15 octobre 2016
Quand le prix Nobel de littérature rejoint le tiroir aux colifichets
Je n’ai rien contre Bob Dylan parce que je ne le connais pas. Aussi me garderai-je bien de porter un jugement sur les paroles de ses chansons. Je déplore seulement qu’un prix Nobel de littérature soit attribué à un chanteur de variété. En me renseignant un peu, j'ai lu que sa compagne d'un moment, Joan Baez, l'aurait quitté au motif qu'il n'était pas assez engagé et qu'il n'avait pas assez de conscience politique, ce qui me le rendrait à priori assez sympathique !
J’ai entendu parler pour la première fois de Bob Dylan au lycée en cours d’anglais lorsque le professeur est arrivé avec des disques. Il avait aussi amené un disque de Léonard Cohen. De Dylan, je n’ai aucun souvenir, pas même un titre de chanson, à peine un vague fond sonore de guitare qu’on gratte autour d’un feu de camp en buvant des bières. Quant à Cohen, je ne me souviens que d’un bourdonnement sourd et d’un prénom féminin, impression confirmée il y a trois ans lorsqu’une ancienne connaissance m’a prêté un cd.
Voilà pour l’empreinte musicale laissée en mon souvenir par ces deux stars éminemment nobélisables aux yeux de celles et ceux que j’appelle affectueusement les vieux pops, qu’ils soient désormais grands-parents ou quadras bobos et qui forment ces deux générations pour lesquelles, en matière de culture, tout se vaut.
Nous avons bien compris, depuis la fin du vingtième siècle, que nous allions devoir survivre dans un monde où désormais, tout serait culturel sans que personne ne soit vaiment cultivé. L’un des premiers à faire passer puissamment le message fut un ministre, le non regretté Jack Lang qui fait pourtant figure de génie en comparaison de ses plus récents successeurs masculins et féminins n’ayant pour leur part plus rien à dire sur ce qui n’est maintenant pour eux qu’un portefeuille à gérer.
Si ce triste constat ne semblait affecter que notre petit hexagone, voici qu’il s’internationalise avec l’attribution du prix Nobel de littérature à un chanteur de variété. Nous voici donc entrés dans ce monde où chansonnette vaut poésie, où journalisme vaut sociologie, où les dimensions d’un stade de foot font l’objet d’une question au concours d’entrée aux écoles d’orthophonie, où des rappeurs appelant à l’émeute donnent des conférences dans les médiathèques et des ateliers d’écriture dans les collèges. À l’évidence, nous ne sommes plus dans la littérature mais dans la politique.
Toutes les distinctions prestigieuses sont politiques. Le Nobel 2016 est encore pire : il n’a aucun sens. Il serait intéressant de connaître les jurés Nobel d’aujourd’hui. Je suis prêt à parier qu’au nombre d’entre eux, figure un pourcentage conséquent de vieux pops nostalgiques de leur jeunesse faussement rebelle ! Le Nobel 2016 est aussi politique dans le sens où il est parfaitement dans l’air du temps où plus aucune hiérarchie de valeurs esthétiques et intellectuelles n’est tolérée par la démagogie dominante. Alors, dans ces conditions, rien d’étonnant à ce qu’un chanteur de variété soit lauréat d’un prix Nobel de littérature. N’eût-il pas été préférable de créer un Nobel de la chanson ? Dans ce cas, je n’aurais rien trouvé à redire.
Avec cette décision saugrenue digne d’une farce sénile, les Nobel se tirent une balle dans le pied. Allez, je me l’autorise, ils se dynamitent. Ils transforment eux-mêmes leur distinction enviée et relativement respectée en un colifichet, suivant ainsi le même processus autodestructeur que la Légion d’Honneur attribuée à n’importe qui et le Goncourt probablement bientôt donné à l’ancien Motivé !
Au moins ces mornes péripéties nous permettront-elles de nous préparer psychologiquement aux suivantes, sans doute des funérailles nationales avec trois jours de deuil officiel et minute de silence dans les écoles pour Johnny Hallyday et la nomination d’un rappeur au ministère de la culture !
Mieux vaut en rire, ce qui ne nous empêche pas de penser avec compassion, après cette mauvaise blague de vieux potaches, aux prochains grands écrivains qui seront distingués par un prix galvaudé. À défaut de fleurs fraîches, ils auront au moins les couronnes.
11:24 Publié dans NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : bob dylan, prix nobel de littérature 2016, alfred nobel, léonard cohen, blog littéraire de christian cottet-emard, littérature, prix littéraire, distinction, goncourt, motivé, légion d'honneur, rap, rappeur, médiathèque, collège, poésie, chanson, christian cottet-emard, rire jaune, jack lang, ministre de la culture, nivellement par le bas, consensus, politiquement correct, johnny hallyday, mépris pour la culture, mauvaise blague, haine de la littérature
18 novembre 2010
LE MAGAZINE DES LIVRES n°27 / novembre-décembre 2010
Le nouveau Magazine des Livres sera en kiosques samedi.
Sommaire :
DOSSIER
Les cinquante incontournables 2010 par Joseph Vebret et Eli Flory
RENCONTRE
Michel Houellebecq. Imperturbable par Joseph Vebret
UNE VIE D’ÉCRIVAIN
Tatiana de Rosnay. Raconteuse d’histoires par Thierry Richard
ENTRETIENS
Cabu : « Je suis un journaliste qui dessine » par David Alliot
Horacio Castellanos Moya. L’humour comme résistance par Éric Bonnargent
Cécilia Dutter et la voix d’Etty Hillesum par Stéphanie des Horts
Cécile Coulon. L’insolence maîtrisée par Amélie Rouher
Éric Pessan. Saturation par Éric Bonnargent
Pierre Chalmain. L’art de l’insulte par Christopher Gérard
Amanda Sthers : « Si je quitte l’écriture, je quitte la vie » par Laure Rebois
Fabrice Gaignault. Dandy Express par Emmanuelle de Boysson
Frédérick Tristan. La fiction dans le réel par Joseph Vebret
CLASSIQUE
Philippe Muray. Saboteur de l’Empire du Bien par Frédéric Saenen
PERDU DE VUE
Saint-Loup ou le Goncourt à une journée près ! par Francis Bergeron
LE CAHIER DES LIVRES
Focus, Romans, Polars, SF, Documents, BD, En vrac
Musique & littératures] Guy Béart : retour sans fausse note par Jean-Daniel Belfond
Cinéma & littératures] Paquet-Brenner et de Rosnay, même combat par Anne-Sophie Demonchy
Relecture] Premier amour, Samuel Beckett par Stéphanie Hochet
Les mains dans les poches] Périple en quatre étapes par Anthony Dufraisse
Économie du livre] La Mamounia, hôtel littéraire par Christophe Rioux
Chemin faisant] C’est quoi, au fait, un écrivain ? par Pierre Ducrozet
Les livres que vous n’avez pas lus] Une fille enfermée par Bertrand du Chambon
Poésies] Plein d’essence par Gwen Garnier-Duguy
Lire la musique] Filet d’eau et cascades de voix par Guy Darol
BONNES FEUILLES
La sélection d’Annick Geille : Rassembleurs de mots
L’Enfer du roman, Richard Millet
Alexandre Soljénitsyne, Lioudmila Saraskina
Jean Genet, menteur sublime, Tahar Ben Jelloun
Pourquoi lire ?, Charles Dantzig
Mythologies, Roland Barthes
Des auteurs épatants par Annick Geille
FEUILLETONS
Conseils aux auteurs ratés par Christian Cottet-Emard
Voyage dans une bibliothèque par Raphaël Juldé
L’Auteur et la théorie du grand complot par Emmanuelle Allibert
Visages d’écrivains]
Jean Genet par Louis Monier
Avec : Emmanuelle Allibert, David Alliot, Jean-Daniel Belfond, Francis Bergeron, Éric Bonnargent, Brigit Bontour, Arnaud Bordes, Emmanuelle de Boysson, Adeline Bronner, Bertrand du Chambon, Hubert de Champris, Pierre Cormary, Christian Cottet-Emard, Guy Darol, Anne-Sophie Demonchy, Pierre Ducrozet, Anthony Dufraisse, Eli Flory, Jean-François Foulon, Sylvain Gabarre, Gwen Garnier-Duguy, Annick Geille, Christopher Gérard, Christophe Henning, Stéphanie Hochet, Stéphanie des Horts, Raphaël Juldé, Valère-Marie Marchand, Christophe Mory, Valérie Motté, Laure Rebois, Thierry Richard, Christophe Rioux, Amélie Rouher, Frédéric Saenen, Marc Villemain, Carole Zalberg.
Photos : Louis Monier. Illustrations : Miège et Innocent.
Coordination : Delphine Gay.