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05 septembre 2023

Carnet / Une étrange rentrée des classes

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J’étais au lycée le jour de ma plus étrange rentrée des classes. La situation n’était pas à mon avantage ainsi qu’il en fut durant toute ma scolarité. J’étais redoublant en première après l’avoir été en seconde et je me retrouvais donc une fois de plus dans un de ces locaux préfabriqués chauffés au poêle à mazout qui ont si longtemps servi de salle de classe dans les années soixante-dix. 

Le professeur principal, une ravissante jeune femme élégamment parfumée, venait de terminer l’appel. Mon tour ne vint pas car la liste des élèves de mentionnait pas mon nom. La jeune femme me demanda de quitter la classe au motif qu’elle ne pouvait accepter dans son cours un élève non inscrit. 

Une fois dehors, j’enfourchai mon cyclomoteur Honda Amigo et décidai de profiter de cette lumineuse et blonde matinée pour me balader dans la campagne. Dans les rues qui menaient aux premiers chemins forestiers en haut d’Oyonnax, le ronronnement du moteur et l’air doux dans mes cheveux (le casque n’était pas obligatoire à cette époque) m’emplirent tout d’abord d’une intense sensation de liberté comme on en éprouve à l’âge de quinze ou seize ans. Les roues du cyclomoteur sur le sentier caillouteux transmettaient leurs vibrations au guidon. 

Après avoir longé une vaste clairière, il restait une centaine de mètres avant d’arriver en haut d’un grand pré qui descendait en pente douce jusqu’au cimetière. Je décidai de marcher un moment dans les herbes sèches sous le ciel à peine troublé de quelques nuages effilochés. Pendant les vacances, j’avais déniché un enregistrement du concerto pour clarinette de Paul Hindemith et c’était précisément cette œuvre que j’avais dans la tête lors de mon escapade inattendue, une musique un peu insolite et mélancolique. Ma sensation de liberté se mua alors en un sentiment mitigé. Je me sentais à la fois joyeux et un peu oppressé, comme si j’étais saisi d’un léger vertige. L’idée ne m’était jamais venue que je puisse quitter si soudainement le lycée où je végétais. Qu’allais-je devenir maintenant ?

À l’heure du déjeuner, mon père me demanda si ma rentrée s’était bien passée. Avant même que je finisse mon récit, il bondit de sa chaise et se précipita en moins de deux au lycée. Lorsqu’il revint, il était encore rouge de colère. Il m’informa que j’étais de nouveau inscrit et qu’il était pour moi l’heure de retourner en cours. Il avait dû faire pas mal de vent dans les bureaux du bahut ! Le malentendu avait pour origine mon dernier bulletin scolaire sur lequel la mention « vie active conseillée » n’indiquait pas clairement mon absence de réinscription pour la nouvelle rentrée. À cette époque, cette mention « vie active » entérinait l’échec définitif et humiliant d’une scolarité.

Dans cette affaire, tout le monde avait raison, sauf moi. La jeune enseignante parfumée n’avait pas à accueillir dans sa classe un élève mon inscrit. Le conseil de classe estimait à juste titre que je végétais au lycée. Mon père savait que je n’avais pas encore la maturité nécessaire pour quitter brutalement le système scolaire et tenter de m’intégrer sans diplôme à cette « vie active » déjà soumise aux premiers assauts du chômage de masse. Quant à moi, j’errais dans l’autre dimension d’une adolescence élastique en proie à de vaines rêveries qui m’empêchaient de m’évaluer moi-même et de prendre les décisions qui s’imposaient. 

Lorsque j’y parvins enfin, j’avais commencé mon année de terminale. Un jour de fin d’automne, entre deux cours séparés d’une heure libre, je fumais une Gitane sans filtre sur un banc du parc René Nicod en lisant des poèmes de Jules Laforgue. C’est à ce moment exact que je décidai de m’exclure moi-même du lycée. Il était temps !

(Extrait du tome 2, à paraître, de mes Chroniques oyonnaxiennes). 

05 mai 2018

Mauvais esprits, nous m’dame ?

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Autour du lycée, les préfas poussent comme des verrues sur un visage obèse qui peut tout aussi bien être celui du proviseur. Convoqué dans le bureau de cet homme sans cou ni taille, en raison de mon absence permanente au cours de gymnastique, j’ai failli m’asseoir sur son chapeau déposé là par quelque haineux subalterne.

Vraiment fort le proviseur : Voltaire dans un sermon, il fallait oser. Le chapeau sur la chaise, à côté, c’est l’harmonie, la logique, l’équilibre... La grâce ? Tout de même, n’exagérons rien.

La grâce, c’est plutôt le rayon de la prof de français, joli brin de fille épanoui entre les lézardes des préfas aux quatre vents mutins des affectations. Une fleur de décombres en quelque sorte, une belle plante rudérale... Dans la bouche du proviseur, Voltaire cité en rafales automatiques siffle mépris et reproches et sent l’aigre des digestions approximatives. Entre les lèvres de la prof de français, Voltaire gazouille tel l’oiseau de la pluie dans l’effluve d’un Chanel au numéro inférieur ou égal à ma moyenne en maths.

Cette appétissante oiselle a ses pudeurs. Elle nous fait travailler Voltaire dans une édition de classiques à deux sous vierge de tout épisode égrillard, notamment expurgée d’une bonne partie du chapitre seizième de Candide. Voltaire y prend plaisir à relater les clameurs qui partaient de deux filles toutes nues qui couraient légèrement au bord de la prairie, tandis que deux singes les suivaient en leur mordant les fesses.

Nous sommes deux dans la classe à posséder les romans et les contes de Voltaire dans une édition de poche récente qui donne le texte intégral, selon la formule consacrée, ce qui nous conduit à demander l’autorisation de lire le passage manquant où Candide prend son fusil espagnol à deux coups, tire et tue les deux singes. Dieu soit loué, mon cher Cacambo ! J’ai délivré d’un grand péril ces deux pauvres créatures : si j’ai commis un péché en tuant un inquisiteur et un jésuite, je l’ai bien réparé en sauvant la vie à deux filles...

À la vue du rictus qui commence à tortiller le minois de la petite prof, nous comprenons que cette adepte de Voltaire allégé regrette aussitôt de nous avoir donné la parole. Pourtant, le plus dur est à venir. Candide continue de se féliciter de sa bonne action mais sa langue devint percluse quand il vit ces deux filles fondre en larmes sur leurs corps, et remplir l’air des cris les plus douloureux. Je ne m’attendais pas à tant de bonté d’âme dit-il enfin à Cacambo ; lequel lui répliqua : vous avez fait là un beau chef-d’œuvre, mon maître ; vous avez tué les deux amants de ces demoiselles.

Cette fois, le rictus libère une sorte de coassement. Le visage de notre juvénile enseignante vient de prendre quinze ans en deux secondes, et tout cela à cause de nous, adolescents vulgaires travaillés par nos hormones.

— Excusez-nous m’dame. Pour nous faire pardonner, on va vous lire un autre passage extrait de Micromegas et qui manque aussi à votre édition : son Excellence se coucha de tout son long car s’il se fût tenu debout, sa tête eût été trop haut au-dessus des nuages. Nos philosophes lui plantèrent un grand arbre dans un endroit que le docteur Swift nommerait, mais que je me garderai bien d’appeler par son nom, à cause de mon respect pour les dames...

— Mauvais esprits, nous m’dame ? Eh ben, si on peut même plus participer...

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Illustrations : détail de la statue de Voltaire installée à Oyonnax et 4ème de couverture de la revue Le Croquant n°16

 

 

19 septembre 2017

Carnet / Au temps des préfabriqués

Au hasard des journées du patrimoine, je me suis retrouvé ce dimanche en fin d’après-midi devant le lycée où j’ai péniblement végété à la fin des années soixante-dix. J’ai préféré attendre dehors sous mon parapluie les personnes que j’accompagnais. Aucune nostalgie.

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Les professeurs de cette époque étaient souvent très politisés et ceci dès le collège. Je me souviens d’une jeune prof d’espagnol au collège Saint-Joseph de ma ville qui nous parlait en classe de quatrième du Christ révolutionnaire (!), ce qui m’avait inspiré une totale indifférence à l’inverse de mon père et de mon grand-père qui avaient quant à eux très modérément apprécié.

Du collège privé au lycée public, l’engagement politique à gauche et à l’extrême gauche était à la mode chez les enseignants. Bon nombre d’entre eux étaient marxistes et tentaient sans grand succès de saupoudrer leur enseignement d’un peu d’idéologie. J’avais des rapports tendus avec beaucoup d’entre eux. Mon échec scolaire dont j’étais seul responsable les renvoyait à ce qu’ils croyaient à tort être leur échec, ce qui les rendait parfois amers et condescendants et ce qui me poussait d’autant plus à rejeter le modèle qu’ils proposaient bien sûr en toute bonne foi.

J’avais été sévèrement sermonné par quelques profs d’extrême gauche qui connaissaient ma décision de ne pas faire mon service militaire, non par antimilitarisme ou par objection de conscience mais par simple convenance personnelle liée à mon incapacité à supporter toute vie en collectivité. Ces révolutionnaires d'opérette m’encourageaient à profiter de la conscription pour apprendre à manier les armes en prévision du Grand Soir. Il va sans dire que je n’ai tenu aucun compte de leurs arguments, que je n’ai jamais cru au Grand soir et que j’ai été réformé. 

Qu’aurait été ma vie si je m’étais laissé influencer par leurs fadaises politiques, y compris celles, plus modérées, des cathos de gauche ? Oh, le risque était faible car à la fin de l’adolescence, j’avais l’esprit beaucoup plus réactionnaire et petit bourgeois que maintenant, ce qui est plus souvent qu’on ne le croit le cas chez les jeunes. Aujourd’hui j’ai gardé intact l’individualisme qui horripilait mes profs mais je suis désormais plus conservateur que réactionnaire.

J’en ai longtemps voulu à cette frange d’enseignants plus ou moins militants qui me reprochaient d’afficher mon indifférence politique, mon allergie à toute forme de bénévolat et d’engagement collectif jusqu’au jour où j’ai compris qu’ils évoluaient comme il pouvaient dans un système dont ils étaient eux aussi les victimes. Il ne leur restait peut-être rien d’autre que leurs illusions malmenées et leurs crispations idéologiques pour trouver encore un peu de sens à leur vie professionnelle. Ni eux ni leurs élèves ne pouvaient savoir, un quart de siècle avant, qu’ils étaient déjà sous la menace de la vulgarité régressive et oppressive du nouveau millénaire.

À part un ou deux psychopathes, en sport évidemment, discipline dont je me suis de toute façon moi-même dispensé avant même mon entrée au lycée, la majorité des enseignants qui se sont succédé dans ma scolarité faisaient ce qu’ils pouvaient pour exercer au mieux leur métier pas toujours facile.

En cette pluvieuse journée du patrimoine, devant ce bahut ouvert pour l’occasion, j’ai pensé à ce que je ne devais pas à cet établissement et que seule ma famille m’a offert : du confort et du temps. (J’aime la famille car c’est la seule organisation sociale qui peut à la fois ouvrir l’individu au groupe et, le cas échéant, l’en protéger. La plupart des sociétés qui ne sont pas structurées en cellules familiales sont proches de la fourmilière.)

Ce dimanche devant les hauts murs ternes, j’ai senti les petites rancunes qui me restaient s’écouler prestement comme la pluie dans le caniveau, à l’image de tout ce qui a si peu de sens et d’importance mais à quoi tant d’heures neuves et fraîches ont été perdues.

Photo : souvenir de l'époque des préfabriqués.