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12 janvier 2006

Tu écris toujours ? (35)

Crise de vers et tomates

Dans leur délire, les illuminés de certaines sectes affirment qu’une mauvaise pensée ou une mauvaise action fait le tour de la planète avant de revenir frapper de plein fouet celui qui s’en est rendu coupable !
En ce qui me concerne, dans le domaine des mauvaises pensées, je crains le pire avec tout ce que j’envoie chaque jour de par le vaste monde.
D’autant que cette “faculté de retour” semble bien fonctionner pour les mauvaises actions, notamment celles de Barbapapus, l’éditeur à compte d’auteur abusif dont je signalais les pratiques au septième épisode de mon feuilleton “Tu écris toujours ?”.
En effet, j'apprends en lisant un journal d’information poétique que ce requin de bocal vient d’expulser quelques vers en s’appuyant dans cette laborieuse et hygiénique opération sur les services d’une officine gratifiée de trois tomates (1) dans l’annuaire à l’usage des auteurs cherchant un éditeur (2).
Coquin de sort !

(1) Les tomates infligées par l’annuaire en question signalent les éditeurs aux pratiques douteuses ou abusives.
(2) AUDACE (Annuaire à l’usage des auteurs cherchant un éditeur), un ouvrage indispensable de Roger Gaillard publié aux éditions de L’Oie plate, boîte postale 17, 94404 Vitry Cedex (France). 603 pages, 54 euros.

13 décembre 2005

Tu écris toujours ? (34)

Tu écris toujours ? Aujourd’hui, ce n’est pas mon ancien et perplexe camarade de classe qui me le demande mais moi-même, quelque peu étourdi au milieu de ce que les commerçants nomment un “linéaire” et que j’appelle, moi, dans mon langage de péquenaud, le rayon de littérature de la Fnac.
À la fois heureux de cette abondance et découragé de cette pléthore, je suis prêt à parier qu’en cet endroit et en cet instant, nous sommes plusieurs plumitifs à nous poser la question.
Ce serait une idée, tiens : demander à une hôtesse de diffuser une annonce : “si vous êtes un écrivain qui a publié au moins un livre à compte d’éditeur et que vous vous posez en ce moment la question “Tu écris toujours ?”, veuillez vous présenter au café où vous seront offerts un gâteau et le dernier livre d’Alexandre Jardin. Une fois les profiteurs, menteurs, tricheurs, resquilleurs et autres opportunistes écartés après vérifications sur Electre, je ne suis pas loin de penser que nous formerions une joyeuse petite troupe bien émoustillée et reconnaissante d’entrer en jouissance de deux cadeaux certes bourratifs bien que d’apparence légère mais qui font toujours plaisir puisque, selon la formule consacrée, c’est l’intention qui compte. Et je ne parle pas du “bénéfice” de sympathie que la Fnac pourrait “capitaliser” dans cette animation promotionnelle qui ne mange pas de pain, même s’il y aurait toujours un ou deux grincheux pour tenter d’échanger leur Alexandre Jardin contre un autre livre ou contre un deuxième gâteau. Pour moi, par exemple, ce serait tout vu, je laisserais le Jardin pour un autre gâteau sauf si l’on me consent l’échange avec un petit bouquin d’Hubert Nyssen que j’ai déjà lu mais que j’offrirais volontiers : “Lira bien qui lira le dernier”, sous-titré “Lettre libertine sur la lecture” (Babel). Un éditeur et un écrivain talentueux dans le même monsieur, c’est trop injuste. (Si je n’arrive pas à me faire publier chez Actes Sud avec ça, je change de métier et je me fais cireur de chaussures à Bogotá).
“Je crois me souvenir, écrit Hubert Nyssen page 70, que Paul Léautaud, quelque part dans son journal, raconte qu’au Mercure de France, dans les années vingt, on sablait le champagne pour célébrer le succès d’un livre au cinq centième exemplaire vendu. Aujourd’hui un livre arrivant à ce niveau ferait ricaner, il serait désigné par les matadors de l’édition comme un bide innommable ou un four scandaleux, le solde du tirage irait sans retard au pilon et le responsable au chômage.”
Loin de moi l’idée de pousser la rengaine nostalgique d’une époque que je n’ai pas connue mais je ne peux cependant m’empêcher d’associer dans mon esprit l’image des coupes de champagne qui tintaient hier pour fêter les cinq cents exemplaires vendus à celle que nous infligent aujourd’hui les hautes sphères du commerce de l’édition avec tous ces zéros qui s’accumulent devant les chiffres de tirage, d’à-valoir et d’achats de droits. Ces chiffres, qui ne sont plus depuis longtemps ceux d’un artisanat mais ceux d’une industrie en pleine fuite en avant et dont la presse littéraire de grande diffusion (partie prenante de cette industrie) nous entretient à satiété dans d’assez répétitives “enquêtes” et de fort radoteurs articles au parfum de marronnier, nous dissimulent la réalité. Ils concernent une minorité d’auteurs en représentation parmi lesquels les plus intéressants doivent accepter bon gré mal gré d’être considérés au même rang que des stars du ballon, du fait-divers ou de la chansonnette. Quelques arbres pour cacher une immense forêt et tout un pan de la réalité de l’édition littéraire escamoté par des médias tellement imbriqués et impliqués dans les conglomérats de la communication que leurs journalistes et attachés de presse presque tous requis à l’abattage de la promotion ne peuvent et ne veulent plus s’intéresser à l’existence de petits éditeurs et de tirages (je parle de tirages et non de ventes) à cinq cents exemplaires ou moins ! Il n’est pas un mois ou une semaine où un de ces organes de presse ne nous rabâche ces histoires de négociation de contrats mirobolants, d’élaboration de stratégies de promotion fumeuses, de gestion de stock, de rotation lente ou rapide, de retour d’invendus, de caisses entières de livres qui repartent au pilon, de ventes qui décollent ou ne décollent pas (Télérama dernier en date avec un papier sur ce qui flotte encore après le reflux de marée de la rentrée littéraire intitulé “Par ici la sortie !”)
Toute cette gesticulation est présentée au public comme le quotidien de l’édition littéraire alors que ces grandes manœuvres concernent en réalité l’édition en général où, selon un chiffre avancé par Hubert Nyssen dans “Lira bien qui lira le dernier”, les écrivains, éditeurs et libraires littéraires (je souligne l’adjectif) “représentent à peine vingt pour cent du “marché” éditorial ”, ainsi que le précise le fondateur des éditions Actes Sud en appelant de ses vœux “une nette partition dans ce qui ne peut plus être un même monde sous peine de renouveler la fable du pot de terre contre le pot de fer.”
Pas du même monde : voilà la bonne formule.
À la lecture de l’article de Télérama sur l’épilogue de la rentrée littéraire d’automne, n’importe quel romancier inconnu raisonnable verrouillerait, dégoûté, son tiroir à manuscrits pour gagner sa vie en pratiquant la lombriculture et en consacrant ses loisirs à la contemplation de la Campanule des talus (fleur chère à mon cœur). Or, nous sommes très nombreux et nombreuses à “écrire toujours”, à être publiés par de petits éditeurs dont certains si minuscules qu’ils sont exclus de tout circuit marchand officiel. Les plus chanceux d’entre nous publient leurs œuvres dans les dernières maisons indépendantes des grands groupes mais pour combien de temps encore ?
Et pourtant elle existe cette forêt de vraie littérature dont je parlais plus haut, certes cachée par quelques arbres géants à la croissance souvent contre nature, et elle existera encore longtemps mais, sinon dans un autre monde, dans un autre paysage que celui des livres en batterie qui n’ont rien à voir, je le répète quitte à passer pour un affreux élitiste, avec les livres de littérature. Il suffit d’y réfléchir un instant pour réaliser que les nouvelles de l’industrie du livre d'élevage dont nous abreuve l’industrie médiatique ne concernent guère voire pas du tout notre artisanat. Au mieux peuvent-elles nous en distraire (de façon souvent burlesque) comme tout spectacle de lointaines paillettes, à la faveur d’une baisse de vigilance ou d’un moment de fatigue, car nous ne sommes effectivement pas du même monde.

24 novembre 2005

Tu écris toujours ? (33)

Publier des livres et les vendre, c’est le travail de l’éditeur et du libraire mais l’auteur est souvent prié de donner un coup de main, surtout si son nom s’entache de notions telles que “succès d’estime” ou “rotation lente”. Parlons vrai, ils sont de plus en plus nombreux les éditeurs, libraires et auteurs à qui l’estime fait autant d’effet que l’épistolaire “parfaite considération” et qui prennent d’autant plus vite le vertige que ralentit la rotation des livres dans les rayons. Les poètes eux-mêmes réalisent à quel point leur fréquente répulsion pour les colonnes de chiffres et leur illusoire préférence pour celles des journaux leur coûte cher. C’est ainsi que tout ce petit monde des lettres, votre serviteur y compris, ne rechigne plus autant que par un passé glorieux mais révolu à mettre la main à la pâte indigeste mais nécessaire de la promotion. Quand on me parle de promotion, je sors mon revolver, euh non pardon, mon badge d’exposant à un salon, une foire aux livres ou à tout autre rendez-vous pourvu que s’y refile, non plus sous le manteau mais sous chapiteau, du bouquin en veux-tu en voilà. Des chapiteaux, je suis bien obligé d’en fréquenter quelques uns si je veux prouver que certes, j’écris toujours.
Chapiteaux des villes, chapiteaux des champs, il en pousse un peu partout, au milieu des places à statues équestres comme entre deux ornières de tracteur. Quelques années avant de hanter celui de la place Bellecour à Lyon (et une ou deux fois celui de Paris) j’ai même piétiné la terre déjà bien battue de celui qui se déploie en automne un peu au-dessus de chez moi, à mille mètres d’altitude. Bien qu’il ne s’agisse point d’un salon du livre mais d’un marché de produits biologiques et artisanaux, les organisateurs ne ferment pas leur tente aux revues, aux livres et à leurs auteurs. Je m’étais donc laissé convaincre, une de ces années, qu’on pouvait bien essayer de rapprocher la fureur de lire de la rage de vendre et que ma présence entre une productrice de vin biologique et un magnétiseur faisant démonstration de baguettes de sourcier en métal ne pouvait qu’ouvrir à d’heureux nouveaux membres le club un peu trop sélect de mes lecteurs.
Me voici donc fouettant sous la pluie de l’automne montagnard les bourrins de ma peu diligente bagnole que je dois garer de toute urgence sur le talus en raison d’une explosion suspecte à l’arrière. Rien de grave, juste un vieux pneu qui vient d’éclater. Ce léger contretemps me fait arriver en retard sous la tente plantée à l’entrée du village. Pourquoi c’est plein d’indiens ? s’étonne ma fillette qui, dès son plus âge, m’a toujours accompagné dans ce genre d’équipée. J’en avise un, roulé dans une veste “trappeur”, qui se trouve être de l’organisation. Oui, je suis en retard. Bon, je n’ai qu’à m’installer entre ces deux-là (le magnétiseur et la viticultrice bio) qui s’étaient un peu trop vite réjouis de se répartir un espace supplémentaire à l’oeil. Leur accueil est aussi chaleureux que les courants d’air musardant au milieu des pots de miel, du tissage, du rotin, des bougies parfumées, des jouets en bois, des carottes, des patates, des pommes et de tout le bataclan 100%100 bio et naturel auquel s’ajoute maintenant le papier probablement chloré de mes bouquins. À côté, le magnétiseur n’a pas à se forcer pour sa démonstration de baguettes de sourcier car l’eau est partout, sous forme de grosses flaques de couleur café au lait dans lesquelles la progéniture néo-rurale se fait un plaisir de sauter à pieds joints. Mes couvertures blanches les plus exposées ne résistent pas longtemps à ces danses rituelles. Un gros barbu en train d’éplucher des rondelles de saucisson bio a laissé ses empreintes sur les autres. Je renifle une drôle d’odeur, légèrement ammoniaquée, dans les mêmes dominantes que celle des raffineries de pétrole de Feyzin mais moins concentrée. À cet instant, la sono informe exposants et public qu’une énorme marmite de soupe bien chaude les attend non loin de mon stand. Je m’approche du chaudron. Pas de doute, l’odeur, c’était ça. Juste à côté, on vend de bons gros sandwiches à la terrine végétale confectionnés dans de beaux pains de campagne. Le hic, c’est la couleur de la terrine, verdâtre, comme la soupe. Un s’il vous plaît, mais sans terrine. Oui, oui, juste le pain. Merci.
Retour à mon stand. Pour chasser ma nostalgie d’un hot-dog avec frites mayonnaise, je décapite un Montecristo bien corsé dont les volutes assez brutales domineront, je l’espère, les relents vespasiens de la marmite encore fumante et gargouillante. Mais après quelques bouffées, je vois se pâmer la viticultrice bio visiblement allergique au havane mais pas le moins du monde incommodée par les fumées d’autres substances qui nous ont caressé les narines toute la matinée. Au milieu de l’après-midi, un jeune homme à lunettes rondes, enveloppé dans une ample pèlerine noire s’approche des livres, feuillette, en choisit un et demande une signature. Au moment de régler, il fourrage dans les plis de sa pèlerine et laisse tomber le bouquin dans la gadoue. Sprouitch ! “Cadeau”, lui dis-je avec fatalisme, et il s’éloigne, dépité mais soulagé.
À l’extérieur, la bise a rincé tout le ciel. À l’intérieur, elle a congelé mes rapports de voisinage avec le sourcier-magnétiseur et la cigarophobe. Mieux vaut plier, surtout s’il vient aux marmitons l’idée de remettre une tournée de leur soupe. Quant aux prochains rendez-vous avant la Foire de Francfort, (la Brocante des Vers et la Kermesse du Pied), ma foi oui, je veux bien mais à une condition : vin chaud et saucisse-frite à volonté.

(À suivre)