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09 mars 2009

Tu écris toujours ? (48)

888598926a7bdcc2.jpgConseils
à ceux qui veulent déménager un écrivain

Il est toujours pénible de déménager mais l’affaire se complique si vous avez un écrivain à la maison. L’écrivain, c’est un peu comme l’armoire bressane qu’on se transmet d’une génération à l’autre, ça voyage mieux dans le temps que dans l’espace. Si vous la manipulez sans ménagement, si vous la transbahutez sans égards, elle risque de se voiler pendant le transport et elle sera de guingois lorsque vous voudrez la remonter. Pareil pour l’écrivain. Lui aussi, il est lourd, encombrant et fragile. L’écrivain aime le changement mais en même temps, il a en a horreur, ce qui explique la difficulté de le déménager. Deux ans avant, il est d’accord, deux jours avant, il ne veut plus bouger.

Parfois, les écrivains construisent des cabanes où ils s’enferment pour écrire en paix ou pour renoncer au monde. Ces constructions précaires sont souvent dangereuses en raison de leur conception hors normes. Tous les écrivains ne construisent pas de cabanes, nombreux sont ceux qui travaillent dans leur bureau. Mais qu’il s’agisse de l’un ou l’autre de ces refuges, il conviendra de procéder à une prudente inspection de ces lieux inhospitaliers pour le commun des mortels avant d’envisager l’évacuation. Le plus pratique est de persuader l’écrivain d’abandonner sa cabane en emportant le strict nécessaire. Si la cabane contient rarement des objets de valeur, il n’en va pas de même pour le bureau où l’écrivain a pu dissimuler ses trésors. Il sera tellement perturbé par le déménagement qu’il vous faudra veiller à ce qu’il n’oublie pas ce qu’il considère comme son bien le plus précieux, la bouteille de single malt quarante ans d’âge par exemple. Si vous êtes l’épouse de l’écrivain, vous savez sans doute où elle se trouve. Si vous l’ignorez, je vous suggère de bien observer la bibliothèque du bureau ou les livres sur les étagères de la cabane. Vous ne remarquez rien ? Approchez et observez l’alignement des livres. Ne trouvez-vous pas bizarre que les tranches des volumes de grands formats soient sur la même ligne que celles des livres de poche ? Mais oui, c’est là que le flacon est caché, juste derrière l’astucieuse collection de vulgarisation poétique « La poésie c’est dans la poche » des éditions Galimatias.

L’écrivain aura toujours du mal à quitter sa cabane s’il l’a construite de ses propres mains. On peut espérer qu’il s’adapte en essayant d’en assembler une autre dans la nouvelle propriété mais si un quart de siècle a passé entre la construction de la première et l’annonce du déménagement, mieux vaut emporter aussi la cabane. La présence d’un animal familier dans le bureau ou la cabane de l’écrivain peut compliquer le déménagement. Pour les mygales, boas constrictors, crocodiles et félins, ne comptez pas sur moi pour vous donner des conseils. Appelez plutôt les pompiers. Il paraît qu’ils suivent des stages pour cela. Si vous ne savez pas comment transporter le python et le cochon d’Inde, laissez les faire connaissance et vous ferez d’une pierre deux coups. Le second voyagera dans le premier, vous savez, comme le canard dans Pierre et le loup de Prokofiev. Non, je plaisante.

La plupart du temps, c’est plus simple, avec un grand classique : le matou. Surtout, se conformer aux habitudes, même les plus anodines. J’ai connu un chat d’écrivain qui en était pétri, comme son maître. Ce gros chartreux s’appelait Sir Alfred et, contrairement à son propriétaire — si tant est qu’on puisse être propriétaire d’un chat — il avait accédé à une certaine notoriété dans son quartier en raison de son goût immodéré pour les sardines en huile de la fameuse marque « Ohé matelot » . La cause du déménagement de cet écrivain était son récent divorce et ce fut sa nouvelle compagne qui commit une regrettable erreur. detail_chartreux.jpgPour s’attirer les bonnes grâces de Sir Alfred, elle décida de lui servir elle-même sa boîte de sardines, mais comme il n’en restait plus, elle sortit se réapprovisionner au supermarché et choisit les moins chères. Sir Alfred fut très malade car il ne supportait que les « Ohé matelot » , disponibles uniquement en épicerie fine, et la nouvelle compagne de l’écrivain ne se porta pas mieux après avoir nettoyé ce que Sir Alfred avait abandonné aux quatre coins de la maison en émettant des sons affreux.

Finalement, quand on y pense, mieux vaut ne pas déménager, ne pas divorcer, ne pas donner des sardines en huile à un chat et tant qu’à faire, ne pas avoir de chat, ne pas vivre avec un écrivain, ne pas naître... Allez, ce n’est rien, juste un petit coup de déprime provoqué par le déménagement. Après, lorsque vous serez installé dans votre nouvelle maison, vous ferez la traditionnelle dépression du propriétaire et ensuite, vous verrez, tout ira beaucoup mieux, une petite décennie plus tard, quand l’écrivain aura retrouvé sa place parmi les meubles.

maglivres14.JPGExtrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Épisode publié dans le Magazine des livres n°14.

17 janvier 2009

Tu écris toujours ? (47)

couv_mdl13-bdef.jpgConseils aux écrivains qui envoient des lettres de motivation

Premier constat : tout le monde écrit des lettres de motivation, même les écrivains. Deuxième constat : moins on est motivé, plus on est contraint d’écrire des lettres de motivation.

En ce qui me concerne, j’en ai produit un nombre incalculable, les plus réussies étant celles que j’ai rédigées pour les autres. J’ai réservé mon chef-d’œuvre à un camarade prêt à tout pour trouver du travail et qui, grâce à ma lettre de motivation, a été aussitôt embauché à bord d’un de ces navires sortant des mois en mer pour congeler les malheureux poissons de l’Atlantique Nord. Depuis, sa femme ne me parle plus. On se demande bien pourquoi on s’échine à rendre service.

Bon, j’ai l’impression que la vie professionnelle de mon camarade ne vous passionne pas plus que cela. Vous voudriez plutôt savoir comment réussir une belle lettre de motivation pour obtenir une bourse d’aide à l’écriture grassouillette. Je m’en doutais. Une fois que je vous aurai conseillé sur la marche à suivre, je pourrai dire, comme l’épouse de mon camarade neuf mois après la conception de ses quintuplés lors du congé semestriel de son mari de retour d’une campagne de pêche : « ce qui est fait est fait » .

Ces digressions me donnent le mal de mer. Où en étais-je ? Ah oui, la bourse d’écriture. Cette idée, quelqu’un vous l’a probablement soufflée. Vous pouvez lui dire merci, comme vous pouvez aussi remercier celui qui vous a offert votre première cigarette. Moi, c’était lors de la publication de mon premier livre. Mon nom devait traîner dans un fichier appartenant à un ordinateur. L’ingénieuse machine m’a envoyé une documentation destinée à m’aider à déterminer mon « éligibilité à l’établissement d’une demande de bourse » . « Regarde, tu es éligible ! » m’a annoncé mon épouse en récupérant le courrier dans la poubelle. J’ai sauté de joie, enfin, c’est une façon de parler car lorsque je saute de joie, personne ne le remarque.

Il fallait remplir un formulaire, établir une bibliographie, rassembler un dossier de presse, trousser une notice nécrologique — pardon, une notice biographique — , présenter le projet d’écriture, fournir quelques extraits de l’œuvre en cours, jusque là rien de bien sorcier, mais surtout se fendre d’une « lettre motivant la demande » . C’est alors que la malédiction m’a frappé, me rivant chaque année à la même période à la rédaction de la fameuse lettre.

Fort de cette ingrate et laborieuse expérience, je vous livre quelques tuyaux. Première erreur à éviter, classique chez le débutant, confondre aide sociale et encouragement à la création littéraire : « j’ai une bonne idée de roman mais des problèmes d’argent. Comme je ne peux pas me payer le dentiste, j’ai avalé mes plombages pendant mon sommeil et maintenant, je souffre de saturnisme. Autant vous dire que je suis aussi bleu qu’un schtroumpf. » Vous éviterez ce style plaintif et, pendant que vous y êtes, cette référence compromettante à vos goûts littéraires personnels. Soignez le style : « j’ai besoin de liquide pour faire bouillir la marmite » est une tournure à proscrire même si elle reflète parfaitement le fond de votre pensée. Si vous avez dicté votre lettre à l’intérimaire chinoise qui remplace votre secrétaire en congé, une relecture vous épargnera le déshonneur d’envoyer ceci à la commission : « Le sujet de mon prochain roman va effrayer la chronique, c’est pourquoi je désire prendre une année sympathique... » Sachez rester discret sur vos projets d’utilisation des fonds. Les personnalités qui examinent votre dossier n’ont pas besoin de savoir que l’argent vous permettrait de solder le crédit auquel vous avez dû vous enchaîner pour régler les frais de justice et les dommages et intérêts après avoir décapité à la tronçonneuse le nain de jardin phosphorescent avec radio lecteur CD et téléphone incorporés installé à grands frais dans sa pelouse par votre voisin mitoyen.

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? aurais-je dû me sermonner après avoir planché sans résultat pendant plusieurs années sur le nombre et la qualité de mes motivations. Il suffisait de relire trois lignes de la documentation envoyée par l’ordinateur : « Les bourses de création permettent aux auteurs de dégager du temps pour mener à terme leurs projets d’écriture et de publication » . Réchauffée presque mot pour mot et saupoudrée d’un conditionnel assorti d’un zeste de forme pronominale, cette formule insérée dans ce que j’avais considéré comme ma dernière tentative épistolaire a déclenché le virement bancaire. Cela fait toujours plaisir même s’il faut porter la somme à la désavantageuse rubrique Bénéfices non commerciaux de votre déclaration de revenus. Est-ce une impression ? Je vous sens moins motivé tout à coup...

(47ème épisode, paru dans le Magazine des Livres n°13)

23 novembre 2008

Tu écris toujours ? (47)

couv_mdl13-bdef.jpgLe 47ème épisode de mon feuilleton « Tu écris toujours ? », Conseils aux écrivains qui envoient des lettres de motivation, vient de paraître dans le Magazine des Livres n°13, décembre 2008/janvier 2009, actuellement en kiosques.