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08 septembre 2023

De la migraine et de la presse locale

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La migraine n’est pas seulement une maladie d’écrivain, elle touche aussi les journalistes et probablement d’autres créatures. Parfois, j’ai l’impression qu’elle tourmente même Sir Alfred, le chat de mon voisin, lorsqu’il multiplie les aventures. Et les céphalopodes ? Souffrent-ils de la migraine ? On peut se poser la question et toute une série du même genre mais à quoi bon se casser la tête ?

À propos de tête, je me demandais, attablé à une terrasse de café en cette fin de matinée, à quoi pouvait bien ressembler celle de la journaliste avec qui j’avais rendez-vous pour lui parler d’une chose aussi importante pour l’humanité souffrante qu’un pet de souris mais à laquelle j’accorde tout de même un peu d’intérêt : la parution de mon dernier livre. Lors du contact téléphonique, j’avais proposé à la rédactrice de l’attendre en ce lieu si propice à l’échange culturel qu’est le bistrot en arborant un signe de reconnaissance, le Républicain Populaire Libéré du Centre ouvert à la page culturelle. Cette idée pourtant originale faillit échouer.

En effet, on était lundi et la page culturelle avait disparu au profit de la publication des résultats d’un tournoi interdépartemental de pétanque particulièrement endiablé. Cet inconvénient eût été négligeable si la moitié des clients du bar n’avaient pas tous décidé le même jour de déplier le Républicain Populaire Libéré du Centre en s’hydratant le gosier. La localière finit tout de même par me reconnaître au milieu de tous ces passionnés de pétanque. Sans doute ne ressemblais-je point à un lecteur régulier de son journal. J’en conclus que mon idée de signe de reconnaissance avait finalement fonctionné mais à l’envers. Qu’importe ? La vie n’est pas un exercice de mathématiques dont le résultat pourtant juste est considéré comme faux s’il n’est pas établi au moyen du bon raisonnement.

Je vis donc se plier sur la chaise en face de moi une grande jeune femme au style neurasthénique. Elle s’excusa de garder au visage ses larges lunettes noires en raison d’une migraine qui avait dû lui déclencher pour quelques temps des humeurs aussi chagrines que celles d’une araignée veuve noire privée de son amant qui est aussi, ne l’oublions pas, son déjeuner. À certains moments, la vie nous dépossède de tout. « Bienvenue au club des migraineux ! » lançai-je pour dédramatiser.

Les lunettes descendirent d’un cran et deux yeux sombres noyés de douleur coulèrent en direction de mon insignifiante personne, fait remarquable quand on sait que le vrai migraineux en crise n’est plus en mesure de s’intéresser aux affaires du monde puisque pour lui, plus rien n’existe, pas même le monde, rien que la migraine.

Un pâle sourire s’évada sous les verres fumés : « alors vous aussi ? » Connexion en cours ! « Hélas... » répondis-je d’un air contrit. Il faut toujours se mettre à la portée de son interlocuteur. Jai lu cette recommandation dans un manuel intitulé « Bien communiquer avec les autres » écrit par un ancien directeur des ressources humaines devenu moine trappiste puis ermite des montagnes quelque part dans l’Himalaya où il a auto-édité tous ses autres livres à tirage limité sur feuilles de papier de riz humectées à la bave de lama et reliées avec des poils tressés du même animal. Pourquoi du papier humecté à la bave de lama ? Je préfère ne pas m’étendre sur un sujet aussi dégoûtant juste avant le repas.

« Que prenez-vous pour soulager votre migraine ? » s’enquit la journaliste. Nous nous livrâmes alors à un échange d’une rare intensité sur le thème des différents mérites et inconvénients de l’effervescence et des anti-inflammatoires combinés aux trucs et astuces permettant de tenir le fléau à distance au moins quelques minutes.

« Dans nos activités littéraires, c’est embêtant la migraine » assénai-je au bout d’une heure de considérations pharmaceutiques, dans l’espoir de rappeler à la journaliste que nous n’étions pas là pour préparer l’assemblée générale des meurtris de la casquette mais pour présenter mon livre aux lecteurs avides. La jeune femme opina du chef qu’elle avait semble-t-il encore plus douloureux qu’à son arrivée et me demanda pardon de devoir prendre congé car elle risquait de s’évanouir.

Elle oublia sur la table l’exemplaire dédicacé de mon ouvrage qu’elle avait reçu en service de presse et m’abandonna au moment où je sentis naître au fond de mes yeux un mal pesant. Contagieuse, avec ça ! Quelques jours plus tard, je lui téléphonai pour solliciter un autre rendez-vous mais elle m’expliqua qu’elle avait finalement trouvé ma prose « un peu trop prise de tête » (selon son expression) pour les lecteurs d’une rubrique locale.

Si j’avais su, j’aurais écrit un livre moins brillant, baissé un peu le niveau, mais que voulez-vous, je doute fort d’en être capable.

* Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? illustré par le dessinateur Miege est paru dans le Magazine des Livres n°25 (juillet-août 2010).

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Un article de Jean-Jacques Nuel, sur son blog, à propos de Tu écris toujours ? , mon recueil de chroniques humoristiques sur la condition d'auteur.

Ne cherchez pas dans ce livre un traité de la réussite ou une méthode infaillible pour écrire des best-sellers et devenir un auteur à succès. Cottet-Emard va détruire vos illusions et ramener les poètes chimériques à la réalité la plus prosaïque. Il dégonfle les baudruches. (J-J N)

Pour les gens d'Oyonnax et sa région, ce livre est disponible au prix de 10 € au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax.

  • ASIN ‏ : ‎ B0BTRRBS4V
  • Éditeur ‏ : Orage-Lagune-Express (diffusion‎ Independently published).
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 210 pages
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 979-8376160671
  • Poids de l'article ‏ : ‎ 236 g
  • Dimensions ‏ : ‎ 11 x 1.35 x 18.01 cm

Également en vente par correspondance sur :

- Amazon

- Orage-Lagune-Express

18 mars 2020

De la migraine

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La migraine n’est pas seulement une maladie d’écrivain, elle touche aussi les journalistes et probablement d’autres créatures. Parfois, j’ai l’impression qu’elle tourmente même Sir Alfred, le chat de mon voisin, lorsqu’il multiplie les aventures. Et les céphalopodes ? Souffrent-ils de la migraine ? On peut se poser la question et toute une série du même genre mais à quoi bon se casser la tête ?

À propos de tête, je me demandais, attablé à une terrasse de café en cette fin de matinée, à quoi pouvait bien ressembler celle de la journaliste avec qui j’avais rendez-vous pour lui parler d’une chose aussi importante pour l’humanité souffrante qu’un pet de souris mais à laquelle j’accorde tout de même un peu d’intérêt : la parution de mon dernier livre. Lors du contact téléphonique, j’avais proposé à la rédactrice de l’attendre en ce lieu si propice à l’échange culturel qu’est le bistrot en arborant un signe de reconnaissance, le Républicain Populaire Libéré du Centre ouvert à la page culturelle. Cette idée pourtant originale faillit échouer.

En effet, on était lundi et la page culturelle avait disparu au profit de la publication des résultats d’un tournoi interdépartemental de pétanque particulièrement endiablé. Cet inconvénient eût été négligeable si la moitié des clients du bar n’avaient pas tous décidé le même jour de déplier le Républicain Populaire Libéré du Centre en s’hydratant le gosier. La localière finit tout de même par me reconnaître au milieu de tous ces passionnés de pétanque. Sans doute ne ressemblais-je point à un lecteur régulier de son journal. J’en conclus que mon idée de signe de reconnaissance avait finalement fonctionné mais à l’envers. Qu’importe ? La vie n’est pas un exercice de mathématiques dont le résultat pourtant juste est considéré comme faux s’il n’est pas établi au moyen du bon raisonnement.

Je vis donc se plier sur la chaise en face de moi une grande jeune femme au style neurasthénique. Elle s’excusa de garder au visage ses larges lunettes noires en raison d’une migraine qui avait dû lui déclencher pour quelques temps des humeurs aussi chagrines que celles d’une araignée veuve noire privée de son amant qui est aussi, ne l’oublions pas, son déjeuner. À certains moments, la vie nous dépossède de tout. « Bienvenue au club des migraineux ! » lançai-je pour dédramatiser.

Les lunettes descendirent d’un cran et deux yeux sombres noyés de douleur coulèrent en direction de mon insignifiante personne, fait remarquable quand on sait que le vrai migraineux en crise n’est plus en mesure de s’intéresser aux affaires du monde puisque pour lui, plus rien n’existe, pas même le monde, rien que la migraine.

Un pâle sourire s’évada sous les verres fumés : « alors vous aussi ? » Connexion en cours ! « Hélas... » répondis-je d’un air contrit. Il faut toujours se mettre à la portée de son interlocuteur. Jai lu cette recommandation dans un manuel intitulé « Bien communiquer avec les autres » écrit par un ancien directeur des ressources humaines devenu moine trappiste puis ermite des montagnes quelque part dans l’Himalaya où il a auto-édité tous ses autres livres à tirage limité sur feuilles de papier de riz humectées à la bave de lama et reliées avec des poils tressés du même animal. Pourquoi du papier humecté à la bave de lama ? Je préfère ne pas m’étendre sur un sujet aussi dégoûtant juste avant le repas.

« Que prenez-vous pour soulager votre migraine ? » s’enquit la journaliste. Nous nous livrâmes alors à un échange d’une rare intensité sur le thème des différents mérites et inconvénients de l’effervescence et des anti-inflammatoires combinés aux trucs et astuces permettant de tenir le fléau à distance au moins quelques minutes.

« Dans nos activités littéraires, c’est embêtant la migraine » assénai-je au bout d’une heure de considérations pharmaceutiques, dans l’espoir de rappeler à la journaliste que nous n’étions pas là pour préparer l’assemblée générale des meurtris de la casquette mais pour présenter mon livre aux lecteurs avides. La jeune femme opina du chef qu’elle avait semble-t-il encore plus douloureux qu’à son arrivée et me demanda pardon de devoir prendre congé car elle risquait de s’évanouir.

Elle oublia sur la table l’exemplaire dédicacé de mon ouvrage qu’elle avait reçu en service de presse et m’abandonna au moment où je sentis naître au fond de mes yeux un mal pesant. Contagieuse, avec ça ! Quelques jours plus tard, je lui téléphonai pour solliciter un autre rendez-vous mais elle m’expliqua qu’elle avait finalement trouvé ma prose « un peu trop prise de tête » (selon son expression) pour les lecteurs d’une rubrique locale.

Si j’avais su, j’aurais écrit un livre moins brillant, baissé un peu le niveau, mais que voulez-vous, je doute fort d’en être capable.

- Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? inédit.  Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change.

Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? illustré par le dessinateur Miege est paru dans le Magazine des Livres n°25 (juillet-août 2010).

 

11 août 2019

Tu écris toujours ? (Conseils aux écrivains attirés par la lumière)

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Méfiez-vous de votre vocation poétique, n'essayez pas de rattraper un TGV en voiture et faites livrer vos havanes à domicile.

Par paresse, je n’ai pas participé à beaucoup de concours littéraires. L’un des rares à me tenter fut le Prix de Poésie de la Fondation de la Vocation décerné en présence de feu son président, patron de Publicis, Marcel Bleustein-Blanchet. Je devais me dépêcher car j’étais à un an de la limite d’âge fixée à trente ans. Plus notre espérance de vie augmente, plus la limite d’âge vient vite borner nos horizons. À ce TGV-là, nous autres humains finirons par être trop vieux pour naître, comme les Shadoks. O tempora, o mores !

 

Après avoir envoyé une suite de proses poétiques, je reçus une lettre marquée du trèfle à quatre feuilles, insigne de la noble maison. Le cœur ne battant pas plus vite que d’habitude car je ne m’illusionnais pas sur mon succès, je décachetai l’enveloppe qui me tomba des mains de stupéfaction à la lecture de la lettre : « Comme suite à votre candidature au Prix de Poésie 1988, j’ai le plaisir de vous annoncer que votre manuscrit a été sélectionné avec cinq autres pour l’attribution du prix. Nous vous en félicitons vivement car il y avait un très grand nombre de recueils de poèmes. Mais il va de soi qu’un seul candidat recevra ce prix le 9 juin prochain... Je vous propose de bien vouloir m’appeler afin d’envisager votre présence. »

 

J’exigeai un jour de congé de la hiérarchie du quotidien lyonnais mal nommé où se délitait ma vocation littéraire et je sautai dans ma Lada de ces temps héroïques. La machine consentit à me transporter d’Oyonnax jusqu’à la gare de Bourg-en-Bresse où j’arrivai juste à temps sur le quai désert pour voir s’éloigner mon très ponctuel TGV en direction de la capitale littéraire de la France. Par Jupiter ! Je me ruai de nouveau vers la malheureuse Lada à peine remise de l’expédition au pays des Ventres jaunes et lui commandai non sans une certaine brutalité qui eut pour effet de faire grincer l’embrayage et gémir les roues arrières motrices (comme dans un film d’espionnage des années 70 visualisé au ralenti) de me véhiculer aussi sec à la gare de Mâcon. Plus abonné aux tortillards qu’aux bolides des grandes lignes, je caressais le fol espoir de rattraper ce maudit TGV qui soufflerait peut-être trois minutes à Mâcon. Bernique. Le prodigieux engin s’était déjà téléporté vers les cieux de moins en moins probables de ma gloire parisienne. A-t-on besoin de trains à trop grande vitesse qui partent à l’heure pour nous pourrir la vie ? Je vous le demande. Qu’à cela ne tienne, je fis rugir le moteur révolté de ma Lada pour retourner en vitesse à Bourg-en-Bresse où j’eus tout juste le temps de grimper dans un autre TGV en partance vers la ville lumière. Je réalisai au passage que j’aurais prolongé la vie de ma voiture et gagné en sérénité si j’avais tout simplement attendu ce deuxième train sur place, mais avec l’émotion...

 

Cette montgolfière émotionnelle se dégonfla comme une baudruche sur la terrasse avec vue sur l’Arc de Triomphe où avait été dressé le buffet de réception. Tout se passa très vite. Je vis la Rolls de Marcel qui se garait tout en souplesse en bas de l’immeuble, en double file, et le chauffeur qui patientait. À l’évidence, le fondateur de Publicis n’avait pas vocation à s’éterniser. Il distribua un sourire collectif, une poignée de main individuelle et un chèque à un jeune homme timide tandis que la maigre assistance, s’étant répandue en applaudissements convenus, songeait sérieusement à rendre un hommage mérité au buffet. Ne me séparant jamais de mon petit Fujika, je craquai deux ou trois photos sous le regard blasé et un brin moqueur du romancier Didier Martin, membre du jury, je crois, dont l’œil avisé avait sans doute repéré en mon insignifiante personne un candidat malchanceux qui tentait de cette manière d’adopter une contenance. La gêne confuse qui m’assaillait ne provenait pas de mon échec, à un cheveu près, au Prix de la Vocation, mais plutôt de ma présence absurde à cette réception. Je m’aperçus en effet, entre deux coupes d’un champagne aux bulles un peu amères, que sur les cinq candidats sélectionnés, je n’en comptais que deux présents à la fête : le lauréat et moi- même. Quelle mystérieuse prescience avait dissuadé les trois autres de se déplacer ? Peut- être l’expérience, s’ils avaient tenté leur chance les années précédentes ? Ou avais-je fait les frais d’un défaut d’organisation ? Je ne le saurai jamais.

 

Peut-être me reprochera-t-on de ne pas être très « sport » en regrettant de m’être coltiné plus de quatre heures de train pour applaudir un rival inconnu mais que voulez- vous, le billet aller-retour était à ma charge malgré « l’invitation » de la Fondation, ce qui hissait le cours de la cacahuète à celui du caviar. Fasciné par ma propre naïveté, à vingt-neuf ans tout de même, je trouvai la force de serrer la main du jeune homme timide et m’éclipsai.

 

Mes pas me portèrent vers la première cave à cigares où je dénichai les bagues dorées de mes bons vieux Por Larrañaga, histoire de me remettre la tête à l’endroit. Dans le TGV, en jetant un coup d’oeil à mes emplettes, je remarquai que le sac qui les contenait portait la marque du drugstore Publicis. Entretenant les feux de la Vocation, la puissante enseigne avait fait de l’œil à un aspirant-poète jusque dans sa province, l’avait attiré comme un papillon sous la lumière pour réussir en prime à lui fourguer des havanes. Je rentrai chez moi sonné, non pas d’avoir trinqué en présence du fastueux Marcel mais les jambes sciées par l’entêtant cocktail « Vocation-Poésie-TGV » (à consommer avec beaucoup de modération).

 

(Extrait de mon recueil de chroniques humoristiques sur la condition d'auteur Tu écris toujours ?, éditions Le Pont du Change.)

Cet épisode du feuilleton a aussi été publié en 2008 dans Le Magazine des livres n°11.