01 mai 2024
Carnet / À propos de Paul Auster (3 février 1947-30 avril 2024)
L’annonce de la disparition de Paul Auster m’a étrangement touché parce qu’il n’était pas au Panthéon de mes écrivains favoris. Plusieurs de ses livres m’avaient même inspiré quelques notes très critiques (et probablement injustes) mais la lecture en 2013 de Chronique d’hiver où il évoque le passage du cap de la soixantaine avait modifié mon approche de son œuvre dont je n’ai lu qu’un récit, L’Invention de la solitude, deux romans, La Nuit de l’oracle et Invisible, ainsi que des recueils de ses poèmes rassemblés sous le titre Disparitions. Il me semble important d’indiquer que la poésie de Paul Auster est le terreau de son œuvre romanesque.
Trente ans séparent L’Invention de la solitude et Chronique d’hiver, deux ouvrages dans lesquels l’autobiographie n’est pas traitée de manière habituelle parce qu’on sent le romancier dans l’autobiographie et l’autobiographe dans le roman, ce qui m’a beaucoup rapproché de cet écrivain.
Je crois que ce rapprochement, mon changement de regard progressif sur cette œuvre qu’il m’est arrivé d’estimer un peu vite trop « délayée » , s’explique par la discrète influence de ce qu’on appelle la petite musique d’un écrivain, quelque chose qui relève sans doute du style et qu’il serait ici fastidieux donc inutile d’expliquer les ressorts. Répétons simplement que c’est cette petite musique qui distingue une écriture, une vision personnelle et particulière du monde en un mot une œuvre originale jusque dans ces faiblesses.
Mais tout d’abord, l’honnêteté me commande de livrer deux textes que j’avais écrits après mes premières lectures de Paul Auster, le premier datant de 2009 et le second de 2012. (On pourra s’y reporter à la fin de cette note où je les ajoute en italique).
Mon texte de 2012 exprime déjà l’évolution de mon jugement qui n’est que celui d’un lecteur et non d’un critique littéraire. Quant au texte de 2009, je n’en suis pas fier, non pas parce que j’en renie les idées principales mais parce que j’en regrette aujourd’hui la sévérité et les excès d’ironie facile à mettre au compte des derniers feux de mon goût juvénile de la provocation. Tel est aussi l’intérêt de la littérature qui favorise la réflexion au long cours et, quand il le faut, la modération d’un propos voire le changement d’avis.
Je crois que la disparition de Paul Auster me touche aussi parce que, connaissant son parcours dans la poésie, son amour de la France, ses débuts difficiles, ses thèmes obsessionnels et sa propension au flux narratif, je pense qu’il incarne une forme de résilience littéraire qui devenait déjà rare dans les années 80.
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Extrait de mon article Vérité et vraisemblance dans le roman (2012)
L’exemple de Paul Auster, romancier bavard par excellence, je voulais justement y venir à propos de ma réflexion sur la vérité et la vraisemblance dans le roman. Il se trouve que pour la première fois après de nombreuses tentatives, je viens de réussir à lire en entier un roman de Paul Auster. Il s’agit d’Invisible qui compte dans l’édition de poche Babel chez Acte Sud 290 pages bien tassées en petits caractères, probablement du corps 10, un tour de force car une nouvelle suffirait au déploiement de l’intrigue. Mais ce serait oublier le métier de Paul Auster qui multiplie les angles, les points de vue, les variations et les récits gigognes dont il use et souvent abuse dans son œuvre romanesque et en particulier dans Invisible. Dans ce roman, l’exploitation extrême d’une intrigue rudimentaire (un personnage fait une mauvaise rencontre, vit une péripétie consécutive à cette mauvaise rencontre et se retrouve trente ans après ayant construit sa vie sur ces deux épisodes) confine à l’exercice de style, ce qui ruine toute vraisemblance mais n’en permet pas moins au lecteur d’accéder à certaines vérités.
J’essaie encore un livre de Paul Auster. (2009)
Le premier que j’avais lu m’avait séduit par son titre (L’Invention de la solitude) et son début. De beaux passages sur la figure du père et puis, en continuant, une sorte de bavardage. Il semble que ce soit le problème de Paul Auster : de bons titres (grâce à la traduction ?) et de beaux débuts mais ensuite, l’impression qu’il tire à la ligne. Plusieurs années après, je tombe par hasard sur La Nuit de l’oracle. Idem. Titre engageant, début sur les chapeaux de roues et une alléchante histoire de carnet acheté dans une étrange papeterie. Et puis, au bout de quelques dizaines de pages, la narration qui s’emballe, part dans tous les sens, tourne à vide. Arrivé à la fin, sonné par ces empilements de péripéties du quotidien et de digressions, j’en arrive à cette conclusion : le narrateur mange beaucoup de pizzas, boit beaucoup de coca et il a sauvé son couple. J’ai la même difficulté avec le roman américain du vingtième siècle qu’avec les gros gâteaux des pâtissiers actuels : trop d’émulsion, copieux mais fade. Remportez-moi ça et servez-moi un Carver bien serré !
PS : on pourra évidemment me reprocher ces deux textes, surtout celui de 2009, mais je crois que les écrivains ont plus besoin de lecteurs que d’éloges sans nuances.
19:01 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : paul auster, blog littéraire de christian cottet-emard, littérature, roman, poésie, essai, récit, littérature américaine, christian cottet-emard, auster, chronique d'hiver, l'invention de la solitude, disparitions, la nuit de l'oracle, invisible
Commentaires
Cet écrivain a-t-il eu connaissance de vos critiques peu amènes ?
Si c'était le cas, cela ne l'a pas empêché d'avoir une renommée internationale dans le monde littéraire et de vivre peut-être de sa plume.....
Dans le cas contraire cela s'avère également, son nom devient intemporel alors que ce que vous avez écrit à son encontre reste dans l'oubli.
Une chose est certaine le temps fait son oeuvre, la maturité et le recul nous permettent d'évoluer pour ne pas rester figé dans nos certitudes, il est de bon ton d'entendre dire :
« il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis »....
Vous avez avec votre regard d'aujourd'hui pu revenir sur vos propos, une façon peut-être de lui rendre un certain hommage à titre posthume ?
Écrit par : un lecteur intéressé | 02 mai 2024
C'est un hommage car ainsi que je le dis dans mon texte, mon opinion sur les romans de Paul Auster a simplement évolué lorsque j'ai relu certains de ses livres et que j'en ai découvert d'autres, notamment Chronique d'hiver. Mes critiques restent les mêmes, je regrette juste de les avoir formulées avec trop d'arrogance. Il ne s'agit pour moi que de donner un avis de lecteur qui ne prétend pas du tout passer à la postérité (pour quoi faire ?) et encore moins de contester le talent de Paul Auster qui déclarait ne pas lire ce qu'on écrivait sur lui. Et je partage son opinion lorsqu'il écrit dans Chronique d'hiver : « il est bénéfique pour la santé mentale d'un écrivain de ne pas savoir ce qu'on dit de lui » .
Écrit par : christian cottet-emard | 02 mai 2024
« il est bénéfique pour la santé mentale d'un écrivain de ne pas savoir ce qu'on dit de lui », voilà une position qui semble saine dans l'absolu.....
Mais je doute que cela soit vraiment possible, à moins de vivre au fond d'un troglodyte loin de toute « civilisation », tout anthropologue souligne la nécessité du besoin du groupe et des liens sociaux nécessaires dès notre apparition sur terre.
Ainsi nous sommes en permanence dans la critique ( bonne ou mauvaise ), sous le regard de l'autre proche ou anonyme, souvent cela permet l'émulation de façon positive, ou malheureusement surtout de nos jours, un lynchage social épouvantable et mortifère.
Et dans les milieux artistiques comme la littérature, le cinéma et bien d'autres personne n'y échappe....
Je n'ai pas suffisamment de connaissance pour émettre un avis sur ce qui a été possible pour cet écrivain, si il a réussit à se détacher complètement de tout cela, alors il faut lui reconnaître une sacré force de caractère et surtout une confiance en lui indéniable.
Écrit par : un lecteur intéressé | 03 mai 2024
Merci beaucoup de votre retour sur ce petit livre, c'est toujours encourageant. Pour moi, le meilleur des compliments est qu'il ait pu vous distraire un moment lors de votre hospitalisation.
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 07 mai 2024
Je viens de terminerl tome 1 de chroniques oyonnaxiennes et vous avoue avoir été enchanté sa découverte fut malheureusement ou heureusement faite dans le cadre d’une hospitalisation au chhb bien qu’oyonnaxien que depuis 1976 j’aireconnu beaucoup d’élements decrits dans votre livre et ai hâte de lire la suite
Cordialement
Écrit par : Mariani | 06 mai 2024
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