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17 août 2006

Mauvaise orientation

Chez Cécile

le carnet scolaire de Christine Angot



14 août 2006

feuilles mortes et pages décollées

Journée pluvieuse et sombre ainsi que l’approche du 15 août en réserve souvent dans le Haut-Bugey. La poésie se refuse. Cela peut arriver. Elle semble vouloir se dérober plus encore à la lecture de quelques pages trouvées au hasard de recueils récemment reçus, qu’il s’agisse d’éditions ou de manuscrits. Est-ce moi qui m’engourdis dans cette grisaille et dans cette nuit précoce ou bien ces textes se ressemblent-ils réellement tous ? Ennui, colère devant ces pages.
Depuis les années 70 du siècle dernier, la poésie dite contemporaine, dans ses avant-gardes proclamées, me fait penser à quelqu’un qui n’arrive pas à se suicider proprement. Car c’est bien de suicide qu’il s’agit, avec le seul message intelligible que les “poètes” se réclamant de cette modernité déjà rance adressent au public à travers les commentaires abscons de leurs propres oeuvres : “lecteurs, dehors !” Et ce message-là, les lecteurs, à défaut de comprendre le reste, l’ont reçu cinq sur cinq. Ils ont pris congé.
Depuis, les tentatives de suicide se succèdent sans relâche. À chaque course en direction du mur, le corps tuméfié, sanguinolent, obscène à force de mutilations volontaires, se relève pour de nouvelles imprécations, d’autres borborygmes, jusqu’à ce que nous connaissons maintenant : variétés de rap radoteur, éructations, vociférations, en somme régressions atteignant le stade excrémentiel d’un vieux corps si épuisé par les violences qu’il s’est infligé qu’il n’en restera bientôt plus qu’une flaque, pas même un cadavre.
Des noms pour illustrer ce consentement, cet abandon à l’ivresse du putride ? Mais qu’importe de citer des noms (ce qui sous-entend des individualités) alors que ces graphomanes parmi lesquels beaucoup avouent noircir des pages par pure compulsion “écrivent” tous le même “livre”.
Allons, demain il fera jour et en attendant, Brahms et son premier trio en si opus 8 et puis Jules Laforgue dans ma vieille édition de poche (des années 70 justement) avec les pages qui se décollent :

"Quand reviendra l'automne,
Cette saison si triste,
Je vais m' la passer bonne,
Au point de vue artiste."

Et ça va déjà mieux...

06 août 2006

Enola Gay

Lors de mon second séjour en Sardaigne, en 2001, dans la lumineuse ville d'Alghero, je tombai en arrêt, au cours d'une flânerie dans le centre historique, devant la vitrine d'un magasin de vêtements spécialisé dans les jeans à la mode. Si la marchandise était celle que l'on peut désormais aussi bien trouver dans un bourg du Jura que dans une ville au milieu de la Méditerranée, l'enseigne du commerce me laissa un moment incrédule : Enola Gay. Dans quel esprit suffisamment inconscient avait pu naître l'idée de donner à une boutique de mode le nom du bombardier B-29 qui largua la bombe atomique sur Hiroshima le 6 août 1945 ? Au cas où le client n'aurait pas fait le rapport, des images de l'avion accompagnaient les sinistres lettres inscrites en gros caractères sur la vitre. Enola Gay est aussi le nom de la mère du colonel Paul Tibbets qui "baptisa" ainsi son B-29 en une délicate attention, d'un goût aussi sûr que celui dont fit preuve le marchand de jeans.
Il faisait beau dans les rues d'Alghero ce jour-là, comme le 6 août 1945, et je dois dire que cette enseigne stupide suffit à assombrir un moment (dérisoire) mes pensées. Je ne pus que m'éloigner en souhaitant une faillite rapide à ce commerce et j'aime à songer aujourd'hui que mon vœu fut exaucé car durant mon dernier séjour à Alghero, ce mois de juillet 2006, je pus constater la disparition d'Enola Gay au profit d'une autre échoppe au nom plus engageant.