21 juin 2005
Tu écris toujours ? (21)
Je crois qu'il faudrait relever le niveau de ce blog qui n'est, finalement, pas si littéraire que cela, contrairement à ce que son nom indique. Avec toutes ces histoires de contrats, de diffusion, d'emplois, d'argent, de presse, de commerce, c'est à se demander si l'auteur de ces lignes écrit toujours... Certains épisodes ne frôlent-ils pas dangereusement les pétales de pâquerettes tant votre serviteur se complaît à se vautrer dans la fange de la réalité quotidienne affectant sa condition d'écrivain confidentiel ?
Cette approche triviale, prosaïque, je l'assume un peu mieux depuis que j'ai lu, voici quelques années, La Vie matérielle de Marguerite Duras. Les listes de courses, les objets, les maisons, les photos, le "concret" en somme, elle a réussi à en faire ce beau livre étrange, bricolé au magnétophone. Cette lecture me déculpabilise un peu, bien que mes vies matérielles descendent de plus d'un ton en-dessous de la symphonie domestique durasiennes. En outre, le glorieux passé petit-bourgeois de ma famille (qui a dû se transmettre dans mes gènes mais malheureusement pas dans mon compte en banque) ne fait qu'aggraver mon obsession du confort matériel qui signe l'esprit petit-bourgeois : est-on bien assis ? A-t-on bien mangé ? A-t-on bien dormi ? A-t-on écrit un "joli livre" ? Cette dernière question, pas plus innocente que les autres, m'a poussé à feuilleter mes carnets de notes.
J'ai en effet recours à ce bon vieux système pour tenter de fixer d'improbables moments de grâce capables de déchirer le voile poussiéreux du quotidien. Pour "faire littéraire", j'allais ressortir du magasin l'image des pépites extraites du limon mais soyons modeste, en ce qui concerne mes esquisses, il ne s'agit que de cristaux glanés au hasard du sentier caillouteux ! De l'or, il y en a quand même dans ces pages de carnets. Il s'agit des citations, pensées épinglées tels des papillons de collection, vraies pépites celles-là, d'auteurs avec qui je me sens parfois en sympathie, glissées entre les bagues de cigares collées, les adresses, les photos, les beaux timbres, les coupures de presse et autres pense-bête, éparpillées dans ce petit matériel de dépannage pour réflexion à l’arrêt, en quelque sorte, trousses de première urgence pour rêves égratignés...
Voyons cette page par exemple, où brille la bague jaune, or et rouge d'un Rey del mundo, un bon havane fumé ce jour-là, et, au-dessus de ce souvenir d’un moment aromatique, des mots du Livre de sable de Borges : "Je n'écris pas pour une petite élite dont je n'ai cure, ni pour cette entité platonique adulée qu'on surnomme la Masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères au démagogue. J'écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps."
Quelques pages plus loin : ce jour-là, j'ai fumé un Bolivar (format Robusto, c'est-à-dire trapu et d'un bon calibre) dont j'ai collé la bague en-dessous de cet extrait d'une réponse d'André Breton à une enquête : "La poésie n'aurait pour moi aucun intérêt si je ne m'attendais pas à ce qu'elle suggère à quelques-uns de mes amis et à moi-même une solution particulière du problème de notre vie."
Et puis, pour la route, celle-ci, superbe, recopiée un jour sur la page ornée de la bague d'un Regalias de chez Upmann : "L'homme qui rêve est un grand poète et quand il se réveille, il redevient un pauvre type." (Ernesto Sabato).
Sans vouloir commencer un dictionnaire, rien ne vaut de bonnes citations pour relever le niveau !
(À suivre)
23:15 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Un petit message comme un remerciement pour avoir passé un bon moment. J'ai lu votre feuilleton de A à Z, ou plutôt de Z à A (21 à 1). Agréable moment de lecture. Fluidité. Merci.
N'avez-vous jamais pensé à rétorquer à votre "ami" qui vous demande "tu écris toujours?" : "Et toi, tu poses toujours la même question?".
cedric
Écrit par : cedric | 03 juillet 2005
ou lui rétorquer : "Et toi, tu aigris toujours ?"
Écrit par : Nuel | 03 juillet 2005
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