage public finissent par s'éloigner comme de petites planètes mortes.

J'ai connu de tels accès dès l'école maternelle, ce qui me vaut encore aujourd'hui une réputation de paresseux. Je pense pourtant que personne ne peut accéder au rang de pur paresseux. Un authentique paresseux serait une curiosité, une chimère, une merveille de la nature, une créature parfaite, mais jamais on ne verra un tel prodige puisqu'il refuserait tout simplement de sortir du ventre de sa mère. On peut certes s'approcher d'une telle perfection mais cela demande du travail et le travail est la malédiction de l'humanité.

Je m'étais enfin décidé à suivre le conseil de Pelham, à me précipiter chez la fée Clochette pour lui présenter mes excuses, mais elle n'était pas là. À l'évidence, je ne m'étais pas assez vite précipité. Si vous tenez absolument à vous précipiter, ne mettez pas trois jours à vous décider, c'est trop ; un jour suffit voire quelques heures si vous êtes un rapide. Un vieux voisin m'indiqua que la fée Clochette était partie en tournée pour une semaine, peut-être plus, pour défiler entre deux fanfares avec sa troupe d'échassiers dans les rues mal éclairées de quelques bourgades endormies. Je me disais qu'il était sans doute temps de lui faire la surprise de ma nouvelle opulence pour la délivrer de ce travail mais peut-être valait-il mieux attendre encore un peu. D'ailleurs, il est plus souvent urgent d'attendre qu'on ne le croit. Je rentrai donc chez moi pour me livrer à cette absence d'occupation.

Pelham et Miss Punket avaient déserté les lieux, ce qui me causa tout de suite un préjudice certain en ce qui concerne le service et la cuisine. J'en étais de nouveau réduit, comme dans mon ancienne vie besogneuse et solitaire, à me confectionner des sandwichs au thon en boîte avec de la mayonnaise en tube. Lassé d'avoir à les préparer moi-même, je finis par acheter des sandwichs tout prêts emballés dans des barquettes en plastique. Leur goût bizarre et leur consistance donnaient l'impression de mordre dans des éponges contenant des résidus de vaisselle.

Quant au service, juste un exemple : lorsque Pelham me servait le thé de l'après-midi et le café du petit déjeuner, je n'avais pas besoin de tourner la cuiller dans la tasse et dans le bol pour dissoudre le sucre puisque le consciencieux valet de chambre s'était préalablement acquitté de cette mission. J'avais donc renoncé sans peine au thé, même allongé de whisky, mais pas au café du matin dont la première gorgée me faisait grimacer parce que j'oubliais toujours que Pelham n'avait pas tourné la cuiller et que de ce fait, c'était comme si le café n'était pas sucré.

Heureusement, effectuer un point rapide me permit de trouver une astuce pour remédier à ce désagrément et à la fatigue supplémentaire que je ressentais à tourner la petite cuiller. Il me suffisait d'utiliser une cuiller à soupe pour mélanger le sucre à mon café matinal, ce qui me faisait gagner un certain nombre de tours de bol.

En matière d'énergie, il n'y a pas de petites économies, surtout au saut du lit (encore que le mot saut soit excessif pour qualifier ma manière de me lever. Je ne peux pas dire que je me réjouissais de cette situation. Seul le chartreux semblait goûter cette apathie qui m'aspirait comme en sont capables certains fauteuils profonds et mous, même s'ils sont bancals. Le matin, c'était lui qui me réveillait avec son haleine chargée et ses vibrisses qui me chatouillaient le nez et le menton.

 

Extrait de mon roman Les fantômes de ma tante, paru en février dernier.

En vente par correspondance ici ou en m'envoyant un mail : contact.ccottetemard@yahoo.fr

Pour les personnes d'Oyonnax et sa région, ce livre est en vente à la librairie Buffet d'Oyonnax et au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax. Il est aussi disponible au prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax, centre culturel Aragon.

31 mai 2024

Un extrait de mon roman humoristique LES FANTÔMES DE MA TANTE

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Antoine et une comédienne jouant le rôle de la fée Clochette se sont rencontrés lors d'une fête de rue. Leur premier rendez-vous « officiel » a lieu chez Antoine qui se trouve dans un état fébrile. Heureusement, Pelham, le valet de chambre, est là pour veiller au bon déroulement de ce premier rendez-vous décisif.

 

En réalité, la vraie fée Clochette ne ressemble pas du tout à la fée Clochette qui a picoré dans ma barquette de frites la nuit de la parade.

Face à face dans le boudoir de tante Marcia, nous nous regardons en silence en attendant que Pelham apporte le thé sur le guéridon.

Elle a été redoutablement ponctuelle et même un peu en avance. Elle sursaute parce qu'elle n'a pas vu arriver Pelham avec son plateau. J'avais pourtant bien recommandé à ce satané valet de chambre, pour cette fois, de ne pas traverser le mur qui se trouve heureusement derrière ma belle visiteuse.

On dirait que le temps s'est arrêté. Elle n'est pas blonde mais brune, elle ne porte pas une robe verte très courte, elle n'est pas chaussée de pantoufles vertes à pompons blancs et bien sûr, ses ailes sont rangées quelque part très loin d'ici dans je ne sais quel magasin d'accessoires.

Je me demande si je suis déçu et je me prépare à faire le point intérieurement pendant que Pelham pose le plateau et remplit les tasses. On n'entend rien d'autre que le tic-tac de la pendule, ce qui suffit à m'empêcher de faire le point correctement. Pour me donner une contenance, je bois une gorgée du breuvage tiède dans lequel nous avons convenu la veille avec Pelham, lors des répétitions de cette entrevue, de ne pas ajouter mon trait de Cognac habituel sous prétexte que selon lui, cela eût risqué de me faire perdre mes moyens dans l'état de surexcitation certes invisible mais bien réel dans lequel je me trouvais encore en ce moment. L'ennui, c'est que le thé nature me déclenche aussitôt un véritable concerto pour gargouillis et borborygmes dont l'orchestre résonne si puissamment que même le chartreux s'en inquiète au point de venir se frotter contre mes jambes en ronronnant comme le moteur au ralenti de ma vieille Citroën Ami 6. Je me dis que la fée Clochette va me trouver ridicule et se mettre à rire effrontément, d'autant que confronté à des émotions intenses, la couleur naturelle de mes oreilles vire au violet, mais non, aucune réaction.

Nos regards sont aimantés. J'ai l'impression qu'elle ne m'a même pas entendu gargouiller. Rassuré, le chartreux se coule dans un fauteuil où il se contente de cligner des yeux. La fée Clochette porte un biscuit à sa bouche mais le silence est tel qu'on l'entend craquer sous ses dents, comme si un hamster caché dans un recoin de la pièce grignotait ses graines de tournesol.

Avec Pelham, nous avions pourtant répété la veille cette rencontre dans les moindres détails mais nous n'avions pas prévu les gargouillis et les bruits de grignotage. Tout va bien se passer, Monsieur, n'ayez crainte, nous avons la situation en main. Si vous le dites, Pelham... En attendant, je n'ai toujours pas retrouvé mes rasoirs. Que monsieur ne panique pas, je vais de ce pas en acheter à la supérette, bien que cela ne soit pas dans mes attributions. Vous êtes bien aimable, Pelham. Au fait, où dois-je recevoir ? Dans la salle à manger ? Pelham réfléchit une seconde, ce qui est hors de ma portée. Personnellement, il me faut beaucoup plus de temps. Non monsieur, la table est beaucoup trop allongée, vous et Mademoiselle seriez contraints d'élever la voix, ce qui nuirait à la communication. Très juste, Pelham, le petit salon alors ? Pelham leva un sourcil. Le boudoir me semblerait plus indiqué, Monsieur, moins protocolaire, hum, disons, hum, hum, plus intime. C'est cela, Pelham ! De l'intimité ! Excellent, Pelham, l'intimité ! Mais que ferais-je sans vous, Pelham ! Vous avez une solution à tous les problèmes ! Pelham sourit discrètement. Une fois qu'on le connaît bien, il est possible de déceler chez lui un sourire, un peu comme moi lorsque je saute intérieurement de joie mais que personne ne s'en aperçoit.

Eh bien voilà, Monsieur, je crois que nous sommes fin prêts pour demain. Espérons, Pelham, espérons. Et surtout, pensez bien à me réveiller tôt demain matin, vers dix heures.

En me remémorant toute cette préparation, je sentais que le moment approchait pour moi de prendre une initiative. La fée Clochette n'allait pas attendre indéfiniment, d'autant qu'il ne restait presque plus de biscuits.

Finalement, je n'étais pas déçu, même si la fée Clochette était habillée dans le plus pur style Décatcourt (polaire à capuche et pantalon de toile sans ourlet tombant sur des baskets, elle avait ce regard de biche si près de m'hypnotiser qu'elle jugea bon de prendre elle-même l'initiative. Elle porta le dernier biscuit à sa bouche, approcha son visage du mien et nous le croquâmes tous les deux jusqu'au contact de nos lèvres, ce qui fut grandement facilité par le fait qu'il s'agissait d'une cigarette russe. Pour une fois que la technique est de mon côté...

Extrait de mon roman Les fantômes de ma tante, paru en février dernier.

En vente par correspondance ici ou en m'envoyant un mail : contact.ccottetemard@yahoo.fr

Pour les personnes d'Oyonnax et sa région, ce livre est en vente à la librairie Buffet d'Oyonnax et au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax. Il est aussi disponible au prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax, centre culturel Aragon.

07 avril 2024

Une soirée poésie

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J'avais envie d'allumer un bon feu dans la cheminée (à quoi bon le faire en un autre endroit ?) à cause de cette maudite heure d'hiver qui fait tomber la nuit à dix-sept heures mais le temps que je conçoive d'amères pensées sur la mélancolie de ce début décembre doux et humide ainsi que de vagues rêveries sur les Noëls d'antan, Pelham avait déjà disposé le bois d'allumage et les bûches.

 

Contrairement à moi, Pelham est un homme d'action. Pendant que les flammes naissaient, il servit le Porto. N'est-il pas un peu tôt, Pelham  ? Je crois que Monsieur en a besoin. Vous avez raison, Pelham, mais servez-vous aussi, j'insiste, et asseyez-vous. Bien volontiers Monsieur. Entre deux gorgées, le valet de chambre me jetait des regards furtifs. Affalé dans mon fauteuil avec un plaid sur le ventre, je n'étais pas dans mes meilleurs jours. Pelham, quant à lui, était égal à lui-même alors que moi, j'étais inférieur à moi-même. Monsieur me semble un peu déprimé. Ne vous inquiétez pas Pelham, cet excellent Porto va y remédier. Pelham hocha la tête.

 

Si Monsieur le permettait, je pourrais lui faire part d'un constat. J'acquiesçai en sifflant mon Porto. Eh bien je crois que Monsieur mène une vie bien austère pour son jeune âge. Peut-être que Monsieur devrait songer à sortir, voir des amis... Je suis bien de votre avis, Pelham, mais ces petits plaisirs ont un coût et ce ne sont pas ces quelques heures de menus travaux à la banque qui vont me permettre de faire la fête. Pelham leva un sourcil, signe qu'une idée lui traversait la tête.

 

Je crois me rappeler que Monsieur aime la poésie et qu'il lui arrive d'en écrire. Eh bien, je pense utile de signaler à Monsieur qu'une soirée de lecture est organisée la semaine prochaine dans une propriété voisine de la nôtre, je veux dire de celle de votre tante. Cela vous changerait peut-être les idées, si je puis me permettre, Monsieur. Voyons, Pelham, regardez-moi. À part cette vieille veste polaire que les magasins de sport désignent comme adaptée aux randonnées mais qui sert en réalité de tenue d'intérieur aux jeunes retraités impécunieux et aux chômeurs au long cours, je n'ai rien à me mettre. Pelham leva son autre sourcil. Si ce n'est que cela, je crois que j'ai quelque chose pour vous, Monsieur.

 

En moins de temps qu'il ne faut pour le dire ou pour ne rien dire du tout si l'on est adepte du moindre effort comme moi, Pelham disparut et réapparut, ses mains noueuses et parcheminées agrippées à des crochets de cintres supportant des vêtements enfermés dans des housses. Aussitôt ouvertes, elles libérèrent des effluves de naphtaline qui firent immédiatement détaler le chartreux. Voyons, qu'avons-nous donc  ? inspecta Pelham. Un costume, un gilet, une chemise, une cravate avec son épingle, une pochette et ce superbe chapeau, le tout dans un parfait état de conservation. Oh, regardez dans cette boîte, Monsieur, les chaussures qui vont avec, impeccables  ! Du quarante-deux, à vue de nez, la pointure de Monsieur. Voyons maintenant la taille du costume, si Monsieur veut bien se donner la peine de procéder à l'essayage. Pelham orienta dans ma direction un grand miroir fendu qui avait dû être fixé au mur dans l'ancien temps mais qui s'était depuis sa chute confortablement calé contre les tentures dont même les mites ne voulaient plus.

 

Pelham ajusta les épaules d'un geste énergique, épousseta je ne sais quoi et me tourna autour comme s'il admirait une statue dans un musée. Incroyable, Monsieur, j'ignore qui portait cette tenue dans cette maison mais ce costume semble avoir été taillé pour vous. Un petit tour au pressing pour le rafraîchir et vous voilà prêt pour retourner dans le monde.

 

Vous plaisantez, Pelham, ce déguisement tombera en poussière au premier nettoyage  ! Aucun risque, Monsieur, voyez la qualité de cette étoffe, un tissage qui défie le temps. Mais voyons, Pelham, plus personne ne porte cela, c'est démodé. Une épingle à cravate en plus... Des boutons de manchettes... Et ce chapeau... Pelham balaya l'argument. Monsieur sait bien que la mode n'est qu'un éternel recommencement. Quant aux épingles à cravate, elles étaient déjà de retour dans les années quatre-vingt, et je ne parle pas des chapeaux qui n'ont jamais vraiment quitté la scène.

 

Concernant les chapeaux, Pelham avait raison. Parmi les nombreuses perversions affectant les hommes au début de leurs vieux jours, attacher leurs cheveux grisouilles en catogan et recouvrir le tout d'un Stetson relevait d'une pratique certes assez navrante mais fréquente. Si Monsieur souhaite se passer de l'épingle et des boutons de manchette pour apporter une touche plus décontractée, ce sera comme Monsieur voudra.

 

Quelques jours passèrent sans qu'il fût utile d'en conserver le moindre souvenir ainsi qu'il en est souvent dans la vie. Me voilà donc affublé de la sorte sur le boulevard où stagnent d'épaisses nappes de brouillard s'entrouvrant parfois sur un étrange clair de lune d'altitude. La grosse maison de maître où la poésie trouve refuge ce soir laisse peu à peu entrevoir sa masse sombre derrière un énorme saule pleureur qui frissonne dans l'air humide. Pelham a dû se tromper de date car aucune fenêtre n'est éclairée. En passant le portail rouillé qui grince après avoir résisté à cause de subtils entrelacs de ronces, je découvre plusieurs voitures qui furent des modèles de luxe en de lointaines époques mais dont les carrosseries sont désormais livrées aux outrages du temps. Je gravis le perron et jette un œil inquiet à la verrière fendue de long en large. Au seuil de la porte entrouverte, je me décide à faire demi-tour lorsqu'une rumeur mêlant des chuchotements et des bruits de pas me parvient aux oreilles. J'avance timidement dans un grand hall au fond duquel une petite porte ouvre sur un salon où l'on discute à voix basse.

 

Une silhouette me frôle. Ça vient de commencer, dit-elle en me désignant des sièges, prenez place. La pièce baigne dans une clarté laiteuse qui provient de l'éclairage public de la rue derrière la fenêtre. Une vingtaine d'ombres dispersées sur des chaises, des fauteuils et deux canapés recouverts de housses écoutent distraitement un gros poète barbu en chandail qui murmure son texte de manière presque inaudible. Parfois, il s'interrompt et se colle du ruban adhésif sur la bouche. Il le retire puis reprend la lecture de feuillets qu'il froisse et jette au sol au fur et à mesure de sa prestation. Cela me rappelle une soirée poétique à laquelle j'avais été invité lorsque j'étais journaliste. Le poète s'était présenté avec son ruban adhésif sur la bouche, s'était tu pendant un quart d'heure et n'avait retiré le ruban qu'au moment du buffet, une fois sa « performance » terminée.

 

À propos de buffet, voilà que je distingue quelque chose qui y ressemble dans la pénombre au fond du salon. Je m'en approche, l'air de ne pas avoir l'intention d'y toucher, ainsi que la plus feinte civilité nous enjoint de le faire, et je découvre que l'imposante table allongée est jonchée de verres, de couverts, de plats et d'assiettes grisâtres émergeant à peine de couches de débris et de poussière comme si tout avait été laissé en l'état depuis des décennies. Je suis à l'évidence tombé sur une soirée à concept, une sorte de happening, comme on disait dans les années soixante-dix. Non loin de cette installation, je m'aperçois qu'un type ressemblant au comique Popeck vautré dans un fauteuil bancal, vêtu d'une veste en velours et d'un pantalon à pattes d'éléphant, m'observe avec curiosité.

 

On s'emmerde, hein  ? me dit-il. Je n'ai rien d'autre à lui répondre qu'une moue dubitative. Le type se redresse péniblement. On ne vous voit pas ici d'habitude. Vous êtes de passage  ? Remarquez, nous l'avons tous été à un moment ou à un autre, mais tout de même, qu'est-ce qu'on s'emmerde  ! Et l'autre, là, qui parle dans sa barbe  ! Et celle-ci, ajoute-t-il en désignant une femme d'une cinquantaine d'années à l'allure d'adolescente attardée qui passe près de nous, elle va lire après le gros et elle va nous saouler avec ses vociférations contre les mâles blancs de plus de cinquante ans (tous des violeurs, bien sûr !) et ses sermons politiques sur le vilain Occident colonialiste  !

 

En entendant le grincheux parler d'elle, elle s'approche et grince  : si tu ne t'occupes pas de politique, la politique s'occupe de toi  ! Sur ces mots, elle lève le bras et lui fait un doigt d'honneur. Elle est  bizarrement vêtue d'une sorte de débardeur en laine d'où sortent deux bras maigres, ce qui me permet de constater qu'elle a tellement de poils aux aisselles qu'ils forment ce genre de boucles épaisses qu'on appelle des anglaises et qu'un couple de moineaux pourrait s'y aménager un petit nid douillet.

 

Ah, elle est gratinée la poésie  ! Après elle, ce sera du rap, gémit le grincheux. On se disait qu'on ne vivrait pas assez vieux pour entendre ces mecs à l'air perpétuellement fâchés aboyer en pointant l'index comme s'ils voulaient traiter tout le monde à la kalachnikov  ! Saisissant la balle au bond,  si j'ose dire, je lui réponds  : effectivement, tout cela est un peu téléphoné, mais pourquoi ne partez-vous pas ainsi que je me prépare moi-même à le faire  ? Oh moi, je suis là comme je pourrais tout aussi bien être ailleurs, ça n'a pas d'importance, soupire-t-il. Et vous, jeune homme, qu'est-ce qui vous amène ici  ? Pas la qualité du buffet, j'imagine  ! Puisqu'il aborde le sujet, je lui demande où je peux trouver un verre et grignoter quelque chose avant de partir. Le type éclate de rire. Mais mon cher, ici on ne boit pas et on ne mange pas. Ici, c'est le règne de l'Esprit  ! Et il éclate à nouveau de rire.

 

Peu désireux de communiquer, j'informe le grincheux que je vais prendre congé et je le salue. Ah, bravo, toutes mes félicitations, jeune homme  ! Enfin quelqu'un de sensé  ! Voilà qui me change de toutes ces momies  ! Je me doutais bien que vous n'en étiez pas. C'est une très bonne décision, quittez vite cette assemblée où, sauf votre respect, vous n'avez pas votre place, du moins pas encore, mais avant, je veux vous donner un conseil  : suivez la fée Clochette sous la crème éclipse, oui, la fée Clochette, là-bas, dehors où l'on voit la lumière  ! Le bonhomme ne manque pas de repérer l'expression de ma perplexité, même dans cette pénombre. Au fait, lui dis-je, pourquoi personne ne songe à éclairer ici  ? Le type ricane  : ah çà, mon cher, c'est l'idée de toute cette bande d'ahuris, par solidarité avec toute la misère du monde et pour sauver la planète  ! Pendant que le type éclate à nouveau de rire, le souvenir d'un curé qui refusait de faire sonner les cloches de son église parce qu'il estimait inconvenant de gaspiller de l'énergie en futilité alors que les pauvres manquaient de tout me revient en mémoire.

 

Veuillez m'excuser mais cette fois, je dois vraiment prendre congé. Je renouvelle mon salut et m'éloigne. J'entends le type qui répète son conseil  : n'oubliez pas, jeune homme, la fée Clochette sous la crème éclipse  ! Faites-moi confiance, je vous le dis car vous m'êtes sympathique, vous me faites penser à moi quand j'étais jeune, suivez la fée Clochette  !

 

Extrait de : Les fantômes de ma tante, roman humoristique. (L'avis de Jean-Jacques Nuel et de Jacki Maréchal)

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Pour les personnes d'Oyonnax et sa région, ce livre est disponible à la librairie Buffet d'Oyonnax et au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax.

  • ASIN ‏ : ‎ B0CVS8GY37
  • Éditeur ‏ : ‎ Orage-Lagune-Express, diffusion Independently published (15 février 2024)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 178 pages
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 979-8879744651
  • Poids de l'article ‏ : ‎ 254 g
  • Dimensions ‏ : ‎ 12.85 x 1.14 x 19.84 cm