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15 octobre 2014

Bienvenue chez les « sains »

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Les signes annonciateurs ne manquent pas et s’expriment souvent à travers de petites phrases en apparence anodines que chacun d’entre nous, lorsqu’il affiche, exprime ou revendique une singularité, se prend en pleine figure, le pire étant que cela vient souvent de personnes parfois assez proches. J’ai déjà moi-même essuyé ce genre de réflexion qui peuvent paraître sans gravité mais qui sont, je le répète, révélatrices d’une inquiétante évolution de notre société. 

En me voyant fumer mes cigares, une personne de ma connaissance m’a déclaré qu’en tant que contribuable, elle n’avait pas à payer pour les frais consécutifs aux soins qui me seraient prodigués si je me retrouvais atteint d’un cancer. En réponse, je lui ai demandé si elle estimait qu’en tant que contribuable, j’étais fondé à payer pour le sauvetage en hélicoptère de l’alpiniste scotché à une paroi rocheuse ou perdu sur un glacier, si j’étais fondé à payer pour la chirurgie en faveur du torero encorné (bien fait pour lui), si j’étais fondé à payer pour l’hospitalisation d’un auteur bobo parisien qui s’est cassé en s’amusant à sauter d’un toit à l’autre, si j’étais fondé à payer pour mon voisin qui s’est tondu un orteil au lieu de confier l'entretien de sa pelouse à un professionnel, etc, etc...  

En tous cas, sous forme d’une petite anticipation, voici quelques aspects du monde que je vois émerger et dans lequel il ne va pas faire très bon vivre à mon avis. 

Plutôt que de pondre un énième article théorique sur cette question, j’ai choisi de remettre en scène Effron Nuvem, l’anti-héros de mon roman Le Club des Pantouflards. Je l’avais tué à la fin de ce court roman mais on peut considérer qu’il existe quand même un petit doute sur sa mort. Admettons qu’il s’en soit sorti et qu’il continue désormais de vivre dans la société déjà pas drôle où je l’avais fait évoluer en 2006. Rien ne s’est amélioré depuis, bien au contraire. 

Bienvenue dans le monde merveilleux d’Effron Nuvem (Fiction, pour l'instant...)

Effron Nuvem alterne de brèves périodes de travail et de longs mois de chômage. Il est régulièrement sommé par Pôle emploi de produire des preuves de sa recherche active de travail. À l’époque où il avait affaire à l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi), celle-ci avait mandaté des officines privées pour contraindre Effron Nuvem à rendre compte de ces démarches à la fin de chaque semaine. Désormais, des contrôles impromptus sont effectués par des inspecteurs à son domicile, au cours desquels il doit pouvoir justifier sans délais de ses démarches. 

À l’occasion de ces contrôles inopinés, on s’assure qu’il n’a pas fumé dans son appartement, quitte à vérifier auprès des voisins s’ils n’ont pas senti une odeur de tabac ou aperçu des mégots dans les poubelles. Au vu de son physique grassouillet et peu musclé, on l’inscrit d’office à un stage d’initiation à la cuisine diététique. Si Effron Nuvem avait su, il n’aurait pas laissé traîner le paquet de chips qu’il a grignoté la veille en regardant la télé. Alerté par les chips, un inspecteur déniche une canette de bière remplie de mégots. Nuvem affirme qu’il a fumé lors d’une promenade en forêt et qu’il a rapporté les mégots dans cette canette pour ne pas les jeter par terre. L’inspecteur ne le croit pas mais ne peut pas établir la preuve qu’il a fumé à son domicile. Il se contente donc de lui signifier un rappel à la loi et une injonction de se faire aider pour arrêter de fumer. 

Estimant que Nuvem affiche une attitude négative et réprobatrice, l’inspecteur décide d’accentuer les contrôles. Il découvre qu’Effron Nuvem n’est pas en possession de documents désormais obligatoires en complément de ses attestations d’assurance. La loi oblige en effet désormais chaque citoyen à détenir au moins une licence du club sportif de son choix. Tout manquement à cette obligation de pratiquer un sport peut entraîner la suppression de l’assurance maladie et la radiation d’office des registres des mutuelles complémentaires. Fin du contrôle.

Dans son rapport, l’inspecteur préconisera pour Effron Nuvem un stage de remotivation à la recherche d’emploi, un stage d’initiation à la cuisine diététique, une remise à niveau dans une discipline sportive de son choix avec obligation de devenir licencié de l’association ou du club concernés. 

À titre facultatif en attendant les prochaines disposition légales, Effron Nuvem se verra proposer un accompagnement psychologique à l’arrêt de la cigarette, une adhésion gratuite d’un mois à un centre de remise en forme et l’attribution d’un vélo en location vente avec option d’achat pour des déplacements professionnels et des loisirs non polluants. Bien que ces dernières offres financées par la collectivité soient facultatives, il sera fortement conseillé à Effron Nuvem de les accepter pour témoigner de sa volonté positive d’intégration harmonieuse à la société et de son aspiration sincère et enthousiaste à la citoyenneté.

(À suivre... Hélas !)

17 janvier 2009

Tu écris toujours ? (47)

couv_mdl13-bdef.jpgConseils aux écrivains qui envoient des lettres de motivation

Premier constat : tout le monde écrit des lettres de motivation, même les écrivains. Deuxième constat : moins on est motivé, plus on est contraint d’écrire des lettres de motivation.

En ce qui me concerne, j’en ai produit un nombre incalculable, les plus réussies étant celles que j’ai rédigées pour les autres. J’ai réservé mon chef-d’œuvre à un camarade prêt à tout pour trouver du travail et qui, grâce à ma lettre de motivation, a été aussitôt embauché à bord d’un de ces navires sortant des mois en mer pour congeler les malheureux poissons de l’Atlantique Nord. Depuis, sa femme ne me parle plus. On se demande bien pourquoi on s’échine à rendre service.

Bon, j’ai l’impression que la vie professionnelle de mon camarade ne vous passionne pas plus que cela. Vous voudriez plutôt savoir comment réussir une belle lettre de motivation pour obtenir une bourse d’aide à l’écriture grassouillette. Je m’en doutais. Une fois que je vous aurai conseillé sur la marche à suivre, je pourrai dire, comme l’épouse de mon camarade neuf mois après la conception de ses quintuplés lors du congé semestriel de son mari de retour d’une campagne de pêche : « ce qui est fait est fait » .

Ces digressions me donnent le mal de mer. Où en étais-je ? Ah oui, la bourse d’écriture. Cette idée, quelqu’un vous l’a probablement soufflée. Vous pouvez lui dire merci, comme vous pouvez aussi remercier celui qui vous a offert votre première cigarette. Moi, c’était lors de la publication de mon premier livre. Mon nom devait traîner dans un fichier appartenant à un ordinateur. L’ingénieuse machine m’a envoyé une documentation destinée à m’aider à déterminer mon « éligibilité à l’établissement d’une demande de bourse » . « Regarde, tu es éligible ! » m’a annoncé mon épouse en récupérant le courrier dans la poubelle. J’ai sauté de joie, enfin, c’est une façon de parler car lorsque je saute de joie, personne ne le remarque.

Il fallait remplir un formulaire, établir une bibliographie, rassembler un dossier de presse, trousser une notice nécrologique — pardon, une notice biographique — , présenter le projet d’écriture, fournir quelques extraits de l’œuvre en cours, jusque là rien de bien sorcier, mais surtout se fendre d’une « lettre motivant la demande » . C’est alors que la malédiction m’a frappé, me rivant chaque année à la même période à la rédaction de la fameuse lettre.

Fort de cette ingrate et laborieuse expérience, je vous livre quelques tuyaux. Première erreur à éviter, classique chez le débutant, confondre aide sociale et encouragement à la création littéraire : « j’ai une bonne idée de roman mais des problèmes d’argent. Comme je ne peux pas me payer le dentiste, j’ai avalé mes plombages pendant mon sommeil et maintenant, je souffre de saturnisme. Autant vous dire que je suis aussi bleu qu’un schtroumpf. » Vous éviterez ce style plaintif et, pendant que vous y êtes, cette référence compromettante à vos goûts littéraires personnels. Soignez le style : « j’ai besoin de liquide pour faire bouillir la marmite » est une tournure à proscrire même si elle reflète parfaitement le fond de votre pensée. Si vous avez dicté votre lettre à l’intérimaire chinoise qui remplace votre secrétaire en congé, une relecture vous épargnera le déshonneur d’envoyer ceci à la commission : « Le sujet de mon prochain roman va effrayer la chronique, c’est pourquoi je désire prendre une année sympathique... » Sachez rester discret sur vos projets d’utilisation des fonds. Les personnalités qui examinent votre dossier n’ont pas besoin de savoir que l’argent vous permettrait de solder le crédit auquel vous avez dû vous enchaîner pour régler les frais de justice et les dommages et intérêts après avoir décapité à la tronçonneuse le nain de jardin phosphorescent avec radio lecteur CD et téléphone incorporés installé à grands frais dans sa pelouse par votre voisin mitoyen.

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? aurais-je dû me sermonner après avoir planché sans résultat pendant plusieurs années sur le nombre et la qualité de mes motivations. Il suffisait de relire trois lignes de la documentation envoyée par l’ordinateur : « Les bourses de création permettent aux auteurs de dégager du temps pour mener à terme leurs projets d’écriture et de publication » . Réchauffée presque mot pour mot et saupoudrée d’un conditionnel assorti d’un zeste de forme pronominale, cette formule insérée dans ce que j’avais considéré comme ma dernière tentative épistolaire a déclenché le virement bancaire. Cela fait toujours plaisir même s’il faut porter la somme à la désavantageuse rubrique Bénéfices non commerciaux de votre déclaration de revenus. Est-ce une impression ? Je vous sens moins motivé tout à coup...

(47ème épisode, paru dans le Magazine des Livres n°13)