06 mai 2005
Tu écris toujours ? (14)
J’ai dû rater ma vocation d’orpailleur. En bon songe-creux qui se respecte, je n’aime rien tant, puisqu’il faut absolument travailler, que les besognes routinières et sans prestige qui me permettent, justement, d’oublier le travail, de penser à autre chose et cet autre chose c’est bien sûr la poésie.
Cet “or du temps” que cherchait André Breton, je le trouve partout mais en très petites quantités. Je remue et lave beaucoup d’alluvions pour recueillir les paillettes. Celles que je cherche ne brillent pas forcément là où il serait logique de les trouver. La poésie me joue parfois de mauvais tours, surtout quand elle est trop pensée pour être honnête ! Heureusement, elle me lance aussi des clins d’oeil au coin de la rue. Sa lampe s’éclaire dans un roman et flanche dans un poème pour se rallumer dans une promenade nocturne car elle l’a avoué à l’un de ses confidents, Léon-Paul Fargue, grand noctambule devant l’Éternel : “il n’est pas nécessaire d’écrire pour être poète. Il faut et il suffit d’être en état de grâce et de contemplation”, peut-on lire dans sa Lanterne magique.
J’agite donc mon tamis au milieu du flot : beaucoup de sable, voire de la boue, mais parfois, dans le filet d’une écriture qui naît, le début ou le fragment d’un poème à venir, qu’il choisisse de continuer plus tard ou de se fixer dans le trait à jamais juvénile d’une première feuille.
Parfois, la poésie s’absente. Je ne sais pourquoi, elle prend congé. J’ai pourtant rendez-vous avec elle dans la vie et dans les livres mais rien n’y fait. Elle se tient à distance. La poésie me pose souvent des lapins dans les salons et les chapelles de poètes proclamés ou auto-proclamés. Je la prends alors en filature en espérant déchiffrer des messages compliqués mais je me trompe. Je m’égare dans les signes et les formes vides d’un jeu de piste qui ne mène nulle part, un jeu de mauvaise piste. Me voilà perdu au milieu des jongleurs et des prestidigitateurs. Ils ont du boniment et des relations. J’ai mal à la tête, j’abandonne. J’ai autre chose à faire, une autre chance : écouter naître des poèmes.
Pour leurs auteurs, la vie et les livres ne font encore qu’un et c’est là le charme du changement de casquette : auteur, bien sûr, mais éditeur (micro-éditeur, dit-on maintenant) lorsque je me fatigue moi-même et que j’ai alors besoin de m’aventurer dans les mots d’un ou d’une autre et, de temps en temps, de les publier sous forme de petits livrets laissant courir un lézard sur leur couverture. Sous ce label que j’ai nommé Orage-Lagune-Express voici maintenant dix-huit ans, je publie (le mot est sans doute trop fort) de courts textes qui me plaisent. Parfois, je me publie moi-même car je ne vois pas pourquoi je perdrais du temps et de l’énergie à proposer à d’autres micro-éditeurs des poèmes dont ils n’auraient que faire tant ils sont déjà submergés d’envois tout comme, d’ailleurs, les grands éditeurs.
La poésie est un genre si rebelle à toute classification, à tout embrigadement, à toute école, à toute chapelle qu’elle a fini par disparaître des espaces commerciaux de l’édition. Sa pratique et sa définition étant des affaires essentiellement individuelles, il me semble aujourd’hui préférable de faire vivre la mienne dans ces livrets fabriqués de la manière la plus artisanale qui soit, quitte un jour à en extraire une “anthologie personnelle” pour la proposer alors, le moment venu et si tant est qu’il puisse venir un jour, à une maison d’édition qui en voudra peut-être. Beaucoup de poètes procèdent d’ailleurs de cette manière, ainsi qu’on peut le constater en lisant les volumes de la collection de poche Poésie/Gallimard qui reprend des plaquettes disséminées aux quatre vents et devenues introuvables, y compris sur le marché du livre ancien.
J’en ai pris conscience assez tard, dans les années 90, lors d’une visite chez un étrange personnage. Au pays de la Clairette, je sortais d’un comité de rédaction de la revue Le Croquant et le fondateur, Michel Cornaton, me convia, avec quelques autres parmi lesquels Christian Moncel, “l’inventeur” de La Petite revue de l’indiscipline, à franchir le seuil d’une grande demeure mussée dans la campagne drômoise au bout d’une route frissonnante de lumière d’automne. Le maître des lieux, bibliophile, avait récupéré le fonds de l’éditeur, poète et typographe Guy Lévis-Mano. L’homme ouvrit un tiroir qui regorgeait de plaquettes rarissimes de poètes surréalistes célèbres mais aussi d’amis anonymes de l’artisan, poètes d’une seule brassée de vers à jamais oubliés. Que le texte soit somptueux ou naïf, audacieux ou désuet, l’imprimeur Guy Lévis-Mano lui avait donné tout son art. Sur la page de garde d’une plaquette comportant quelques feuilles, je lus avec profit cette injonction de René Char : “Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique maladie de faire des noeuds.” Sur des étagères, mon regard incrédule tomba sur plusieurs des mythiques “minuscules” de PAB, l’éditeur et artiste Pierre-André Benoit.
Mais ce qui me fascina le plus fut une série de recueils de Pierre Reverdy imprimés à quelques exemplaires. Les couvertures avaient été réalisées au pochoir par le poète lui-même et les pages cousues par sa compagne ! Je ne peux m’empêcher de penser à ces livres extraordinaires bien à l’abri dans des campagnes encore préservées lorsque je me promène dans l’oeuvre de Reverdy en édition de poche.
(À suivre)
11:30 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (0)
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