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04 septembre 2005

Tu écris toujours ? (26)

“L’enfance du piéton
patiente
dans le grand âge de l’arbre”
ai-je écrit juste après quelques pas sous l’un des plus anciens et des plus hauts feuillages du parc. J’arpente ce jardin public depuis que je sais marcher.
À l’évidence, ces grands arbres me parlent ou quelque chose ou quelqu’un me parle à travers eux. “L’enfant resté au bord de la route” de Jean Tardieu ? Ma propre voix que je comprends si mal ? Pourquoi ne suis-je pas parti ? (puisque toujours résonne en moi le sec constat de René Char, “Écrire : s’exclure”. Je les soupçonne, ces arbres, d’être pour quelque chose dans mon enracinement. Ce sont eux les arbres et c’est moi qui ai les racines. Pour moi, ils sont éternels puisqu’ils étaient là avant moi et que leur longévité est bien supérieure à la mienne, même si je vis jusqu’à cent ans, même si certains d’entre eux ne sont pas à l’abri d’un accident (sécheresse, tempête, foudre...), d’une attaque (bûcheron, “paysagiste”...), ou d’une maladie (champignon, insecte xylophage...) qui pourrait venir contrarier leur destin. Lorsque certains d’entre eux disparaissent d’une rue ou d’une place où j’aime faire un détour, j’ai l’impression que la rue et la place s’évanouissent ou tout au moins qu’elles existent moins, que le paysage a été gommé par la main brouillonne de quelqu’un qui n’arrivera pas à le redessiner. Bien sûr, on est parfois obligé, surtout en ville, de remplacer certains arbres trop vieux et malades par d’autres qui joueront à leur tour leur rôle de témoin d’éternité pour celles et ceux qui attachent de l’importance à ces choses-là mais on ne m’ôtera pas de l’idée qu’une vie réussie est celle qui s’est épanouie du début à la fin sous les mêmes arbres. Je crois avoir eu cette chance jusqu’à maintenant et je touche du bois (!) pour que cela continue.
Il n’est guère de jours où je ne passe sous les vieux platanes noueux qui me voyaient marcher tout gosse le nez en l’air entre l’église Saint-Léger et l’école Jeanne d’Arc, peu de semaines sans une visite aux quatre sapins pectinés de quarante mètres de haut que les siècles ont légué à mes promenades en forêt (même si, du plus colossal du groupe, âgé de 225 ans, avec près de 4 mètres de tour, ne reste que la souche après ce funeste soir de la tempête du 27 décembre 1999), peu de temps, en somme, sans les marronniers des parcs et jardins qui, l’automne, me fournissaient en munitions lorsque dégénéraient les cavalcades et bagarres de sorties de classe.
Je trouve tout le reste futile. Je mesure le luxe extraordinaire qui m’est donné de pouvoir dire cela et j’en remercie je ne sais qui car je n’ai malheureusement pas la Foi mais je remercie quand même car je n’aime pas l’ingratitude.
Voilà peut-être pourquoi je ne suis pas parti, pourtant très tôt conscient que mes projets littéraires, conçus dans l’enfance, ne trouveraient pas d’humus plus pauvre, de sol plus aride et de cieux plus indifférents que ceux de ma terne bourgade recroquevillée dans sa nostalgie mortifère de gloires artisanales puis industrielles fugaces au beau milieu d’une immensité de splendeur végétale.
“Écrire : s’exclure” ou plutôt écrire : partir, ce à quoi, m’étant pourtant exclu sans regret, je n’ai pu me résoudre, sans doute pour quelques grands arbres...

(À suivre)

31 août 2005

Tu écris toujours ? (25)

Nous autres, auteurs, petits ou grands, bons ou mauvais, stylés ou non, ignares ou cultivés, prestigieux ou minables, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, “à compte d’auteur ou à compte d’éditeur”, gauche-caviar ou droite-tête de veau, le pire du ridicule nous guette tous : l’esprit de sérieux.
Notre espérance de vie, nous en connaissons la moyenne, d’où nous venons et où nous allons, nous nous en doutons.
Que le soleil enflera comme une baudruche pour digérer la Terre dans une soupe rouge et que l'un des derniers organismes vivants encore capables de boire les ultimes gouttes de rosée avant la fin finale sera l’antédiluvien et modeste nostoc (appelé aussi "crachat de la lune" ou "crachat du diable"), les savants nous l’ont dit.
Alors, (désolé) mais nos petits bouquins...

P.S : pour en savoir plus sur le nostoc et autres curiosités, un livre de Pierre Gascar, Le Règne végétal (éditions Gallimard).

(À suivre)

30 août 2005

Tu écris toujours ? (24)

S'éditer soi-même, on le sait, peut réserver de mauvaises surprises dès la réception des livres commandés à l’imprimeur.
Lorsque je voulus tenter l’expérience, voici une bonne vingtaine d’année, cela me fit tout drôle de voir rappliquer dans ma cour un camion, lequel, au terme d’une manoeuvre délicate suivie d’un éternuement de frein, expulsa de sa cabine un costaud bougon brandissant un bon de livraison : “j’ai une palette au nom de Cottet-Emard, ouais, des bouquins.” Et le transporteur de s’esclaffer : “ben vous, quand vous lisez, vous faites pas semblant ! On la met où, la palette ? Là ? Dehors ou dans le garage ?”
J’ai signé le bon et j’ai dit que j’allais me débrouiller avec les cartons. Le costaud et son camion se sont évaporés dans un nuage de gaz. J’ai regardé la palette et j’ai compris que l’arrivée de 1500 exemplaires d’un livre qui débaroulent à domicile à l’heure du petit déjeuner pouvait susciter une saine remise en question de certaines vues de l’esprit.
J’ai eu de la chance, la palette était bien cerclée. Il faut qu’une palette soit bien cerclée, sinon, elle penche et elle peut tomber. Si l’on est à proximité, cela peut être dangereux. C’est à l’usine, où j’ai travaillé deux mois dans ma vie au grade de stagiaire-étudiant (aussi bizarre que devin-plombier) pour me faire un peu d’argent de poche, que j’ai appris qu’il fallait qu’une palette fût bien cerclée pour ne pas mettre en péril l’intégrité physique de tous les intermédiaires qui ont la lourde responsabilité de la manipuler. Et cela fait du monde. Les palettes, on ne m’a pas longtemps confié le soin de les empiler et encore moins de les cercler. À côté de celles des autres ouvriers, les miennes, elles avaient des airs de tour de Pise et si le monument n’a pas encore rompu avec son centre de gravité, on ne peut pas en dire autant de mes palettes. Mais bon, tout ça, c’est du passé et personne n’est mort.
Une palette d’un livre qu’on a écrit n’est pas une vision plaisante. Ah, si les blogs avaient existé au début des années 80 !

(À suivre)