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12 septembre 2006

Retour au Moloch

Comme tout parent d’élève, me voici contraint de hanter de nouveau le lycée lors de cette détestable rentrée. Malaise. Remontée de mes vieilles phobies scolaires endurées de la maternelle à la terminale. Confrontation avec le Moloch.
Ceux qui affirment que rien n’a vraiment changé en trente ans sont de mauvaises langues. La preuve, ils savent bien qu’on ne dit plus aujourd’hui Surveillant général mais Conseiller principal d’éducation, qu’on ne dit plus Censeur mais Proviseur adjoint.
On dit toujours Proviseur. Celui qui me convoquait dans son bureau à la fin des années 70 portait un nom idéal pour prétendre au titre de mascotte de la cuivrerie du pittoresque village de Cerdon. Dieu ait son âme, si la nouvelle police des mots (celle qui s’active en ce moment contre certains dictionnaires) veut bien m’autoriser cette expression à connotation indéniablement religieuse.
À 46 ans, je ne suis plus convoqué mais reçu. Il n’empêche, quelle joie, l’entrevue terminée, de pouvoir sortir prendre un bon bol d’air !

PS : La première personne qui devinera le nom de mon Proviseur de la fin des années 70 (un indice a été placé dans le texte de cette note) recevra un exemplaire de mon dernier livre, intitulé Le Club des pantouflards. Mes anciens camarades de classe (de toutes les classes, de la maternelle à la terminale) ne sont pas admis à participer à ce jeu. Il n’y aura aucun passe-droit.

08 septembre 2006

Poésie odorante

Quand j’y repense, mon entrée dans le club des lecteurs réguliers de poésie contemporaine a finalement coïncidé avec la souscription de mon premier abonnement au Dé bleu, à l’aube des années 80. (Le Dé bleu s’appelle aujourd’hui L’idée bleue, dirigé par le poète Louis Dubost, auteur de la fameuse Lettre d’un éditeur de poésie à un poète en quête d’éditeur, éditions Ginkgo. Je présente en principe ce livre dans la prochaine livraison de la revue La Presse littéraire (n°7).
En vingt-six ans de lectures poétiques, de revues en recueils, de micro-éditeurs en prestigieuses enseignes, j’ai suivi mon chemin dans la forêt de mots, affiné mes choix, affirmé mes goûts et dégoûts. J’ai choisi, élu, critiqué, rejeté. J’ai rompu, j’ai renoué. Parallèlement, j’ai écrit et publié... De la poésie ? Il appartient à mes lecteurs d’en décider. La lecture des poètes du Dé bleu et de quelques autres maisons d’édition m’y aura aidé, sans que je les accable pour autant de manuscrits.
Ma découverte des éditions du Dé bleu fut d’abord olfactive. Une bonne odeur de ronéo, la même que celle des tracts syndicaux, s’exhalait de l’enveloppe décachetée de mon premier abonnement, où ne demandaient qu’à s’ouvrir, telles des corolles, les couvertures colorées des opuscules aux formats oblongs et carrés, ces derniers constituant la collection “Herbes folles” ! J’aime l’odeur de l’encre et j’ai toujours eu la manie de renifler l’intérieur des livres neufs. Pas les anciens, à cause des acariens. Les nouveautés du Dé bleu, qu’est-ce qu’elles sentaient bon le duplicateur ! Quant aux acariens qui auraient pu s’aventurer entre les pages des minces recueils, ils étaient sûrs de trépasser complètement sonnés par ces senteurs chimiques !
Blague à part, Louis Dubost publie de la poésie depuis une trentaine d’années. C’est en 1979 qu’un des auteurs du Dé bleu, Jean-Louis Jacquier-Roux, qui signa en 1981 à cette enseigne son recueil “Voir les anciens jouets de nos misères”, me présenta ce catalogue entièrement dévoué à la poésie en train de s’écrire. L’abonnement constitué de plusieurs séries de plaquettes agrafées était proposé à un prix modique, ce qui me permettait, avec mon budget d’étudiant, de continuer à pouvoir faire le plein de mon Ami 6 sans pour autant renoncer à lire de nombreux auteurs peu connus du grand public. Parmi eux, certains on fait leur chemin dans l’édition.
Pendant plusieurs années, à l’arrivée des nouveautés de la saison, j’ai guetté le passage du facteur qui pestait contre cette enveloppe ventrue mal digérée par la boîte aux lettres et qui contenait les opuscules parfumés, avec leur frappe stencil sur papier à “polycop”. Le rêve de publier au Dé bleu m’effleurait souvent mais je n’avais rien écrit !
Avec les années, les plaquettes ronéotypées laissèrent la place à des livres brochés de belle facture aux couvertures blanches souvent rehaussées d’illustrations en couleur. Je ne voyais rien à redire à cet embourgeoisement malgré une indéniable nostalgie des odorantes polycopies. Ma bibliothèque, que j’expurge régulièrement, aligne encore une trentaine de ces recueils. Par la suite, je me suis éloigné du style de poésie publié au Dé bleu, notamment de certaines formes d’écritures du quotidien dans lesquelles quelques poètes me semblaient ronronner. Ces auteurs revenant souvent dans les nouveautés, j’ai décroché, c’est-à-dire que je n’ai pas renouvelé mon abonnement mais cela ne signifie pas que j’ai cessé d’acheter les livres du Dé bleu. Je grappillais certains titres en librairie. Lorsque des revues m’accueillirent dans leurs comités de rédaction, je reçus même des ouvrages de la maison à “chroniquer”.
En 1996, Louis Dubost me fit une jolie surprise. Je reçus par la poste une mini-anthologie intitulée “Fine pluie mouche l’escargot” publiée dans sa collection jeunesse Le Farfadet bleu où je découvris l’extrait d’un de mes poèmes que l’éditeur avait trouvé dans une autre anthologie. “Extrait” est le mot juste. La preuve ? Attention, ça va très vite : “L’escargot dans la pluie a vidé sa coquille”. Depuis cette anthologie de l’escargot, je n’ai pas publié plus bref mais tout poète qui se respecte vous le dira, un vers publié chez Louis Dubost vaut mieux qu’un volume d’oeuvres complètes aux éditions Barbapapus (Barbapapus : éditeur à compte d’auteur abusif pour ceux qui prennent ce blog en cours).
L’édition de poésie est un jardin subtil, fragile, un seuil ombragé où l’on trinque d’un petit vin. Mon mode de vie isolé dans des contrées où la lecture est de plus en plus considérée comme une bizarrerie ne permet guère cette sociabilité pour ne pas dire, toutes proportions gardées, ces mondanités qui peuvent aboutir à la publication d’une brassée de poèmes ou d’une oeuvre en construction. À quelques exceptions près (publications en revues ou en recueils confidentiels), mes poèmes dorment dans mes archives et le sort a voulu que ce soit ma prose qui franchisse le mur des comités de lecture.

04 septembre 2006

Poésie privée

(À la suite de Poésie suspecte, catégorie "Carnet" du 20 août 2006)

On dit aujourd’hui que la poésie connaît une crise majeure. Un mur de lamentation tient lieu d’analyse du phénomène. On dit que tout le monde en écrit, que personne n’en lit, que les éditeurs la fuient et que ceux qui persistent à en publier font faillite ou ne tiennent qu’en recourant aux subventions et aux tirages confidentiels rendus possibles par l’impression numérique. On dit que pour le profane, un poète est un rimailleur du dimanche aussi ridicule que le mot, en vérité fort laid, qui le désigne. À l’opposé, ont dit que les poètes sont distants, lointains, qu’ils écrivent des livres dont on ne comprend pas le sens, que leurs vers sont hermétiques. On dit que la poésie est une langue étrangère. J’hésite pour ma part à risquer une explication de cette crise que traverserait la poésie. Sans doute la poésie est-elle toujours en crise et c’est peut-être bien ainsi.
Ce que j’observe relève plutôt d’un retour de la poésie vers le privé, après, quoiqu’on dise, une très grande diffusion dans le public grâce au progrès technique. Tous ces livres de poésie qui sont brutalement sortis du secret des bibliothèques aristocratiques pour se divulguer, littéralement se diffuser dans les librairies géantes sous forme d’éditions courantes et bon marché auraient-ils souffert d’une surexposition, d’une surexploitation commerciale en direction de foules de consommateurs de moins en moins initiés au rythme et aux exigences de la lecture poétique qui est déjà en elle-même pratique de la poésie ? La poésie est-elle comme ces fresques anciennes et souterraines que la brutale mise au jour fait pâlir et finit par effacer ? Que de questions qui me semblent avoir au moins le mérite d’ouvrir beaucoup plus la réflexion que des affirmations doctes et tapageuses.
Si j’essaie d’observer avec le peu de recul dont je suis capable ma pratique de la poésie, pratique qui comprend 90% de lecture et 10% d’écriture, je crois voir se profiler ce retour au privé dont je parlais précédemment. Je suis de moins en moins tenté de soumettre un cycle de poèmes aux éditeurs de poésie même si publier à certaines enseignes me serait évidemment agréable. Quant à la satisfaction très compréhensible de voir enfin exister le ou les poèmes en un livre imprimé, je n’ai pas besoin de déranger un éditeur pour y accéder car les récents et fulgurants progrès dans l’art d’imprimer à tirage restreint la rendent immédiatement possible et pour le plus modique des coûts. En raison des tirages restreints et de la faible diffusion de la poésie, un poète peut aujourd’hui raisonnablement se poser la question de savoir si un éditeur de poésie est capable de lui assurer un lectorat plus nombreux que celui qu’il pourrait toucher en s’éditant lui-même, toute considération de prestige et d’image de marque liée à une enseigne évidemment mise à part. Lorsque je me pose cette question qui ne concerne bien sûr que ma production poétique, je dois reconnaître que ma motivation à publier chez un petit éditeur de poésie, même prestigieux, s’émousse. En revanche, la possibilité de réserver dans une édition de ma fabrication quelques exemplaires numérotés d’un livre de poèmes à un cercle restreint de lecteurs amicaux, qu’ils soient lecteurs avertis de poésie ou collectionneurs d’ouvrages rares, ne m’apparaît plus comme une perspective à négliger.
Henri Michaux, qui refusa de paraître en édition de poche de son vivant, ne disait-il pas, en substance, préférer quelques centaines de lecteurs attentifs à quelques milliers de lecteurs distraits ?
Mais ce qu’on appelle la crise supposée de la poésie, n’est-ce pas la difficulté à définir ce qui peut, dans la production contemporaine, être qualifié de poésie ? Tout jugement de valeur mis à part, peut-on continuer à nommer poésie la grande diversité de ce qui paraît aujourd’hui sous cette appellation ? Je lis et je produis moi-même certains textes qu’il me paraît problématique de qualifier de poésie. Ceci est délibéré et pour moi lié à une défiance croissante envers le vers français avec sa besogneuse comptabilité de syllabes. Même à travers des traductions de qualités inévitablement variables - et peut-être bien à cause de ces traductions - je peux mesurer ce que la poésie écrite dans des langues dans lesquelles le vers se construit sur l’accentuation peut offrir de souplesse, de fluidité et de musicalité, par opposition au vers français qui contraint souvent à des choix entre métrique régulière et musicalité. Est-ce dans la métrique du vers français qu’il faut chercher l’origine de la prédominance de la forme sur le fond dans une grande partie de la production poétique de ces dernières années ?

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