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11 avril 2005

Tu écris toujours ? (10)

Que ce feuilleton puisse être perçu comme un règlement de compte, j’en suis conscient, surtout lorsque j’évoque le principal problème de l’écrivain : la sélection. Être ou non sélectionné pour publier, pour obtenir une bourse, pour bénéficier d’un article dans la presse, voilà bien ce qui tarabuste l’écrivain inconnu du grand public. Évidemment, le râleur a le mauvais rôle. S’il critique l’emprise des gestionnaires sur les choix littéraires des grandes maisons d’édition, c’est parce qu’il a été refusé par leurs comités de lecture. S’il dénonce l’opacité, la cooptation et la désinvolture parfois pratiquées dans l’attribution des aides financières à la création, c’est parce qu’il n’a jamais obtenu un centime. Enfin, s’il déplore l’incurie des journalistes, c’est parce que ces derniers l’ignorent et qu’il le vaut bien ! Élémentaire, il ne reste plus qu’à coller l’étiquette : aigri, un aigri, vous dis-je ! Un plaignant. Un hypocondriaque de la plume (à tendance paranoïde !). C’est grave, docteur ?
Un peu court tout de même, surtout lorsqu’on peut constater que les éternels recalés de l’édition, de la subvention et de la presse ne sont pas les seuls à pointer les dérives.
Dans mon cas personnel, je n’ai pas trop à me plaindre. Certaines de mes oeuvres ont trouvé preneur et je ne collectionne pas les fonds de tiroirs. Sans être pléthorique, mon dossier de presse commence à s’étoffer. Les aides financières, voilà où le bât blesse, mais c’est un peu ma faute car je ne sais pas monter mes dossiers. En plus, je ne frappe pas aux bonnes portes. Ah ! Il me faudrait un agent, mais si ma plume me rapportait de quoi payer un agent, cela signifierait peut-être que je n’aurais pas besoin d’agent ? Hum... Bon, laissons tomber l’idée de l’agent pour le moment, ça m’embrouille.
Non, les écrivains qui rouspètent contre la condition marginale et subalterne que leur réserve cette société mercantile ne sont pas tous des ratés et des aigris. Ils sont un certain nombre à vouloir témoigner en toute simplicité de leur expérience pour tenter d’en finir avec cette mythologie de pacotille dans laquelle se drape souvent l’activité littéraire. Et pour ma part, je mesure la réussite de ce feuilleton aux rires et aux sourires qu’il peut, j’espère, susciter. Sans vouloir jouer les vieux sages (vieux sage sonne un peu trop comme vieux singe) j’arrive à un âge où l’on se déleste de l’esprit de sérieux (“toujours trop sérieux n’est pas très sérieux” disait le grand écrivain Amadou Hampâté Bâ) et je veux désormais pouvoir porter un regard amusé et amusant sur mes aventures, péripéties, bonheurs et déconvenues dans le monde de l’édition. Alors, si je me laisse aller de temps à autres à régler quelques comptes, disons que c’est parce que je me suis levé du pied gauche ou que c’est la faute à la lune rousse. De toute façon, on est toujours le méchant de quelqu’un, surtout lorsque, soucieux d’éviter les jérémiades, on préfère manier l’ironie. Je ne voudrais pas qu’on dise de moi ce que l’éditeur Guy Schoeller rapportait de Léo Malet - “un long gémissement” - dans les Carnet intimes de l’édition française (éditions La Désinvolture/Quai Voltaire, 1989) où il enfonce le clou un peu plus loin : “... Il m’emmerdait tellement que je l’ai ramené à pinces des Halles à l’Arc de Triomphe...”. Il est vrai que Léo Malet se lamentait sur le succès tardif de Nestor Burma : “Maintenant, c’est trop tard !” se désolait-il. Le pire, c’est que de telles plaintes ont tendance à amuser la galerie. Alors me dis-je, autant rire le premier, non seulement de mes fâcheux mais encore de moi-même et de mes déboires éditoriaux, ce qui constitue un excellent remède contre la constitution paranoïaque de l’écrivain. Et d’ailleurs, j’en terminerai ce soir en le clamant haut et fort : contrairement à ce que tout le monde a l’air de murmurer dans mon dos, je ne suis pas paranoïaque !
(À suivre)

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