04 décembre 2009
Carnet de la première neige
Peut-être un peu plus futée ou chanceuse que ses pauvres congénères,
la poule faisane a élu domicile dans les hautes herbes derrière la maison durant la période de chasse. Elle est grassouillette, gracieuse et ne semble pas craindre grand-chose des chats mendiants que je ne peux pas m’empêcher de nourrir, une minette aussi élégante que peureuse et un matou d’un certain âge, dominant redoutable, énorme, glouton, mais débonnaire à mon égard. L’autre jour, la minette m’a filé un coup de patte. Elle m’avait pourtant bien fait comprendre que la distance entre nous ne devait pas être inférieure à cinquante centimètres. Avertissement reçu cinq sur cinq.
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J’entends parfois des gens se plaindre d’avoir « raté leur vie » . Comment peut-on rater (ou réussir, d’ailleurs) quelque chose que l’on n’a pas entrepris ? Je me suis quant à moi senti beaucoup plus léger le jour où j’ai réalisé qu’en ce monde, les mots échec ou réussite n’étaient que du jargon de capitaine d’industrie.
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Matin blanc. Je lève les yeux de mon bol de café pour regarder à travers les vitres le grand nuage envelopper la maison, la petite route, et, dans quelques secondes, le clocher. Que demander de plus ?
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L’œuvre du compositeur britannique Ralph Vaughan Williams (1872-1958) me tenait à distance depuis de nombreuses années, comme s’il me manquait une clef pour y entrer. J’ai trouvé cette clef en écoutant ces dernières semaines sa très élégiaque et majestueuse Norfolk Rhapsody. En avant pour ses dix symphonies dont je ne connais que la quatrième.
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Le jour de la première neige, la poule faisane s’est approchée de la maison et n’a rien trouvé de mieux à faire que de sortir du pré puis de longer la route en direction du village. Les chasseurs n’ont certes plus le droit de la flinguer mais si peu de temps avant Noël, le risque d’enlèvement paraît sérieux. J’hésitais entre chanceuse et futée. Elle n’était que chanceuse, très provisoirement.
Photo : la poulette faisane photographiée depuis la fenêtre... de la cuisine.
02:26 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : carnet, journal, neige, vaughan williams, chat, poule faisane, blog christian cottet-emard
Commentaires
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A propos de compositeur du siècle passé si tu essayais Luigi Nono : http://www.youtube.com/watch?v=KQlLDE1tymo
"sofferte onde serene" oeuvre composée en 1976.
Luigi Nono 29 janvier 1924 - 8 mai 1990, Venise, Italie
Écrit par : jacki marechal | 04 décembre 2009
On ne peut effectivement pas rater sa vie, mais on peut passe à côté de la vie, par peur, ou par avidité -c'est la même chose au fond-
Une des difficultés, pour ceux qui veulent vivre, étant de ne pas se faire bouffer par les chasseurs de tête (ou de poule faisane) qui veulent gentiment coucher dans leur lit de Procuste avec la terre entière. L'autre étant de ne pas avoir peur, comme cette poule faisane qui longe le bord de route...
Écrit par : jacki marechal | 04 décembre 2009
Images et mots apaisants ; pour ce qui est de rater ou réussir sa vie, on pourra se contenter du précepte nietzschéen, vivons chaque moment comme s'il devait durer éternellement !
Écrit par : Ray | 04 décembre 2009
Ne pas avoir peur est un bon moyen de passer à côté de sa vie de façon radicale. J'ai toujours pensé que la peur était un des grands moteurs de la vie. Rien ne m'effraie autant que ceux qui n'ont pas peur, les désespérés, les fanatiques, les illuminés et les inconscients.
D'un point de vue politique, la peur permet l'équilibre. Quand la droite avait peur du communisme, quand les patrons avaient peur des syndicats, les rapports sociaux connaissaient un certain équilibre. Maintenant que la classe dominante n'a plus peur, on voit le résultat.
D'un point de vue militaire, l'équilibre de la terreur (la dissuasion) a permis d'éviter, en Europe, dès la fin de la seconde guerre mondiale, une nouvelle guerre entre grandes puissances. Sans les perspectives terrifiantes d'un conflit nucléaire, cette guerre aurait certainement été déclenchée.
Vers l'âge de vingt ans, j'avais le projet d'écrire un essai que je voulais intituler « Morale de la peur » . Par la suite, j'ai renoncé car il m'est vite apparu que je pouvais mieux exprimer ces idées dans des fictions. Ceci dit, je veux bien reconnaître que tout cela est un peu triste.
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 05 décembre 2009
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