09 novembre 2005
Tu écris toujours ? (32)
Par distraction ou précipitation, disons par une coupable négligence, il m’est arrivé d’envoyer deux ou trois textes à l’aveuglette, à des revues dont j’avais entendu parler mais que, dans le meilleur des cas, j’avais à peine feuilletées. Le résultat fut contrasté : une engueulade téléphonique dont la longueur satura la cassette de mon répondeur de la part d’un rédacteur en chef en proie au besoin de se défouler, un silence pas même évocateur de quelques autres et, plusieurs années après, ô surprise, une publication dans la belle revue Le Jardin d’Essai. Ces incidents m’incitèrent à plus de discernement, ce qui me fut assez facile en raison de ma faible motivation à publier en revue. Il m’arriva aussi de bénéficier d’autres publications ponctuelles plus gratifiantes mais, je dois l’avouer, sans lendemain. En revanche, mes collaborations plus régulières donnèrent lieu à d’autres échanges.
Tout commença fin 1979 ou début 1980, lorsqu’un bibliothécaire-écrivain nommé Jean-Louis Jacquier-Roux me fit lire une petite revue de poésie au format oblong imprimée en linotypie, Verso (1). Il me conseilla d’envoyer mes Élégies dont quelques extraits furent acceptés par le comité de lecture. Ce fut ma première vraie publication littéraire qui fut suivie de peu par l’accueil chaleureux de proses et de poèmes par Bernard Deson dans sa revue “Germes de barbarie”. Depuis cette époque, Verso et moi jouons à cache-cache. Je m’abonne, j’oublie de me réabonner pendant des années, je m’abonne à nouveau et ainsi de suite. Que je sois abonné ou non, Verso me consacre de temps en temps une note de lecture, un signalement, lorsque je publie de la poésie. Mais chose étrange, depuis cette toute première publication voici vingt-six ans, je n’ai jamais adressé d’autres textes au comité de lecture de Verso. Je tiens à préciser que Verso existe toujours. Quant à Jean-Louis Jacquier-Roux, devenu un ami fidèle, j’ai eu le plaisir de publier son recueil “En Italie” dans la petite collection des éditions Orage-Lagune-Express.
Après mes débuts à Verso, je réussis un exploit à mettre au crédit de l’inconscience du jeune journaliste encarté de vingt-trois ans que je fus dans une autre vie : publier dans un quotidien régional une trentaine de “proses poétiques” (rassemblées plus tard dans mon livre “L’Inventaire des fétiches”). “On n’est pas Les Nouvelles littéraires !” avait grogné un secrétaire de rédaction. Mais le directeur départemental, Claude Garbit, un journaliste de la vieille école, une pointure comme on dit, m’avait soutenu. Peu de temps après, le journal changea de propriétaire et les gaillards de la trempe de Claude Garbit mirent vite les voiles en se bouchant le nez, remplacés par d’autres qui rêvaient de faire un journal sans journalistes. Alors, la littérature là-dedans, vous pensez bien...
Rescapé très provisoires des “purges” et “dégraissages” que connut ensuite le journal, je fus un jour “désigné comme volontaire” pour rencontrer un universitaire qui créait une revue de littérature et de sciences humaines à Meillonnas dans l’Ain. C’est ainsi que je fis la connaissance de Michel Cornaton qui venait d’acheter au cinéaste Louis Malle la maison habitée par Roger Vailland dans ce village du Revermont. Avec des hauts et des bas, avec mon nom qui voyageait du comité de lecture au comité de rédaction selon le degré de grâce ou de disgrâce que je pouvais connaître auprès des responsables actifs, souvent aussi au gré de mes propres humeurs bonnes ou mauvaises se traduisant parfois par de conséquentes interruptions, ma collaboration avec Le Croquant (2), nom dont s’affubla la revue malgré le conseil du romancier Bernard Clavel d’en changer, s’étendit sur une quinzaine d’année. Dès la création du Croquant, le débat sur la place que devait y tenir la littérature s’instaura en termes parfois vifs. Certains, l’estimant insuffisante, claquèrent la porte dès les premiers numéros. D’autres partirent peu à peu sur la pointe des pieds. Quant à moi, ne m’étant pas manifesté auprès du comité de lecture depuis l’année 2003, j’attends de voir.
Prêt à finir le vingtième siècle un peu en retrait de l’effervescence des revues, un peu en retrait de tout, pourrais-je même dire, j’eus le privilège de rencontrer Emmanuelle et Roland Fuentès (3) qui, avec Gilles Bailly, portent à bout de bras la revue Salmigondis (4). Je venais d’écrire sans grand espoir de le publier une sorte de roman en cent fragments intitulé Le Grand variable. D’habitude peu enclin à faire lire un manuscrit à des amis, j’abandonnai à l’heure de l’apéritif l’étrange bébé au domicile de la famille Fuentès. En 1999, Roland me téléphona pour me proposer de publier le machin dans trois numéros successifs de Salmigondis avec, cerise sur le gâteau, de splendides dessins de Frédéric Guenot. J’en garde un souvenir d’autant plus ému que cette déraisonnable initiative ne fut pas pour rien dans la publication du Grand variable en 2002 par Robert Dadillon aux éditions Editinter (5).
1999 et 2000 furent pour moi des années de publication à épisodes. Après Le Grand variable en feuilleton dans Salmigondis en 1999, ma nouvelle “Alma s’en va” parut l’année 2000 en deux parties dans les numéros 16 et 17 de la revue de Simone Balazard, Le Jardin d’Essai (6) . Lorsque je reçus la première livraison, je fus très surpris d’y découvrir mon texte car j’avais purement et simplement oublié que je l’avais envoyé. Premier ravage de la quarantaine ?
Mais c’est fantastique, la quarantaine ! Pour la fêter, le destin m’offrit en 2001 un détour dans le monde des revues fantastiques avec l’accueil de ma nouvelle Le Démon du retour (illustrée par le talentueux dessinateur Fernando Goncalvès-Félix) au sommaire du Codex Atlanticus (7) de Philippe Gindre.
Ainsi qu’on peut le constater dans cette sélection d’épisodes de ma navigation à vue dans le flot des revues littéraires, on voit bien que la meilleure “stratégie” pour publier est, à mon avis, (question de tempérament) l’abandon de toute stratégie.
(1) Verso, revue trimestrielle. Contact : Alain Wexler, le Genetay, 69480 Lucenay.
(2) Le Croquant
(3) Roland Fuentès
(4) Salmigondis
(À suivre...)
18:20 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (3)
08 novembre 2005
Tu écris toujours ? (31)
Parmi le bric-à-brac rescapé de mon héritage familial, traînent quelques dictons et proverbes qui viennent inopinément reprendre du service alors que s’est définitivement repliée la nappe des grands repas d’automne dans la maison centenaire.
Par exemple, “Le nom des fous est écrit partout”, entendais-je souvent dans mon enfance, et voilà que cette phrase vient aujourd’hui me titiller en pleine rédaction de ma bibliographie destinée à quelque hasardeux dossier de demande de très improbable “bourse de création”. Est-ce finalement cette fatidique sentence qui m’a déterminé à inscrire mon patronyme au pathétique fronton des couvertures de livres et pour socle dérisoire des éphémères colonnes de la presse écrite ? (Ne m’en veuillez pas de cette débauche d’adjectifs à laquelle je m’abandonne comme on cède parfois à une bonne vieille ration de frites-mayonnaise).
Mais à bien y regarder, comparé aux coupables de “graffs” et de “tags”, aux “lincuistres” des années 70, aux pigeons d’ateliers d’écriture, aux pétanquistes poètes, aux éjaculo-scripteurs précoces, aux sibyllins médianochistes, aux pondeurs de pavés, aux faiseurs de vers et autres polymorphes pervers graphomanes, je crois n’avoir pas trop abusé. Je n’ai point pratiqué le largage par avion de manuscrits photocopiés à quinze-mille exemplaires, n’ai jamais relancé d’éditeur aux abonnés absents et me suis abstenu de coloniser l’espace des petites revues en usant d’armes de publications massives. Mon obsessionnelle méfiance m’a même malencontreusement conduit à décliner d’honnêtes offres de collaborations à quelques-unes d’entre elles. Écrasé par ma lenteur à me dépatouiller d’un quotidien avec lequel tout le monde se débrouille avec efficacité, je fais de la rétention de manuscrit et mes oeuvres, d’avoir été pondues mais trop longtemps couvées, risquent de finir en oeufs de shadocks, vous savez, ces drôles d’oiseaux dont les oeufs en métal ne peuvent éclore que bien rouillés et d’où ne sortent que de vieux poussins. D’accord, j’exagère mais c’est tellement bon.
Lorsque j’ai commencé à tremper mes pieds dans l’océan des revues littéraires, dans les années 1980, des enquêtes plus ou moins élaborées faisaient état de plus de cinq cents titres épanouissant dans le plus sympathique désordre leurs fragiles corolles de papier à ronéo ou mûrissant quelque rare et aristocratique raisin. En attendant les récents miracles numériques, la photocopieuse, fée tristounette du bureau et du logis, vint s’activer au ménage des taches d’encres et autres pâtés fleurant fort la chimie des duplicateurs et des stencils. Entre temps, le nombre des revues dépassa le millier à la barbe des vénérables anciennes, toujours inaccessibles à certains prétendants à l’édition qui se vengèrent en inondant les petites nouvelles de leur frénétique production. Fervent lecteur de cette presse littéraire marginale, j’ai encore en mémoire des noms “d’écrivants” qui ont dû faire les beaux jours des officines de copie à dix centimes et les pesants matins de facteurs affligés d’un rédac’chef miniature dans leurs tournées. J’en suis même venu à éprouver une vague culpabilité liée à ma réticence à vaporiser ainsi mes vers et ma prose, que dis-je, à semer à tous vents des tombereaux de graine de poésie dans d’étroits pots à mots débordant d’ego à seule fin qu’une seule d’entre elle, haricot sublime, puisse un jour y entamer la monstrueuse germination d’un baobab céleste !
Je me réjouis aujourd’hui de cette paresse que je me reprochais jadis en constatant l’inanité d’une telle stratégie. Ces pisse-copie ont-ils bu leur propre bouillon ? Se sont-ils englués dans leur logorrhée ? En tous cas, je n’en entends plus parler, même pas sur internet. Ma parole, ils ont tous dû finir animateurs d’ateliers d’écriture, gestionnaires du patrimoine voire adjoints aux maires de leurs communes (en charge des affaires culturelles bien sûr...). Les plus retors d’entre eux auront peut-être même créé un Prix Littéraire qui se fera fort de primer un auteur déjà nobélisé. Pourquoi donc, me direz-vous ? Eh bien pour rendre leur Prix Littéraire célèbre, ma foi !
Mais alors, cet avertissement solennel et puritain “Le nom des fous est écrit partout”, (peut-être à l’origine de ma “vocation” littéraire) peut-il aussi expliquer ma flemmarde réticence à publier en revue ? Il se peut que cette fameuse flemme soit une bonne excuse. En attendant (assez mollement je dois dire) d’élucider ce mystère, je peux affirmer que si j’ai peu proposé de textes aux revues, celles qui m’ont publié m’ont offert à chaque fois une expérience unique, notamment Salmigondis, Le Croquant, Le Jardin d’Essai, Le Codex Atlanticus et Verso que j’évoquerai dans le prochain épisode de ce feuilleton.
(À suivre...)
02:50 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (2)
19 octobre 2005
Tu écris toujours ? (30)
On se dit parfois, assez méchamment, que le contact humain est comme toutes les bonnes choses : il ne faut point en abuser. Une telle sagesse n’est malheureusement pas toujours compatible avec les nécessaires concessions à la vie publique auxquelles doit sacrifier l’homme de plume. J’emploie ce terme d’homme de plume car l’écrivain peut très bien, quant à lui, se retirer à la campagne et se contenter des sangliers pour plus proches voisins s’il se moque bien d’avoir d’autres lecteurs que quelques rares amis et parents. N’ayant pas encore, pour ma part, amorcé complètement ce processus régressif, et trouvant encore moyen, en plus de mes écritures, de faire un peu d’édition certes à titre bien amateur, il m’arrive de temps à autres de me laisser embarquer dans quelques entreprises de communication pas si désagréables que cela lorsqu’il plaît à leurs organisateurs de les agrémenter d’un honnête buffet avec tonnelets de rouge et de blanc. Bien sûr, à l’issue de la causerie improvisée dans ce contexte et qui peut avoir pour thème “Comment animer une maison d’édition associative sans perdre tous ses amis”, le risque est bien réel de s’exposer à quelques postillons parce que le débat se prolonge pendant l’apéritif. Mais ce léger désagrément, qui se traduira tout au plus, quelques jours plus tard, par l’apparition au bout du nez ou au milieu du front de ce que ma fille appelle un “spot”, n’est rien comparé à la capacité de nuisance pour le moral de certains types de fâcheux. L’un d’eux s’élança à mon abordage avec un manuscrit toutes pages déployées comme voiles d’un vaisseau battant pavillon noir dès la fin d’une petite conférence que je donnai dans l’annexe d’une librairie. J’avais commis l’erreur d’intervenir coiffé de deux casquettes, celle de l’auteur qui suscita un intérêt poli et modéré et celle, pourtant minuscule, de l’éditeur. J’eus beau expliquer que je ne faisais que participer au travail de la modeste équipe d’édition associative et que la production se limitait à des ouvrages à tirage restreint, je fus la cible désignée des candidats à la publication, certains commençant même à effleurer négligemment le cuir de leur chéquier si cela pouvait d’aventure contribuer à une bienveillante lecture de leur chef-d’oeuvre. Je déclinai cette offre de reconversion dans le louche métier de Barbapapus (le margoulin de l’édition à compte d’auteur dont j’ai évoqué les manigances au début de ce feuilleton) mais cela ne découragea pas le corsaire au manuscrit sauvage qui m’infligea une bordée de monologues lyriques célébrant les richesses de notre future collaboration. Derrière cet homme pour le moins extraverti, je vis alors s’approcher une jeune femme au regard sombre et taciturne qui tenta de s’adresser à lui. Il la rabroua avec grossièreté : “laisse-moi donc cinq secondes, tu ne vois pas que je discute avec mon éditeur ?”. Elle le toisa d’un regard exaspéré dont je fus également gratifié d’une bonne parcelle. Pantois, je profitai d’une bousculade en direction du buffet pour semer le mufle. Une minute après, un verre à la main, je me retrouvai face à la jeune femme dont les yeux noirs me décochèrent une autre salve de mépris. J’optai aussitôt pour une prudente retraite derrière le tonnelet de blanc, à proximité d’une briochette au foie gras dont l’idée, elle au moins, me souriait...
(À suivre)
00:20 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (0)