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30 septembre 2006

L'oreille du libraire

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François Perche vient de m'envoyer son nouveau livre de poésie, Le Troupeau au détour, publié aux éditions L'Improviste. Je suis en train de le lire et j'en parlerai. En attendant, l'occasion m'est fournie de donner de nouveau un petit coup de projecteur sur un de mes livres préférés de François Perche, L'Oreille du libraire. Ma critique de ce livre est parue dans le n°40 (2003) de la revue Le Croquant.

François Perche
L'Oreille du libraire
HB Éditions, 2003, 136 p.

Surnommé "La grande oreille" par les passants, visiteurs et clients de la librairie qu'il ouvrit en 1987 à Paris, François Perche a publié chez HB Éditions le récit, sous forme de chronique au quotidien, de ses moments de vie entre deux univers de parole rassemblés en un même lieu. Dans les murs de cette boutique qu'il trouva toute noire et qui devint bientôt toute blanche avant que les livres ne prennent place sur les étagères, cette parole dont le libraire-écrivain fait son miel circule à deux vitesses, l'une lente et distanciée, fixée sur le papier, l'autre rapide et spontanée, mouvante au gré des échanges, des bribes de dialogues et de conversations. Ainsi entouré de ces voix qui parfois se mêlent, se frottent, se télescopent pour bientôt s'inscrire dans le cahier qu'il a acheté, le libraire se trouve vite rattrapé par l'écrivain, non pas le chasseur de bons mots, de tranches de vie ou de sujets à exploiter mais au contraire une sorte de témoin, de veilleur discret dont le véritable territoire est le langage.

Dans son commerce, au double sens du terme, non seulement vendre des livres pour gagner sa vie mais encore "commercer" avec les gens c'est-à-dire les accueillir, les renseigner sur un ouvrage, les observer, les comprendre ou bien être confronté à leur énigme, François Perche se retrouve parfois au cœur d'un tourbillon de sens et on le sent proche du vertige que ne peut manquer de saisir celui qui refuse de rester sourd à la voix humaine pour se protéger. Derrière ce titre aux accents surréalistes, "L'oreille du libraire", le récit de François Perche est un livre d'amitié, de bienveillance et d'indulgence. Les gens qui passent le seuil de la librairie par hasard ou qui la fréquentent régulièrement, les clients bien sûr mais aussi celles et ceux qui s'y allègent un peu d'une souffrance, d'une solitude, d'un deuil voire d'un fardeau de silence ne sont jamais jugés mais regardés. Souvent ombres d'eux-mêmes, ils retrouvent un peu de contour et d'épaisseur lors d'un salut, d'un bref dialogue ou même lors d'une simple remarque drôle ou terrible qui tombe parfois de leur bouche comme un implacable constat.

Dans ce que François Perche nomme "une commune vibration d'humanité", le tragique ne prend pas toute la place et le quotidien du libraire se teinte d'un humour pince-sans-rire que le lecteur retrouve dans des anecdotes et des portraits toujours empreints de cette sympathie au sens étymologique du terme avec laquelle l'auteur aborde la relation humaine : à une stagiaire qui se coule des journées durant dans le divan, il lance ce compliment sincère : "le canapé vous va bien." Après avoir accepté de garder un chat jusqu'au soir mais que sa propriétaire ne vient chercher qu'au bout de trois jours, il note : "c'est vraiment une expérience intéressante que celle d'un libraire qui a un chat qui veut sortir chaque fois qu'un client ouvre la porte."

Mais c'est par le croquis de la silhouette furtive d'un prix Nobel de littérature qui finit par fréquenter la librairie dans un silence assourdissant que se résume l'ironie chaleureuse de François Perche. Le récit de sa non-rencontre avec Samuel Beckett qualifié par le balayeur malien du quartier de "grand marabout connu du monde entier" et, de surcroît, "très gentil avec tous les balayeurs" est à cet égard le plus bel hommage miniature rendu à l'univers absurde rageusement décliné par le grand Sam.

Que cet épisode proprement beckettien rapporté dans les premières pages de L'oreille du libraire ne conduise pas le lecteur à penser que le lieu d'où François Perche capte "la vibration d'humanité" se limite à la librairie et à son petit univers de papier. En effet, au fil d'une narration qui porte en toute simplicité le lecteur au coeur de la complexité humaine, ce qui constitue la marque des vrais écrivains, François Perche ouvre brusquement des fenêtres insoupçonnées dans les murs tapissés de livres de son échoppe. Le grand courant d'air des voyages chéris par l'auteur s'y engouffre alors (Venise, Florence, Rome, le Mexique...) et la géographie intime du libraire-écrivain-poète s'imprime et se dessine dans un livre toujours recommencé, son oeuvre en somme, riche d'une bonne vingtaine de titres pour lesquels il faut espérer la meilleure des publicités : le bouche à oreille... Du libraire bien entendu.



 


 

28 septembre 2006

Poésie rétive

Je ne sais plus qui a dit : "la seule volonté d'écrire un poème tue le poème". C'est pour cela que je reviens toujours à la poésie. La poésie est rétive. Vous ne la conduisez pas, elle vous conduit. Elle résiste à toute volonté, à tout projet, à toute stratégie, à tout commerce, à tout succès, à tout échec. Avoir écrit un poème (non pas parce que vous en avez décidé ainsi mais parce qu'il en a été ainsi) avec le sentiment de s'être approché de ce que vous vouliez dire, est une merveilleuse aventure, une des dernières possibles. Peu importe qu'il ne soit pas reconnu comme poésie par quelqu'un d'autre. Que le poème soit estimé, méprisé ou dédaigné, que quelqu'un aime ou n'aime pas votre poème n'a aucune importance. Une époque le jugera mauvais, une autre bon. Qu'importe, vous ne serez plus là pour vous préoccuper de ce qu'est devenu votre poème, de sa fortune ou de son infortune. Il aura roulé comme un caillou dans la rivière et fera de toute façon désormais partie de ce que l'absurde et grand mécano de l'univers aura construit.

27 septembre 2006

Vertige et merveille

Une fois encore, je relis "Bureau de Tabac". Puis, "Au volant de la Chevrolet". Dans l'oeuvre de Fernando Pessoa, ce sont les poésies d'Alvaro de Campos qui me parlent le plus. Pour me rafraîchir la mémoire à propos de l'hétéronyme Alvaro de Campos, j'ouvre "Une malle pleine de gens" d'Antonio Tabucchi, à la page 66 de l'édition 10/18 : "Campos avait en vérité une âme de vagabond, retenue captive dans la peau d'un bourgeois rêveur."
Vertige et merveille de la littérature qui me fait consulter des notices biographiques imaginaires dans lesquelles je reconnais certains aspects de ma situation !