06 juillet 2009
Tu écris toujours ? (51)
Conseils aux écrivains qui ne savent rien faire d’autre.
(Cet épisode a été publié dans le Magazine des livres n°17, juin 2009)
Le problème n’est pas de savoir si vous êtes un bon ou un mauvais écrivain. Savez-vous faire autre chose ? Voilà la vraie question et, bien sûr, la réponse est non.
Dès que vous aurez établi vous-même cet amer constat, vous aurez franchi une première étape vers une possibilité d’adaptation à un environnement socio-économique irrémédiablement hostile aux littéraires. Ainsi que se plaisent souvent à l’asséner aux petits jeunes précaires les champions du saut en parachute doré et tous ceux qui vivent depuis des lustres à l’abri de tout changement, vivre c’est s’adapter. Souvenez-vous des paroles de ma sorcière bien aimée, la patronne des patrons, à qui je donne ce surnom affectueux depuis que je l’ai entendue déclarer qu’il fallait « réenchanter le monde » : « L’amour est précaire, la vie est précaire, pourquoi le travail ne le serait-il pas ? » Haut le cœur, que diable ! (Pardon pour le lapsus, je voulais dire Hauts les cœurs, évidemment).
Vous n’allez donc pas baisser les bras, ô vous, travailleur de la plume, parce que vous ne savez rien faire d’autre qu’écrire sans commettre des fautes d’orthographe dans un monde où l’on n’a pas de temps à perdre à accorder les participes. Alors que faire ? La retraite contemplative dans un monastère ? L’ennui, c’est qu’elle s’accompagne d’une certaine frugalité. Le suicide ? Quelle faute de goût... Quant à la noce tous les jours, j’aime autant vous dire que ce n’est pas à la portée de toutes les bourses. Et puis, l’argent... Soit on en est couvert à ne plus savoir qu’en faire, soit on fourmille d’idées pour le dépenser mais on n’en a pas... C’est moche. Tout de même, si vous êtes dans la première catégorie, riche mais incapable de vous débrouiller dans la vie quotidienne, vous pouvez recruter un majordome ou un valet de chambre. Ce que je choisirais, moi ? Avec ce que me rapporte ma plume, un technicien ou une technicienne de surface à temps très partiel rémunéré (e) en chèques emplois services. Quant au valet de chambre, il m’aurait surtout été utile dans ma prime jeunesse, lorsque mes parents me répétaient trois fois par jour de la ranger cette fameuse chambre.
Vous êtes cousu d’or mais vous déplorez qu’avec le cadeau de la vie, personne n’ait songé à vous fournir le mode d’emploi ? Pas d’hésitation, choisissez le majordome. Ne rêvez pas. L’authentique butler a disparu depuis longtemps des villes et des campagnes anglaises mais vous trouverez peut-être des copies à Dubai ou à Abou dabi. Après tout, s’ils sont capables là-bas de refaire le Louvre et la Sorbonne à l’identique, ils doivent bien pouvoir fournir des copies de butler. Évidemment, cela peut faire nouveau riche. Pour éviter ce risque, mon voisin qui a fait fortune après la publication de son unique roman à l’eau de camélia, et qui est donc un authentique parvenu, s’est offert les services d’une gouvernante, Madame Tumbelweed, une femme à forte pilosité faciale, très bien assortie à nos paysages rustiques méticuleusement arpentés et balisés au moyen d’un procédé liquide par le chat chartreux Sir Alfred. Je dois avouer mon admiration pour ce voisin qui a réussi dans la vie sans la moindre compétence professionnelle et surtout sans le génie littéraire qui aurait fait de lui, dans une société comme la nôtre, un homme extrêmement malheureux, pour tout dire, un inadapté.
Quant à savoir si on est écrivain parce qu’on est inadapté ou inadapté parce qu’on est écrivain, cela revient à se poser la lassante question de l’œuf et de la poule, autant dire le genre d’interrogation qu’on peut se permettre à l’adolescence, cet âge flamboyant où le Président Directeur Général se voyait Président de la République, où le pyromane se rêvait pompier, où Hitler se croyait artiste peintre, où le rédacteur en publicité se sentait l’étoffe d’un Rimbaud, et où l’écrivain s’imaginait en vacances pour toute la vie. Pour ces personnages comme pour vous, le temps a fait son œuvre (en voilà au moins un qui réalise son objectif) en vous apprenant parfois qu’en partant de rien, on arrive souvent au même endroit après avoir fait du sur place. Cela s’appelle la maturité. Il ne vous reste plus qu’à tirer des livres de cette universelle expérience humaine. Vous pourriez les intituler Le premier plaisir minuscule et autres gorgées de bières (proses aux petits oignons), Je décrois donc je suis (la décroissance heureuse), Je me suis fait moi-même avec pas grand-chose (autobiographie biodégradable), Petits riens du Grand Tout (philosophie allégée), Un peu de tout (aphorismes recyclables) ou Presque rien, c’est Tout (poésie basse tension). Avec d’aussi bons titres, vos livres se retrouveraient en tête de gondole chez Nature et Découvertes. Trop zen.
La suite du feuilleton dans le Magazine des Livres n°18 (juillet/août 2009) actuellement en kiosques.
17 janvier 2009
Tu écris toujours ? (47)
Conseils aux écrivains qui envoient des lettres de motivation
Premier constat : tout le monde écrit des lettres de motivation, même les écrivains. Deuxième constat : moins on est motivé, plus on est contraint d’écrire des lettres de motivation.
En ce qui me concerne, j’en ai produit un nombre incalculable, les plus réussies étant celles que j’ai rédigées pour les autres. J’ai réservé mon chef-d’œuvre à un camarade prêt à tout pour trouver du travail et qui, grâce à ma lettre de motivation, a été aussitôt embauché à bord d’un de ces navires sortant des mois en mer pour congeler les malheureux poissons de l’Atlantique Nord. Depuis, sa femme ne me parle plus. On se demande bien pourquoi on s’échine à rendre service.
Bon, j’ai l’impression que la vie professionnelle de mon camarade ne vous passionne pas plus que cela. Vous voudriez plutôt savoir comment réussir une belle lettre de motivation pour obtenir une bourse d’aide à l’écriture grassouillette. Je m’en doutais. Une fois que je vous aurai conseillé sur la marche à suivre, je pourrai dire, comme l’épouse de mon camarade neuf mois après la conception de ses quintuplés lors du congé semestriel de son mari de retour d’une campagne de pêche : « ce qui est fait est fait » .
Ces digressions me donnent le mal de mer. Où en étais-je ? Ah oui, la bourse d’écriture. Cette idée, quelqu’un vous l’a probablement soufflée. Vous pouvez lui dire merci, comme vous pouvez aussi remercier celui qui vous a offert votre première cigarette. Moi, c’était lors de la publication de mon premier livre. Mon nom devait traîner dans un fichier appartenant à un ordinateur. L’ingénieuse machine m’a envoyé une documentation destinée à m’aider à déterminer mon « éligibilité à l’établissement d’une demande de bourse » . « Regarde, tu es éligible ! » m’a annoncé mon épouse en récupérant le courrier dans la poubelle. J’ai sauté de joie, enfin, c’est une façon de parler car lorsque je saute de joie, personne ne le remarque.
Il fallait remplir un formulaire, établir une bibliographie, rassembler un dossier de presse, trousser une notice nécrologique — pardon, une notice biographique — , présenter le projet d’écriture, fournir quelques extraits de l’œuvre en cours, jusque là rien de bien sorcier, mais surtout se fendre d’une « lettre motivant la demande » . C’est alors que la malédiction m’a frappé, me rivant chaque année à la même période à la rédaction de la fameuse lettre.
Fort de cette ingrate et laborieuse expérience, je vous livre quelques tuyaux. Première erreur à éviter, classique chez le débutant, confondre aide sociale et encouragement à la création littéraire : « j’ai une bonne idée de roman mais des problèmes d’argent. Comme je ne peux pas me payer le dentiste, j’ai avalé mes plombages pendant mon sommeil et maintenant, je souffre de saturnisme. Autant vous dire que je suis aussi bleu qu’un schtroumpf. » Vous éviterez ce style plaintif et, pendant que vous y êtes, cette référence compromettante à vos goûts littéraires personnels. Soignez le style : « j’ai besoin de liquide pour faire bouillir la marmite » est une tournure à proscrire même si elle reflète parfaitement le fond de votre pensée. Si vous avez dicté votre lettre à l’intérimaire chinoise qui remplace votre secrétaire en congé, une relecture vous épargnera le déshonneur d’envoyer ceci à la commission : « Le sujet de mon prochain roman va effrayer la chronique, c’est pourquoi je désire prendre une année sympathique... » Sachez rester discret sur vos projets d’utilisation des fonds. Les personnalités qui examinent votre dossier n’ont pas besoin de savoir que l’argent vous permettrait de solder le crédit auquel vous avez dû vous enchaîner pour régler les frais de justice et les dommages et intérêts après avoir décapité à la tronçonneuse le nain de jardin phosphorescent avec radio lecteur CD et téléphone incorporés installé à grands frais dans sa pelouse par votre voisin mitoyen.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? aurais-je dû me sermonner après avoir planché sans résultat pendant plusieurs années sur le nombre et la qualité de mes motivations. Il suffisait de relire trois lignes de la documentation envoyée par l’ordinateur : « Les bourses de création permettent aux auteurs de dégager du temps pour mener à terme leurs projets d’écriture et de publication » . Réchauffée presque mot pour mot et saupoudrée d’un conditionnel assorti d’un zeste de forme pronominale, cette formule insérée dans ce que j’avais considéré comme ma dernière tentative épistolaire a déclenché le virement bancaire. Cela fait toujours plaisir même s’il faut porter la somme à la désavantageuse rubrique Bénéfices non commerciaux de votre déclaration de revenus. Est-ce une impression ? Je vous sens moins motivé tout à coup...
(47ème épisode, paru dans le Magazine des Livres n°13)
16:39 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : feuilleton, magazine des livres, lettres, motivation, cottet-emard, presse, humour
16 juin 2008
Comment ça va la p'tite santé ?
À savourer avant ou après le film de Diane Kurys.
17:42 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : françoise sagan, diane kurys, littérature, cinéma, pierre desproges, petit rapporteur, humour